S’attaquer aux écrans et aux réseaux sociaux ? Quand Gabriel Attal se trompe de cible (spoiler : l’ennemi, ce sont les algorithmes)<!-- --> | Atlantico.fr
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Un écran de smartphone affiche différents réseaux sociaux accessibles sur le téléphone portable en question.
Un écran de smartphone affiche différents réseaux sociaux accessibles sur le téléphone portable en question.
©Sébastien Bozon / AFP

Addiction

Dans le cadre de ses propositions pour lutter contre la violence chez les jeunes, Gabriel Attal souhaite réguler l'usage des écrans et des réseaux sociaux. La difficulté centrale ne concerne-t-elle pas les mécanismes à l'œuvre au cœur des algorithmes des réseaux sociaux ?

Julien Pillot

Julien Pillot

Julien Pillot est Enseignant-Chercheur en économie (Inseec Grande Ecole) / Chercheur associé CNRS.

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Atlantico : Le Premier ministre Gabriel Attal a dévoilé son plan pour lutter contre la violence chez les jeunes, notamment à l’école. L'une des raisons du mal, selon le chef du gouvernement, réside dans la surconsommation des écrans. Est-ce que le Premier ministre se trompe de cible ? La vraie difficulté ne vient-elle pas des algorithmes des réseaux sociaux notamment et de leurs mécanismes qui finissent par rendre dépendants ?

Julien Pillot : La notion de surconsommation d'écrans interroge. Cette consommation d’écrans doit être mise en perspective avec les usages qui en sont faits. Il faut s’interroger sur ce que les jeunes font concrètement devant ces écrans. Un utilisateur qui passe trois heures à consulter des vidéos pour se divertir sur TikTok n'a pas exactement le même usage que quelqu'un qui passerait trois heures sur une encyclopédie en ligne. 

Le profil psychologique de la personne qui va passer du temps sur un écran a aussi son importance. Certaines personnes peuvent rester plusieurs heures devant des contenus de divertissement sans développer une quelconque addiction ou comportement problématique. Il y a, en creux, une question de discernement et de détachement individuel vis-à-vis des contenus qui sont consommés en ligne, et très probablement des profils psychologiques qui sont beaucoup plus sensibles et friables face à cette consommation effrénée de contenus sur Internet. Il ne faudrait pas que les écrans deviennent des boucs émissaires et concentrent les problématiques qui se jouent ailleurs dans la société, comme cela a pu être le cas pour les jeux vidéo qui ont été diabolisés dès qu’il y avait un fait divers qui concernait des adolescents. S'ils avaient pour habitude de jouer à des jeux vidéo, le cas échéant, des raccourcis extrêmement rapides étaient faits. Certains affirmaient, sans que la moindre étude scientifique ait pu mettre en avant un quelconque lien causal, qu’un jeune qui avait passé plusieurs heures à jouer sur Counter-Strike pouvait s’adonner à des rixes ou à des événements encore plus dramatiques. 

Les écrans ne sont que des vecteurs qui renvoient une image de la société qui est devenue extrêmement violente et notamment au sein de la jeunesse. Mais les raisons qui ont provoqué cet « ensauvagement » de la jeunesse, pour reprendre un terme qui a été à la mode, ne sont pas entièrement imputables aux écrans. Elles sont multiples : désœuvrement, absence de perspectives, parents démissionnaires, crise d'autorité et rapport conflictuel aux institutions, américanisation de la société, avec notamment une importation de la "street culture". Il y en a bien d'autres. Les écrans n'ont été que le catalyseur qui ont permis à des jeunes à la violence latente de se coordonner et de provoquer ce qu'on a pu voir pendant les émeutes de l'été dernier. Les écrans vont donc favoriser des effets d'entrainement, mais les faire disparaître n'annihilerait pas cette violence latente qui prend ses racines ailleurs. Il faut donc faire extrêmement attention à ne pas confondre les causes et les conséquences. Les écrans ne sont jamais qu’un vecteur. Ils n'expliquent pas pourquoi notre jeunesse devient extrêmement violente et ne peuvent porter seuls l’entière responsabilité de la crise.

Dans son plan, le Premier ministre Gabriel Attal n'évoque pas les algorithmes des plateformes de contenus. Est-ce un angle mort important de son dispositif ? Quelles sont les stratégies déployées par les réseaux sociaux via les algorithmes ?

