S&P optimiste sur la situation française : mais qui écoute encore les agences de notation ? <!-- --> | Atlantico.fr
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L'agence de notation Standard & Poor's s'est déclarée optimiste sur la situation française.
L'agence de notation Standard & Poor's s'est déclarée optimiste sur la situation française.
©Reuters

Machine à sous

Si les agences de notation étaient amenées à disparaître, seuls les établissements puissants et riches pourraient déployer les moyens utiles afin d'évaluer les actifs, imposant aux autres leurs analyses et leurs choix.

Pascal Ordonneau

Pascal Ordonneau

Pascal Ordonneau est l'ancien patron du marketing chez Citibank, ancien Directeur général des groupes Crédit Lyonnais et HSBC.

Il a notamment publié La désillusion, abécédaire décalé et critique de la banque et de la finance, paru aux éditions Jacques Flament en 2011.  Il publie également "Au pays de l'eau et des dieux"

Il tient également un blog évoquant les questions économiques et financières.

 

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Aux Etats-Unis, on plaisante de moins en moins avec les histoires de produits financiers avariés. S’il ne s’était agi que de dates de péremptions dépassées, peut-être n’y aurait-il pas eu tout ce "fuss".  C’est un grand classique que celui des produits financiers qui ont l’air chouette quand on les conçoit et qui font une très piètre figure quand on les a vendus. Ils ont un train de retard. Ça arrive. La question ne tourne pas autour de produits qu’on a trop gonflés comme des ballons de fêtes foraines. Il s’agit de produits qui se sont révélés défectueux parce qu’ils ont intégré des éléments déclarés excellents pour le service alors qu’ils ne l’étaient pas. Imaginez qu’un constructeur d’avions ait demandé la mise sur le marché de son petit dernier en prétendant que les réacteurs étaient certifiées "default proof". Imaginez qu’on ait recueilli l’avis d’un expert, sympathique au point de suggérer une façon créative de présenter le dossier d’homologation, avec des composants pas très au point.  Imaginez que l’expert réputé et incontestable ait donné un satisfecit technique aux pièces, en anticipant une mise au point ultérieure. Cessons d’imaginer, c’est exactement ce qui est reproché à la plus grande et la plus célèbre agence de notation américaine : standard and poors….

La notation des Agences de Notation se dégrade !

En particulier, dans le cadre des subprime, Standart and Poors se voit reprocher d’avoir, à la fois, conseillé les opérateurs responsables de la conception de produits complexes et de leur avoir indiqué les meilleures façons de faire pour obtenir quoi qu’il en soit une bonne note. Il lui est aussi reproché d’avoir délivré des triples A à certains composants des produits dits "subprime" en négligeant les informations qui montraient la fragilité des portefeuilles de crédits sous-jacents.

Le gouvernement américain a lancé les procédures contre l’Agence de notation car celle-ci, dit-on, n’aurait pas voulu accepter le montant des amendes dans le cadre d’un "plaider coupable" et de s’acquitter d’une somme de 5 milliards de dollars pour compenser les dommages occasionnés.  Si le gouvernement s’en prend à Standart and Poors, il est clair que la justice des Etats membres des Etats-Unis va suivre. Si on s’en prend à cette Agence, il y a fort à parier que les autres suivront et risqueront d’être condamnées à des sommes colossales. Les conséquences viennent déjà de tomber sous la forme d’une …dégradation de la note de Standart and Poors. Vous ne rêvez pas : Fitch, l’une des "trois agences", a décidé compte-tenu des périls pesant sur sa consœur de la dégrader à BBB+ contre A, et la maison-mère, MacGraw Hill, par la même occasion !

