Référendum d'initiative populaire : la décision du Conseil Constitutionnel "accès des étrangers aux prestations sociales" plus intéressante qu'il n'y paraît<!-- --> | Atlantico.fr
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La Conseil constitutionnel vient de rendre une décision sur le RIP.
La Conseil constitutionnel vient de rendre une décision sur le RIP.
©LUDOVIC MARIN / AFP

RIP

Le Conseil constitutionnel a rejeté la procédure de référendum d'initiative partagée (RIP) sur l'immigration, initiée par Les Républicains. Les Sages estiment que les mesures des députés et sénateurs LR auraient porté une "atteinte disproportionnée" aux droits à la protection sociale des étrangers en situation régulière.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Le référendum d’initiative populaire (RIP) n’a pas chance. Malgré les efforts successifs de la gauche et de la droite, la perspective qu’un référendum ait lieu sur le fondement des alinéas 3 et suivants de l’article 11 de la Constitution n’est pour demain. La décision du Conseil constitutionnel du 11 avril 2024 rejetant la proposition de loi déposée par les députés LR n’a pas fait la une des journaux ni suscitée d’autres critiques que les habituelles réactions sur la difficulté de serrer les boulons en matière de prestation sociales accordées aux étrangers, en particulier à ceux qui sont en situation irrégulière. Il s’agit, en l’espèce, d’un épisode supplémentaire du feuilleton politique et constitutionnel sur la maitrise de l’immigration.

On sait que la droite sénatoriale et les éléments les plus engagés de LR avaient très mal pris la décision du Conseil constitutionnel du 25 janvier 2024 sur l’immigration estimant que le recours à la censure de nombreux articles en raison de leur caractère de « cavalier législatif » était contraire à la fois à la démocratie et aux engagements du gouvernement. Le dépôt d’une proposition de loi destinée à provoquer un référendum sur certains aspects de ces non conformités peut être interprété comme une vraie critique de la jurisprudence procédurière du Conseil constitutionnel.

Le contenu de cette proposition comprend :

- l’exigence d’une durée minimale de séjour (ou d’affiliation) pour bénéficier de certaines prestations sociales ;

- le remplacement de l’aide médicale d’État bénéficiant à certains étrangers en situation irrégulière par une aide médicale d’urgence ;

- l’exclusion des étrangers en situation irrégulière de certaines réduction tarifaires en matière de transport ;

- la prise en comte des locaux destinés à accueillir les demandeurs d’asile dans les obligations de logements sociaux des commues ;

- l’hébergement des demandeurs d’asile. 

L’ensemble vise à rendre nettement plus précaire et moins attractive la situation de l’étranger en situation irrégulière. 

La décision du Conseil constitutionnel est riche de deux enseignements importants : 

1) Les mesures proposées, au moins certaines d’entre elles (restriction des prestations sociales, aide à la mobilité, hébergement) entrent dans le champ des réformes «relatives à la politique sociale de la nation », l’une des exigences de l’article 11 de la Constitution. Ce n’est pas, pour l’instant, la politique d’immigration en tant que telle qui est concernée, mais c’est l’impact des mesures envisagées à ce titre qui permet de justifier le référendum. Les députés socialistes qui, par un mémoire spécial, ont tenté de faire juger le contraire n’ont pas réussi à convaincre le juge constitutionnel. Certes, les contours du possible et de l’impossible ne sont pas définis avec précision, mais l’interprétation retenue par le Conseil constitutionnel est plus large que celle défendue par les adversaires du référendum. L’interface entre « immigration » et « politique sociale » n’est pas vide. Il faut apprécier au cas par cas, ce qui constitue déjà un pas important. 

2) L’analyse du préambule de la Constituon de 1946, en particulier de son dixième alinéa, « implique la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées » et des droits en faveur « des étrangers dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français. » Dans l’exercice de son pouvoir législatif le Parlement peut soumettre certaines prestation à des conditions de résidence ou d’affiliation, mais « cette durée ne saurait être telle qu’elle prive de garanties légales ces exigences », celles découlant du principe de solidarité. 

Le Conseil constitutionnel reprend ici sa jurisprudence habituelle sur le contrôle de proportionnalité, une des « bêtes noires » de ses adversaires. Dans cette logique, il estime qu’une durée minimale de cinq ans de résidence ou d’affiliation à un régime de solidarité sociale porte « une atteinte disproportionnée à ces exigences ». Les dispositions pertinentes sont donc contraires à la Constitution et, par voie de conséquence, l’inconstitutionnalité rejaillit sur l’ensemble de la proposition de loi. Par définition, le Conseil constitutionnel ne se prononce que sur le texte soumis à son examen. Il est très probable qu’une durée minimale de un ou deux ans serait jugée comme conforme à la Constitution, mais nul ne peut l’affirmer avec certitude.

En définitive, malgré un résultat d’ensemble négatif, la décision du 11avril 2024 est plus porteuse qu’il n’y paraît : la politique d’immigration peut, à travers certains de ses éléments, faire partie de la « politique sociale de la nation » ; il est loisible de rendre plus restrictif les critères d’octroi de certaines prestations sociales aux étrangers, mais il faut demeurer raisonnable.Bref, le caractère « social » de la République (article premier de la Constitution) ne forme pas un bloc intangible, mais la solidarité, considérée souvent comme la forme juridique de la fraternité, demeure indépassable.

Didier MAUS

Ancien  conseiller d’État

Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel 

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