Les algorithmes représentent un angle mort que je qualifierais de "relatif". Il est vrai que jusqu'à présent, les régulateurs et les législateurs ont eu du mal à contraindre les acteurs du numérique et les opérateurs de plateformes à être parfaitement transparents quant à la manière dont les algorithmes fonctionnent. Avec le Digital Service Act qui entre en application, il sera possible d’avoir plus facilement des réponses à ces questions-là à l'avenir. En revanche, au-delà du cas par cas, leur fonctionnement général ne fait plus guère de mystère : les algorithmes, tels qu'ils sont pensés puis programmés par les opérateurs de réseaux sociaux, sont conçus de telle sorte qu’ils doivent générer un "engagement" fort et durable. En contexte concurrentiel pour capter l'attention des utilisateurs, il faut créer les conditions pour que vous passiez le plus de temps possible à consulter le plus de contenus imaginables et à divulguer autant de données personnelles que possible sur vous sur la plateforme X et pas sur la plateforme Y. Les opérateurs de plateformes ont compris que le meilleur moyen de pouvoir stimuler cet engagement sur le long terme était de proposer des contenus qui soient les plus générateurs d'engagement. 

On aimerait que ces contenus générateurs d'engagement soient des contenus éducatifs, pédagogiques ou culturels, mais il n'en est rien. En réalité, cela concerne plutôt des contenus de divertissement, des contenus de marketing, les challenges le plus souvent parfaitement dangereux et idiots, et aussi des contenus sociétaux qui vont susciter la polémique et la démagogie, le tout, sans le moindre filtre. Le fait que ce soient ces contenus qui sont plébiscités traduit aussi quelque chose sur l'état de notre société et de notre jeunesse. 

Enfin, il faut comprendre que de nombreuses entités, bien organisées et financées, vont s'appuyer sur cette puissance algorithmique et la propension des internautes, et notamment des plus jeunes, à consommer ces contenus sans exercer d'esprit critique pour mener leurs stratégies d'influence.De l'influence marketing d'une part, mais également de l'influence politique, idéologique ou prosélyte. Ces entités peuvent avoir pour intérêt de déstabiliser des gouvernements et jouer sur les phénomènes d'agglomération propres aux réseaux sociaux pour manipuler ou stimuler l'algorithme, et recourir sans vergogne aux fakes.

Quelles sont les solutions que le gouvernement doit mettre en place pour lutter efficacement contre les effets néfastes des réseaux sociaux pour notre jeunesse et contre certains algorithmes malveillants ?

Le problème est systémique et il n’est pas possible de le cantonner au seul segment de la jeunesse. Sur les réseaux sociaux, il y a une offre, il y a une demande et il faut avoir une réflexion sur ces deux dimensions là. Du côté de l'offre, il faut avoir une action plus décisive sur la façon dont les opérateurs de réseaux sociaux gèrent leurs affaires aujourd'hui. Le DSA va nous y aider, mais il ne règlera pas tous les problèmes. La co-modération peut être une solution pour contrôler de façon plus proactive les contenus qui se propagent sur les réseaux. Un contrôle également plus précis de l'âge des utilisateurs pourrait aussi permettre d'appliquer des filtres catégoriels différenciés. Les sanctions pour absence de conformité doivent tomber de façon plus systématique et rapide de façon à être dissuasives. Tant pour les plateformes qui hébergent les contenus, qu'envers les créateurs de contenus qui appellent ouvertement à la violence. La question du cryptage de certaines plateformes doit également être posée. 

Du côté de la demande, les options sur la table du gouvernement sont multiples. Certaines sont des options de long terme. La mise en place d’un plan d'éducation et d'acculturation au numérique peut être envisagée, de manière à sensibiliser les jeunes, mais aussi leurs parents, aux multiples dangers liés à une utilisation trop laxiste des outils numériques et notamment des réseaux sociaux. Car, bien des parents ne sont pas non plus suffisamment informés sur le type de contenus qui peuvent transiter par ces réseaux-là. 

Des actions de court terme peuvent aussi être menées. Je pense notamment à des mesures de bannissement temporaire ou définitive des mineurs qui créent ou relaient des contenus problématiques. Je pense aussi à l'interdiction des téléphones portables dans les enceintes scolaires du primaire et du secondaire. Cela permettrait de pousser à la déconnexion des écrans, et de reconnecter les jeunes à un temps utile d'apprentissage scolaire mais aussi à la vie en collectivité. Car, de façon quelque peu paradoxale, les écrans même s'ils sont force de connectivité et qu’ils nous connectent au monde entier, nous isolent sur le plan social puisqu'ils nous enferment dans une bulle. Enfin, sur le plan pénal, il n'est pas interdit de s'interroger sur la notion d’excuse de minorité. Bien des émeutiers l'été dernier étaient des mineurs. Ces mineurs n'ont pas pu vraiment être sanctionnés du fait de l’excuse de minorité. Or, les jeunes d'aujourd'hui ont des comportements différents de ceux des générations précédentes, mais surtout, et on y revient, ont un accès facilité à des outils d'une puissance de diffusion, de connexion et de coordination, inégalés. Le contexte a changé et l'arsenal juridique doit pouvoir évoluer pours'y adapter.

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