5 milliards de dollars…et ce ne serait qu’un début : imaginons le pire (ou le meilleur pour certains commentateurs) la disparition d’une des trois principales agences de notation. Imaginons que, dans la foulée, ses consœurs, victimes elles aussi des attaques frontales du gouvernement américain et du gouvernement allemand (ne pas oublier que les banques allemandes ont perdu des dizaines de milliards de dollars dans les produits financiers "subprime"), puis des autres, rabattent de la voilure ou trépassent : que se passerait-il ?

Ce qui revient à poser la question, à nouveau, à quoi servent les agences de notation ?

Pourquoi n’avoir pas vu plus tôt qu’elles fonctionnaient un peu curieusement, (à l’envers) payées qu’elles étaient par les bénéficiaires de leurs notation au lieu de l’être par les investisseurs censés prendre les risques des prêts et souscriptions au capital desdits bénéficiaires…

L’importance donnée aux agences de notation est un sous-produit de la mondialisation des marchés de capitaux, d’une part, et, de l’autre, des exigences nées des fameux ratios Cooke et Macdonough dont la force contraignante a pris une dimension considérable au fur et à mesure des incidents, des crises boursières et de la dernière crise bancaire et financière. La problématique est en effet simplissime : pour que les marchés financiers et bancaires puissent fonctionner dans des conditions de sécurité maximum, il est essentiel que les intervenants, qu’ils soient banquiers, assureurs, courtiers, asset-managers puissent disposer de moyens de jugement à valeur sinon universelle au moins mondiale. Parmi ces moyens, il faut compter les contraintes comptables dérivant des accords de Bâle : juger d’une entreprise ou d’un acteur bancaire ou financier japonais, uruguayen ou allemand doit pouvoir se faire sans se demander si leurs bilans ne comportent que des spécificités locales rendant extrêmement délicates et complexes toute comparaison mais surtout rendant très coûteux le simple fait de pouvoir se faire une opinion sur les bilans concernés. L’harmonisation des présentations comptables résultant des normes agréées par les accords de Bâle était censée permettre de qualifier les bilans dans des conditions sécurisées, homogènes et communes à l’ensemble des intervenants qu’ils fussent investisseurs ou emprunteurs.

Que les normes comptables soient harmonisées est une belle chose, mais cela ne dit ce que contiennent les comptes ni la qualité de ce qui y est inscrit. Comment s’assurer qu’un compte d’actifs consacré aux créances hypothécaires, tout normalisé qu’il soit, c’est-à-dire ne comprenant "que des créances vraiment hypothécaires", enregistre des créances hypothécaires dont la valeur est homogène ? Qui va dire, à partir de quand, la valeur des créances est impactée par des évènements adverses, relatifs les uns aux marchés des biens immobiliers, les autres aux risques d’impayés et ainsi de suite ? La réponse "normale" est que la valeur des postes d’actifs, pour prendre cet exemple, est donnée par l’établissement concerné. C’est à celui qui a prêté de juger si ses créances sont bien garanties ou non. C’est à lui aussi de prévoir les dépréciations, s’il y a des impayés etc….sauf que la banque uruguayenne ne raisonne pas nécessairement comme la banque allemande qui ne pense pas "valeur des créances" comme la banque indonésienne. Ce qui est fort ennuyeux si on veut formuler un jugement sur leur solidité.

La notation par des Agences : une solution élégante et commode

La solution est finalement venue de l’acceptation par le monde bancaire et financier, mais aussi par les régulateurs d’un processus de notation externe. Il n’est alors pas nécessaire de se lancer dans des grandes études compliquées avec des armées coûteuses de chargés d’Etudes pour interpréter les bilans des milliers d’institutions actives dans le monde. Il suffit qu’elles aient reçu une note de la part d’un noteur reconnu, agréé, approuvé et inscrit selon les règles de l’art. C’est ainsi que, la nature financière ayant horreur du vide, celui de l’appréciation et de la normalisation des valeurs a été rempli par les Agences de notation. Comme, en matière de notation, les plus réputés étaient représentés par le fameux trio : S&P, Moody’s, Fitch…tous américains, les trois agences de notation raflèrent l’essentiel du marché.

