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Elections : 
la Tunisie entre craintes et espoirs
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Démocratie musulmane

Moins d’un mois avant d'élire son parlement, le peuple tunisien n'est plus aussi enthousiaste que lors du renversement du régime de Ben Ali. La Tunisie peine encore à basculer dans la démocratie.

Elodie Ritzenthaler

Elodie Ritzenthaler

Elodie Ritzenthaler est consultante et travaille essentiellement sur les sujets de politique commerciale.

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A moins d'un mois des élections et après l'enthousiasme généré par le renversement du régime Ben Ali, la Tunisie a la gueule de bois. Les attentes sont nombreuses et les critiques fusent face à ce que nombreux prennent pour une inertie gouvernementale et pour le flou de la situation économique et sociale. Même les affaires courantes semblent délaissées et les grèves ont été interdites pendant la période pré-électorale. Mais la principale crainte d’une partie de la population, comme de certains médias tunisiens est le futur score d’Ennahdha (« renaissance ») qui semble rassembler de larges pans de la société tunisienne.

Au-delà d’un régime socialisant à l’heure des indépendances, la Tunisie de Bourguiba s’était tournée vers l’Occident et a fait le choix d’un développement économique et social où le rôle de l’État était plus que prégnant, même s’il lui fallait pour cela atténuer, voire diront certains « renier » d’autres éléments, en particulier sa culture arabo-musulmane. Le régime de Ben Ali n’a, en cela, que permis la continuation de cette situation. Même si Ennahdha n’a pas été l’acteur du changement de régime en janvier dernier, certaines franges de la population longtemps délaissées semblent demander un retour à des valeurs qui s’identifieraient à celles que véhicule une certaine vision de l’Islam.

Le retour du religieux après des années de répression et une crise ou transition économique et sociale majeure est logique : comparons par exemple la Pologne d’il y a vingt ans lorsqu’elle s’est libérée du joug soviétique et la Tunisie d’aujourd’hui.

Tunisie et Pologne : une comparaison surprenante, mais qui fait sens

La population polonaise à large majorité chrétienne n’a pu pratiquer sa religion librement pendant des années. Le rôle de l’Église au sein de la société y était toutefois toujours prégnant. Plus ou moins dans l’illégalité, elle continuait à fonctionner et à faire bénéficier la société polonaise d’aides sociales diverses. L' Église en Pologne a eu un rôle déterminant dans la fin du régime soviétique. Elle était très structurée, avec une forte assise sociale. A l’heure de l’indépendance, elle est apparue au grand jour, forte et fière. Elle aussi avait souffert et avait ses « martyrs ».

La Pologne d’il y a plus de vingt ans était déjà une société très éduquée et si le système socialiste mettait en avant que le chômage n’y existait pas, il n'était que camouflé. Ces jeunes diplômés avaient très peu d’avenir et l’ouverture sur le monde y était quasi inexistante. Quant à leurs diplômes, bon nombre étaient inadaptés aux besoins de l’économie de marché vers laquelle se tournait inévitablement le pays à l’indépendance.

Lorsque la Pologne s’est libérée, peu sont ceux qui ont critiqué le poids et le retour en grâce du religieux. D’abord parce même si l’Église proposait une vision conservatrice de la société,  elle ne remettait pas en question le fait que la Pologne devait se tourner résolument vers la démocratie. Quant à l’impact de la transition économique et politique en matière sociale, il a été profond et majeur, l’État polonais ne pouvant plus financer ses entreprises et administrations publiques. Il a ainsi dû mettre en place des politiques sociales adaptées à la transition. Et le rôle de l’Église s’est poursuivi dans ce champ du social.

État et religion en Égypte : entre flux et reflux

La Tunisie comme l’Égypte ont choisi la voix socialiste à l’heure des indépendances. Dans les deux pays, le choix du développement par l’éducation a été défini, les États ayant entre autres pour rôle de recruter ces diplômés au sein des entreprises publiques et administrations qui sont ainsi rapidement devenues pléthoriques. Au cours des trente dernières années, des périodes de crise ont affecté la capacité de l’État de ces deux pays à continuer à fonctionner ainsi. Des coupes franches ont dû être réalisées et l’État a dû réduire sa voilure avec la mise en place de plans de rigueur.

