SOS pénurie d’obus made in Europe : l’économie de guerre, cette stratégie que les gouvernements de l’Union semblent incapables de comprendre <!-- --> | Atlantico.fr
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Une fleur est photographiée dans le canon d'un char soviétique T34 au Tiergarten du Mémorial de la guerre soviétique à Berlin, le 8 mai 2023.
Une fleur est photographiée dans le canon d'un char soviétique T34 au Tiergarten du Mémorial de la guerre soviétique à Berlin, le 8 mai 2023.
©JOHN MACDOUGALL / AFP

Efforts de guerre

Le Canada, la Pologne, l'Allemagne et les Pays-Bas ont pris l'engagement spécifique d'acquérir 500 000 obus en provenance de l'Ukraine en dehors de l'Europe, en soutien à la République tchèque. Une économie de guerre va-t-elle être mise en place ?

Sylvie Matelly

Sylvie Matelly

Sylvie Matelly est Docteur en sciences économiques et directrice-adjointe de recherche à l'IRIS, spécialiste des questions d'économie internationale et d'économie de la Défense. 

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Atlantico : Comment peut-on définir une économie de guerre ? Est-elle déployée seulement en cas de conflit direct, comme actuellement en Russie, ou est-ce possible de s’en servir dans d’autres situations ?

Sylvie Matelly : Une économie de guerre est lorsqu'une économie se met entièrement au service d'un conflit, qu'il soit sur le territoire national et que le pays soit directement impliqué, ou que le pays veille à s'engager et à soutenir l'effort de guerre d’un autre pays. L'État réquisitionne un certain nombre de moyens de production, donc d'usines et de chaînes de production, pour produire des équipements militaires, ou pour produire des équipements, des composants, des éléments qui vont permettre de soutenir l'effort de guerre, pour permettre de donner les armements aux soldats. Par exemple, les Etats-Unis se sont mis en économie de guerre au tout début de la Seconde Guerre mondiale (alors même qu'ils n'étaient pas impliqués dans le conflit) pour deux raisons. D’une part pour soutenir l'effort de guerre des Britanniques, mais aussi dans la perspective que tôt ou tard, ils entreraient dans ce conflit et qu'il fallait qu'ils soient suffisamment équipés. 

L’économie de guerre peut également être employée dans d'autres circonstances. On emploie le concept d'économie de guerre à chaque fois que l'État réquisitionne un certain nombre de moyens de production pour finalement soutenir un effort quel qu'il soit. Lors de la crise du Covid-19 cette stratégie économique a été évoquée pour la production des masques, des respirateurs…

Une vingtaine de pays se sont engagés avec la République Tchèque à fournir 500 000 obus à l'Ukraine. Cependant pour produire ces armes il faut du coton, qui est majoritairement produit en Chine. Comment l’Europe peut-elle réquisitionner les matières nécessaires ?

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Depuis l'après-crise de 2008, et en particulier encore plus depuis la pandémie de Covid,  on a réalisé combien on s' était mis en situation de très forte dépendance vis-à-vis de la Chine. On s’est aperçu qu’il fallait repenser nos relations commerciales avec le reste du monde pour diversifier nos sources d'approvisionnement. Ça ne veut pas qu'on n'échange plus avec la Chine, mais que l’on réduise ces dépendances. 

Aujourd'hui des cartographies de ces dépendances ont été faites. Elles nous apprennent que la transition énergétique et l'objectif de neutralité carbone que se sont fixés les Européens au travers du pacte vert est entièrement dépendant également d'approvisionnement  de la Chine, parce que c’est le seul pays au monde, actuellement, à avoir véritablement toute la capacité de raffiner les matières premières qui sont nécessaires à cette transition. Les Européens se sont engagés à réduire cette dépendance puisqu'ils ont décidé qu'ils allaient essayer de négocier des partenariats avec un certain nombre de pays extracteurs de matières premières et ayant des réserves de matières premières nécessaires à la transition énergétique. Ils ont également réfléchi à de potentielles nouvelles ouvertures de mines et à investir dans des capacités de raffinage des matières premières, voire des usines de fabrication des composants qu'exporte aujourd'hui la Chine. C'est toute la difficulté aujourd'hui vis-à-vis de l'Ukraine. Nous n’avons pas réquisitionné des entreprises du secteur commercial pour produire des obus mais nous avons essayé d'accélérer les cadences dans les entreprises qui fabriquaient déjà des obus et des munitions.  Quand le rythme de production augmente il faut prévoir des êtres humains. Pour fabriquer des armes, il faut également des semi-conducteurs.  Cela suppose de prendre une décision d'investissement, ce qui prend des années. 

Après les sanctions imposées à la Russie, Valdimir Poutine ne pouvait pas passer à côté d’une économie de guerre en faisant des efforts de production. Est-ce que l’Europe doit-elle également réorganiser son modèle de défense ?

Par rapport aux pays européens, Vladimir Poutine est engagé dans le conflit. La Russie a des hommes qui sur le front ont besoin d’être équipés et approvisionnés en obus, en munitions… C'est un premier élément qui lui a imposé de véritablement investir massivement dans son industrie de défense pour accélérer les cadences et produire plus. De plus, il se retrouve dans une situation où, du fait de la guerre, il y a un certain nombre d'entreprises qui ne tournent plus au plein régime, qui sont ralenties par ces sanctions qui peuvent limiter l'approvisionnement de certains composants. Vladimir Poutine a été capable de réquisitionner ces usines impactées pour les utiliser à des fins de production d'armement. 

En Europe, il n'y a pas de pression de guerre directe. Nous avons aussi une économie qui tourne. Est-ce qu'on va demander à l'industrie automobile d'arrêter de ralentir sa production pour réduire les bénéfices en vue de libérer des salariés sur certaines productions et aller produire des armes ? C'est un choix qui est très compliqué.

L’économie de guerre a des conséquences sur la croissance économique. Il n'empêche qu'on est dans des économies diversifiées où la croissance est fondée en Europe sur la consommation. Si vous ralentissez cela, vous perdez des clients, vous affaiblissez aussi pour les années qui viennent. Ce qui fait réfléchir les décideurs politiques européens.

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