Trafics en prison : le redoutable défi de la qualité du personnel pénitentiaire<!-- --> | Atlantico.fr
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Centre Pénitentiaire Sud-Francilien à Reau, près de Paris.
Centre Pénitentiaire Sud-Francilien à Reau, près de Paris.
©THOMAS SAMSON / AFP

Des moyens insuffisants

Six surveillants de la prison de Réau (Seine-et-Marne) ont été placés en garde à vue la semaine dernière avant d’être présentés à un juge d'instruction pour avoir participé à divers trafics, notamment de stupéfiants, a annoncé le procureur de Melun.

Valérie-Odile Dervieux

Valérie-Odile Dervieux

Valérie-Odile Dervieux est magistrate, déléguée Unité Magistrats SNM FO.

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Jean-Pierre Escarfail

Jean-Pierre Escarfail

Jean-Pierre Escarfail, ingénieur-docteur-es-sciences, a travaillé dans l’industrie et le conseil, notamment chez McKinsey. Après le procès de Guy Georges, assassin de sa fille Pascale, il crée l'Association   pour   la   Protection contre les Agressions et Crimes Sexuels (APACS) et se consacre à l’amélioration des processus judicaires. Membre du Comité de Réflexion sur la Justice Pénale et d’une Commission Pluridisciplinaire des Mesures de Sureté, il participe aujourd’hui aux Etats Généraux de la Justice.

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Atlantico : Quelle est la situation aujourd’hui des surveillants ? Comment a-t-elle évolué ces dernières années ?

Valérie-Odile Dervieux : Les gardiens de prison bénéficient depuis le 1er janvier 2024 d'une revalorisation indiciaire puisqu'ils passent de catégorie C à B. C’est quand même très important.

Et pourquoi il y a cette revalorisation ? Ce n’est pas parce qu’on va augmenter le niveau de recrutement, mais c'est juste parce qu’en fait on a du mal à recruter. C'est un sujet récurrent qui existe depuis plusieurs années. En réalité, la question se pose de savoir comment on recrute les surveillants de l'administration pénitentiaire. Le fait-on encore par vocation ? Pour faciliter la tâche des nouveaux entrants, on a commencé par faire des concours régionaux pour que les gens restent dans leur région et la certitude de retourner dans la région rapidement. Ensuite, ils ont lancé des primes de fidélité pour les gens qui restent en région parisienne ou dans les secteurs où il y a moins d'attractivité. Et là, le gouvernement a fait une revalorisation importante puisque le corps d'encadrement passe de catégorie B à catégorie A et comme je vous l’ai dit, les surveillants passent de catégorie C à catégorie B. C’est un pas fait en avant même si la crise de recrutement est une réalité. Dans le cas de Reau, précisons tout de même qu'ils sont pour le moment présumés innocents.

Travailler en prison dans les conditions qu'on connaît reste ardu. Et ensuite, sur le lien fait entre la corruption et les conditions des agents de l'administration pénitentiaire, je dois dire que je suis très réservée. Alors oui ces histoires de corruption ou d'erreurs, elles existent, mais elles ne sont pas liées à un statut de précarité ou à un niveau de rémunération. Elles sont liées à la malhonnêteté de certains. Ils sont rares. Ce qu'il faut dire, c'est que quand on est dans un milieu fermé, avec des tentations, avec des gens qui proposent, et puis surtout, comme cela avait été souligné lors de l'audition sur le narcotrafic, des détenus qui ont des moyens exceptionnels, les risques sont plus grands. Et cela ne concerne pas que des surveillants. A Meaux, une greffière avait également été mise en cause fin 2023. 

Dans la fameuse commission sénatoriale sur le narcotrafic, ils ont évoqué cette crainte de corruption chez les avocats, les greffiers et les magistrats. Il y a un risque parce qu'on est face à des gens qui ont des moyens phénoménaux et qui sont capables de les mettre en œuvre. Les agents, eux, sont susceptibles d'y être sensibles, soit par bêtise parce que quelqu'un les a charmés, soit par avidité.

Mais nous avons en France un corps qui est formé, tenu à des règles déontologiques (liées au serment) et averti des dangers. En revanche, on doit interroger les conditions de recrutement. Et cela reste compliqué de travailler en milieu fermé, ne serait-ce qu’à cause de la surpopulation pénale, laquelle n'est pas liée à une plus forte sévérité des juridictions, mais à un manque de bâtiments. A cet égard, le programme de construction de prisons interroge la capacité de recrutement de personnels pénitentiaires. En effet, le ministère se doit d'améliorer les conditions de travail et de rémunération.

La procédure d'infraction pénale est tellement compliquée, elle est tellement enserrée dans des délais à peine de nullité ou à peine de remise en liberté qu'il suffit d'une erreur d'enregistrement, d'un oubli d'enregistrement, pour que le mis en examen placé en détention provisoire sorte. C’est pourquoi il est tentant pour certains prisonniers de vouloir corrompre le surveillant. 

Jean-Pierre Escarfail : Pour être surveillant de l’AP, il faut réussir un concours (diplôme national du brevet), puis effectuer une formation de 6 mois à École nationale pénitentiaire. Le statut rénové des surveillants leur permet d'évoluer plus rapidement vers des fonctions d'encadrement (premier surveillant, major), puis d'accéder à des postes de commandement (lieutenant, capitaine, commandant pénitentiaires). Les postes de commandement sont accessibles aux surveillants âgés d'au moins 38 ans et justifiant de 12 ans de service dont 5 d'encadrement.

Le salaire du débutant est à partir de 2190 euros brut par mois, soit 24% au-dessus du SMIC. Les primes (liées aux horaires décalés, à l'éloignement géographique...) peuvent augmenter le salaire de manière conséquente.

On peut donc penser que le salaire n’est pas en rapport avec les caractéristiques particulières du métier pratiqué :

·      Image négative à l’extérieur

·      Risques d’agressions verbales ou même physiques, celles-ci se produisent régulièrement

·      Mission complexe : assurer la surveillance et surtout, contribuer à la réinsertion

Leurs conditions de travail et les difficultés de recrutement peuvent-elles expliquer qu’on en arrive à des situations telles que celles évoquées ci-dessus ?

Valérie-Odile Dervieux : Ce sont des concours régionaux, des concours locaux. Mais c'est comme pour la police, on essaye de faire de la diversification et c'est bien parce qu'on ne peut pas avoir que la même catégorie sociale. Problème : il faut que les gens soient sur place parce que c'est beaucoup plus facile de recruter. Mais le temps où on disait « vous allez faire un concours et vous êtes tellement heureux d'avoir ce concours que vous allez partir dans toute la France » est révolu. On ne peut plus recruter comme ça.

Et donc il y a eu la régionalisation des concours de catégorie B, et puis aussi les possibilités d'évolution interne, de formation, de spécialisation et de mobilité interne. Il y a une politique sociale qui est quand même assez bien organisée. En fait, à partir du moment où on a du mal à recruter, on fait des efforts. Mais cela reste insuffisant.

Jean-Pierre Escarfail : Les difficultés de recrutement découlent directement des données ci-dessus. La seule réponse possible n’est bien-sûr pas le comportement des surveillants de Réau incriminés. Elle est entièrement dans les mains de la hiérarchie, du Ministre de la Justice au directeur de l’AP et à ses collaborateurs. 

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