République fragilisée : aux origines de la fin du modèle assimilationniste et de la remise en cause de la laïcité<!-- --> | Atlantico.fr
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©JACQUES DEMARTHON / AFP

Bonnes feuilles

Pierre Vermeren publie "On a cassé la République, 150 ans d’histoire de la nation" aux éditions Tallandier. Depuis 1870, la République gouverne le peuple français. Les Français ont largement adhéré à ce régime qui a contribué à leur bien-être. Pourtant, aujourd'hui, nos concitoyens s'interrogent sur les impasses de notre démocratie. Extrait 1/2.

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren, historien, est président du Laboratoire d’analyse des ideologies contemporaines (LAIC), et a récemment publié, On a cassé la République, 150 ans d’histoire de la nation, Tallandier, Paris, 2020.

 

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Trois raisons principales ont présidé à ce choix à l’origine d’un tournant historique majeur de la société française. Il engage en effet l’avenir, et transforme profondément la République  : la fin du modèle assimilationniste, l’importation du communautarisme ethno-religieux, la remise en cause de la laïcité (réaffirmée ou « positivée »), les phénomènes de ségrégation spatiale et les regroupements de population, la dislocation de la culture commune, le changement des mœurs, ou la soumission aux ingérences politiques ou religieuses des mouvements ou États qui tentent de contrôler ces populations nouvelles .

La première raison est démographique. Quand Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac décident le regroupement familial quelques mois après l’arrêt de l’immigration du travail, ils redoutent, à l’instar de conseillers et de parlementaires, que la croissance démographique du pays ne s’interrompe. La France veut toujours rattraper l’Allemagne. Or, sa natalité s’effondre dans les années 1970  : la nouvelle génération des baby-boomers en âge de procréer prend son temps et jouit de l’existence grâce aux nouvelles lois ultérieurement qualifiées de sociétales ; leur priorité n’est plus de repeupler le territoire. Or, le regroupement familial permet de compenser sans mot dire la baisse annuelle de 120 000 naissances enregistrée entre 1965 et 1975. Ainsi émerge la génération des « beurs » au cours des années 1980, qui était inconnue des cortèges de Mai 68 (quelques étudiants maghrébins mis à part).

La deuxième raison est économique  : la fin de l’immigration du travail répond à la demande des syndicats ouvriers confrontés au chômage. Or, le patronat réclame désormais de nouveaux consommateurs pour compenser la baisse du pouvoir d’achat grignoté par l’inflation. En 1974, la France découvre le déficit budgétaire ; elle n’en sortira plus. La tentation est récurrente de faire des relances par la consommation, d’accroître les investissements publics, les subventions, les allocations de toutes sortes, les minima sociaux, les primes, etc. Plus le chômage s’accroît, plus la croissance régresse au fil des décennies, plus nos dirigeants sont persuadés que le salut passe par la consommation. À défaut de croissance par les exportations ou par le progrès technique, l’Hexagone en panne choisit le pouvoir d’achat : il consiste moins à augmenter les salaires que le nombre de consommateurs. Les grandes entreprises qui vivent de la consommation nationale (BTP, ameublement, immobilier, automobile, distribution, etc.) sont demandeuses. La France doit construire chaque année davantage de logements, de centres commerciaux, de bâtiments publics, etc., qui sont rentabilisés par le cycle de l’argent social : ce sont en effet les classes populaires qui sont ciblées. Le meilleur exemple est récent. Il s’agit des mineurs non accompagnés présents sur le territoire depuis 2016. En posant un pied sur le sol français, ils génèrent immédiatement une rente versée par la collectivité de 60 000 euros annuels (bien supérieure en cas de maladie), qui se retrouvent immédiatement dans le circuit marchand et financier. C’est le principe de l’économie sociale hors marché, en partie financée par l’endettement public.

