Quitte à se préoccuper d’Indochine, le CSA devrait aussi écouter l’album de Booba<!-- --> | Atlantico.fr
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"Si on censure le clip de d’Indochine, il faudra censurer de nombreuses œuvres diffusées."
"Si on censure le clip de d’Indochine, il faudra censurer de nombreuses œuvres diffusées."
©Capture d'écran

Tout ou rien

Au début du mois, le CSA évoquait la possibilité de censurer le clip "College boy" du groupe Indochine, jugé trop violent. Dans ce cas, que dire du nouvel album de Booba, dont les paroles ne font pas l'économie de la violence ?

Jean-Sébastien Hongre

Jean-Sébastien Hongre

Jean-Sébastien Hongre, entrepreneur sur Internet, est l’auteur de Un père en colère aux Editions Max Milo et d’Un joueur de poker chez Anne carrières.
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Il y a quelques temps, Madame Laborde a demandé au CSA d’interdire le clip d’Indochine « College boy » qu’elle a jugé « violent ».

Pourtant nous le savons tous, la réalité, c’est que 10% des élèves sont victimes de harcèlements qui n’ont plus rien à voir avec la guerre des boutons. Bien des parents et des victimes me l’ont confirmé à la suite de la sortie de mon roman « un père en colère » qui aborde ce thème. Madame Laborde veut condamner ce phénomène dit-elle, je n’en doute pas, mais elle refuse l’usage d’images chocs aux humanistes alors que celles qui prônent la violence inondent quotidiennement les écrans, les récentes émeutes au Trocadéro étant éloquentes du niveau atteint.

En réalité, ce qui aurait du la surprendre dans le clip d’Indochine, c’est qu’un artiste ose pour la première fois montrer la toute puissance des brutes et la lâcheté de ceux qui n’osent pas réagir face à eux. Surtout ce clip possède la vertu de faire naître en chaque spectateur un sentiment peu développé dans la production audiovisuelle : l‘empathie pour la victime.

Bien sur en première réaction on refuse de voir, on n’accepte pas l’image dérangeante du supplice, le plaisir des bourreaux intelligemment mis en scène. On édulcore, on esquive, on relativise. The « show must go one », alors pourquoi déranger nos consciences entre deux écrans publicitaires avec cette métaphore gênante du réel ? Non ! Trop c’est trop répète-t-on pour continuer de souper bien au chaud derrière les murailles du périphérique. La récurrente tentation de masquer ce qui dérange n’est pas loin.

Pourtant, si on censure le clip de d’Indochine, il faudra censurer de nombreuses œuvres diffusées. Par exemple, il vous faudra interdire Booba invité au grand journal de Canal plus. Son album Futur en écoute libre est un des plus écoutés par la jeunesse. Et qu’insuffle t-il ?

Que la loi des armes règle tout :

« Plus armé qu'toi, j'ai toujours raison »

Que la femme ne vaut plus grand-chose :

« J'te baise j'te laisse à l'hôtel »

Qu’une armée intérieure se prépare :

« Nos flingues sont plus gros qu'ceux d'la police »

Que l’argent est l’ambition suprême :

« Si ça n'parle pas d'oseilles, ne viens pas nous parler »

Que le crime paie plus que le travail :

« Plutôt quer-bra que de rouler en Honda « 

Que la violence est la seule manière de régler les problèmes :

« Si j'te fends le crâne en deux, quel œil va s'fermer le premier? »

Reconnaissons à Eric Brunet dans son dernier livre « Sauve qui peut » d’avoir été un des premiers à citer Booba quand il était membre de Lunatic« On est venu récupérer notre dû. Dans vos rues on va faire couler votre pus ».

Pourtant, pour qui connaît le rap, l’album Futur est considéré comme une des meilleures créations musicales de ces 10 dernières années. C’est là que ce véhicule culturel fait peur, quand il est à ce point musicalement percutant et propage une idéologie manichéenne fric-flingue-férocité. Les associations des droits de l’homme, les féministes, les multiples collectifs anticapitalistes, le CSA ont-ils réagi à ces textes ? Rien. A croire que deux mondes cohabitent sans se toucher, deux poids deux mesures, la cécité militante…

Le clip d’Indochine, c’est plutôt une goutte d’eau de compassion face à ce torrent d’incitation à la haine.

Coté apprentissage de la violence psychologique, si on censure Indochine, il faudra aussi censurer quelques émissions de téléréalité dans lesquelles on apprend aux adolescents que les majorités se forment pour punir les minorités, que le maillon faible doit être jeter à terre et que la vulgarité l’emporte toujours sur la bienveillance.

Et que fera-t-on du cinéma quand plus de la moitié des affiches de films montre une arme ou une explosion ? Quid des séries en prime time où il n’est question que de meurtre, viol, inceste, enlèvement. Je n’ai rien contre ces enquêtes sauf qu’elles occupent 80% du temps de cerveau disponible comme on dit. Cela ne n’émeut-il pas le CSA ?

Alors quoi ? Le CSA est-il disposé à s’engager dans cette censure globale ? Et comment fera--on pour bloquer les diffusions sur Internet ?

En réalité, c’est un peu tard, il aurait fallu se réveiller plus tôt. Par contre, ne doit-on pouvoir combattre « à égalité ».

Et c’est tout le mérite d’Indochine d’avoir enfin osé mettre en scène le sort d’une victime de manière aussi artistique. Seules la force et la puissance de ces images peuvent faire naitre la compassion quand des millions d’autres images ou de « punch line » valorisent quotidiennement la loi de la jungle et celle du plus fort.

La question est simple : Ceux qui défendent les valeurs d’écoute, de bienveillance, de respect de l’autre, doivent-ils continuer à être de ce troupeau de moutons silencieux qui détournent le regard ou censurent les images d’un réel qui les gênent ? Ne doivent-ils pas se révolter, crier à leur colère, pour qu’enfin on n’ose agir avec l’autorité, la force et la détermination qui seules pourront reconstruire le vivre ensemble ?

Car ce que nous dit aussi Indochine, c’est que l’humanisme doit cesser d’être passif et de jouer les vierges effarouchées, il doit se  battre ouvertement contre la barbarie, se rebeller, ne plus laisser le champ libre. Il doit toucher les jeunes avec les codes et les référentiels qui sont les leurs et rendre ainsi plus efficace le travail de terrains des professeurs, des éducateurs  et des parents. Il ne faut plus avoir honte de montrer du doigt la brutalité, de la condamner fermement tout comme les textes qui en font l’apologie. Plutôt qu’une censure, Il serait plus judicieux de proposer aux professeurs de collège de faire une puissante critique des textes de Booba que certains élèves ânonnent sans nécessairement comprendre ce qu’ils véhiculent, ou de montrer le clip « college boy » pour entamer un débat dans la classe.

La reconquête pour « re-civiliser » ne fait que commencer et elle aura besoin de la lucidité et du soutien de tous. Alors plutôt que de le censurer, Madame Laborde devrait pousser à la diffusion de ce clip.

Car au fond, Indochine et le CSA partagent le même objectif : ne pas abandonner le monde aux brutes.

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