Si on revient un peu en arrière dans ce rappel succinct du rôle des Agences de notation, c’est aussi parce que les conséquences en matière de compétences des intervenants sur les marchés bancaires et financiers sont graves. Les agences de notation, peu ou prou, se sont substituées aux investisseurs pour évaluer les actifs et décider de leur niveau de sécurité. On imagine qu’il y a là un énorme avantage pour ces derniers et, par voie de conséquence, pour les emprunteurs : un avantage de coûts. Les investisseurs, s’ils recherchent un actif de n’importe quelle nature pour satisfaire soit un client, soit leurs besoins propres, ont trouvé dans les agences de notation un moyen commode pour agir sans perdre le temps de l’analyse, sans avoir à en supporter les coûts.

On imagine la simplification que cela représente. Acheter de la dette émise par une Banque uruguayenne revient pour un banquier de Singapour à vérifier les éléments financiers et à ne s’intéresser au degré de risques de l’opération qu’en considérant la notation reçue par cette banque. C’est quand même plus simple…mais aussi, c’est redoutable en matière d’irresponsabilité. A deux titres : à force de se reposer sur les notations, les établissements ont perdu les équipes et le savoir-faire en matière d’évaluation des risques. Ils se sont mis eux-mêmes dans des situations incontrôlables, lorsque pour une raison ou une autre l’actif qu’ils ont acquis est décoté.

Alors, les Agences de notation seraient devenues incontournables, fournissant une prestation indispensable à des acteurs qui se sont dépouillés de toute capacité à l’assurer ? Sans agence de notation, il faudrait que les investisseurs en reviennent aux formules d’antan : l’évaluation des actifs, des emprunteurs, des produits financiers par leurs propres services et leurs propres moyens. Avec les coûts que cela induit, les prix de toutes les transactions augmenteraient. Les emprunteurs seraient les victimes etc. ou peut-on dire que toute une série d’investisseurs de petites tailles, donc à compétence nécessairement réduite, serait "sorti" des marchés ? Les myriades de fonds communs de placement incapables de fournir des ressources d’études, de petites sociétés d’assurance, mutualiste ou non ne pourraient pas prétendre servir leurs clients. Ceux-ci ne pourraient pas se reposer sur des compétences au mieux limitées, au pire inexistante.

Réinventer les Agences… le jour où les Agences de notation auront disparu…

Difficile d’imaginer pareille régression sauf à accepter l’idée que seuls les établissements puissants et riches pourraient déployer les moyens utiles, imposant aux autres, leurs analyses et leurs choix. Ce serait passer de la domination d’un trio, à la domination d’une dizaine de monstres financiers… dont les intérêts en tant qu’investisseurs pourraient aller en conflit avec ceux de leurs clients.

La mise en cause du trio monopolistique, voir son démantèlement, par affaiblissement des uns et des autres ne doit-elle conduire qu’à l’archaïsme des pratiques d’il y a un demi-siècle ? N’est-ce pas l’occasion rêvée d’introduire enfin de l’ordre et de la méthode dans un univers qui s’est montré trop souvent irresponsable, désordonné et incompétent ? Comment a-t-on pu si longtemps imaginer que les trois agences pourraient noter tous les agents de l’économie, tous les produits financiers, tout le temps ? Il est temps d’évoluer et de faire en sorte que les collectivités publiques, Etat, organismes étatiques, Régions, communes, villes soient l’objet de processus de notation séparés. Il est temps aussi que les notations des très grandes institutions financières et bancaires, les "systémiques", soient confiées à des organismes supranationaux voire à caractère mondial. Il est temps aussi que soient créées des agences à vocation locale, compétentes dans des sphères géographiques spécialisées. Il est temps enfin que les règles de gouvernance et du processus de la notation soient régulés de façon homogène dans toutes les grandes zones économiques.

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