La troisième raison est sociale et sociologique. La République est initialement une promesse adressée à tous les Français. La méritocratie, la juste récompense des capacités, les lois scolaires et les progrès de la scolarisation, le baccalauréat pour 80 % d’une classe d’âge, l’ascension sociale, la hausse des revenus et des droits sociaux, tout convergeait pour que les basses classes sociales s’élèvent. Or, depuis les années 1980, la méritocratie est tombée en panne. Il est difficile de s’élever et de sortir de sa condition sociale. Pourtant, au fil des décennies, pétris par le discours républicain égalitaire et méritocratique, les Français sont devenus exigeants. Au point que beaucoup refusent de se mettre au service des plus riches, de travailler pour de bas salaires ou d’affronter des conditions de travail pénibles (travaux publics, restauration, services d’aide à la personne, tâches jugées dégradantes).

En outre, la désindustrialisation de Paris et sa banlieue, qui s’est opérée dès les années 1980, a poussé des centaines de milliers de familles populaires à quitter l’Île-de-France, à l’instar des Bretons rentrés au pays. Ce phénomène a touché plusieurs métropoles devenues trop chères. Ainsi, les classes populaires françaises ont cessé de travailler au service des classes aisées : concierges, domesticité chez les plus riches – le pays compte 2,2 millions de millionnaires en 2019  –, restauration, garde d’enfants, de malades et de vieillards, et l’ubérisation du portage à domicile n’y a rien changé (elle est souvent sous-traitée). Le vide ainsi créé constitue la vraie pompe aspirante migratoire, car la bourgeoisie (surreprésentée en Île-de-France) a besoin de travailleurs à son service, alors que les Français ne répondent plus. Ce phénomène, difficile à qualifier, se traduit dans la langue populaire par l’expression  : « Je ne suis pas un larbin. » Or, il se reproduit une fois que les enfants des immigrés – devenus Français s’ils sont nés en France – sont passés par l’école de la République. Plus question pour eux de travailler comme leurs parents, en silence et pour de bas salaires. Cela justifie le filet constant de l’immigration, notamment le regroupement familial, qui permet de faire venir des personnes non qualifiées. Le cycle de la main-d’œuvre la plus « corvéable » peut ainsi recommencer.

À long terme, l’édifice social, culturel et politique de la société française se modifie sous l’influence de cette lente transformation du peuple, en particulier dans les métropoles. La moitié des 250 000 à 350 000 arrivants annuels s’installe en Île-de-France. La nature des polémiques et les sujets d’actualité en portent une trace d’autant plus manifeste que l’intégration n’est plus à l’ordre du jour. Abandonnée volontairement dans les années 1980 par la gauche de gouvernement, après avoir été conduite avec résolution par tous les gouvernements républicains depuis un siècle, l’intégration républicaine a cédé la place au multiculturalisme qui a débouché sur le communautarisme. Celui-ci donne lieu à deux phénomènes majeurs inédits dans la culture d’une République française de plus en plus américanisée. Il s’agit, d’une part, de la remise en cause de la laïcité, que les gouvernements peinent à appliquer strictement face aux pressions islamiques, en particulier pour l’édification de lieux de culte ; certains la voudraient désormais « positive » ou « inclusive », ce qui revient à sa remise en cause. Il s’agit, de l’autre, de l’intégration à la communauté nationale par l’école, qui est de plus en plus difficile. Or, non seulement l’école est entrée par étapes dans une crise endogène de la transmission, mais elle est confrontée à un vieux phénomène sociologique : plusieurs générations sont nécessaires pour réaliser l’ascension sociale d’une famille très investie, ainsi que l’illustre l’histoire de la République. Or, à l’âge des individus et de la rhétorique victimaire, ne pas attribuer un haut diplôme à des enfants d’ouvriers non francophones fraîchement arrivés en France apparaît comme attentatoire au principe d’égalité. Tout est ainsi réuni pour que l’école et la culture française soient décrétées discriminantes et disqualifiées.

Extrait du livre de Pierre Vermeren, "On a cassé la République, 150 ans d’histoire de la nation", publié aux éditions Tallandier

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