Ce qui voulait dire entre autres, ne plus pouvoir offrir un avenir à sa jeunesse grandissante et laisser la place à des politiques sociales et à d’autres forces organisées de la société, en particulier les mosquées. La situation égyptienne l’illustre bien : à chaque repli de l’État, la place vide dans le champ du social était prise de manière quasi immédiate par les Frères Musulmans, mais lorsque leur rôle tendait à être trop important voire dangereux, l’État prenait des mesures de rétorsions brutales à leur égard. Il n’y a eu de cesse d’y avoir un flux et reflux entre l’État et les Frères musulmans. Avec la fin des dictatures et de systèmes étatiques hyper-concentrés, le renouveau du religieux en Tunisie comme en Égypte est logique pour ceux qui ont longtemps été laissés pour compte et pour qui les régimes précédents tournés vers l’Occident ne leur renvoient que l’image du despotisme et de la corruption.

Faut-il avoir peur des islamistes ?

Pour revenir à la Tunisie et à la distinction avec la Pologne, pourquoi s’inquiète-t-on aujourd’hui des islamistes en Tunisie ? La Pologne d’il y a vingt ans n’était pas constituée d’une population jeune aussi importante et la situation sociale y était probablement moins « explosive ». L’Église a appuyé la démocratie et a joué un vrai rôle quant à son émergence et si un certain nombre de législations reflètent sa position – interdiction toujours actuelle du droit à l’avortement etc.–, la Pologne au final n’est en effet pas un pays laïque. Mais l’Église a su d’une certaine façon s’ouvrir sur le monde, même si elle n’est pas un acteur majeur de la modernité. Aussi, n’a-t-elle jamais été l’initiatrice d’attentats aveugles en Pologne.

La Tunisie est un pays avec une forte population de jeunes. La question sociale des ruraux et de ceux qui quittent le monde rural pour aller dans les banlieues des grandes villes, délaissés par les systèmes précédents, ainsi que des jeunes qu’ils soient diplômés ou non, est majeure. Quant aux islamistes, c’est à leur propre population qu’ils doivent démontrer qu’ils sont capables de jouer le jeu démocratique et qu’en devenant une force politique, ils peuvent aussi se montrer « modernistes ».

La démocratie n’est pas une fin en soi, elle est le début d’une nouvelle ère

Les enjeux de ces élections tunisiennes à venir, au-delà de la simple question constitutionnelle, sont : comment créer de la richesse et proposer un avenir à la population et avec quel avenir ? Comment traiter les problèmes sociaux ? Quelle place pour la Tunisie et quelles relations avec ses voisins arabes, européens, ou autres ? Et si la question sociale et / ou identitaire est cruciale, c’est aussi parce qu’une élection gagnante pour Ennahdha risque d’avoir des conséquences bien plus larges. D’abord sur les investissements étrangers – et en particulier occidentaux qui sont ses premiers partenaires commerciaux – et sur le tourisme dans le pays, ce dont la Tunisie a cruellement besoin pour l’aider à mener à bien ses réformes.

Ensuite sur le risque d’un retour à un certain conservatisme avec des conséquences possibles sur les « acquis sociaux » en particulier sur la place des femmes dans la société tunisienne. Enfin, le risque est à nouveau de voir croitre le nombre de candidats à l’exil, et de voir aussi en Europe dans nos banlieues, un retour à certaines traditions au nom d’une certaine vision de l’Islam, voire à une radicalité de certains comportements. Or la radicalité de certaines franges de la population, engendre la radicalité d’autres franges de la société.

De même, le score d’Ennahdha en Tunisie, s’il s’avère important, pourrait ralentir l’élan d’espoir lancé par cette jeunesse en soif de devenir, non seulement en Tunisie, mais dans de nombreuses parties du monde, que ce soit dans le monde arabe, ou, entre autres, en Afrique sub-saharienne et donner par contre une assise bien plus forte à des groupuscules plus conservateurs, voire radicaux.

Et si l’émergence d’un Islam politique dans les pays du Maghreb inquiète l’Europe, elle inquiète aussi et surtout certaines parties de la population de ces pays, qui voient avec regret, voire avec crainte, émerger des projets de société traditionaliste qui ne leur semblent pas en adéquation avec leur vie, leurs acquis et l’évolution du monde. La transition économique, politique et sociale est un long cheminement. La démocratie n’est pas une fin en soit, elle marque le début d’une ère nouvelle : en cela, elle se doit de répondre à l’ensemble de la société dans toutes ses composantes, modernistes et conservatrices. Toutefois,  ce n’est que par une vraie vision en matière de développement et une croissance économique et sociale forte que l’État reprendra sa place au sein de la société et que les franges conservatrices seront contenues.

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