Politiques financiers ou eurocrates, qui détient (vraiment) le pouvoir en Europe ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Politiques financiers ou eurocrates, 
qui détient (vraiment) 
le pouvoir en Europe ?
©

Un vrai jeu d'échec

Angela Merkel, Mario Draghi, Commission européenne, agences de notation... A la lumière de la crise, la multiplicité des acteurs détenant le pouvoir sur le Vieux continent a surtout mis en exergue l’actuelle vacance de pouvoir en Europe.

Pirro Vengu

Pirro Vengu

Pirro Vengu est chargé des relations publiques à Paris du think-tank paneuropéen European Council on Foreign Relations.

Diplômé de philosophie, d’histoire politique et de relations internationales, il consacre actuellement ses recherches à l’impact de la crise de l’euro sur les politiques européennes d’élargissement. 

Voir la bio »

Dans un récent discours prononcé à Paris, le ministre finlandais des Affaires européennes, Alexander Stubb, indiquait que les institutions européennes, comme lieux de négociation intergouvernementale et de synthèse communautaire, ne constituaient plus le centre névralgique du pouvoir en Europe. Aux dires de Stubb ce rôle est désormais de facto assumé par les économies les plus fortes – et fiscalement rigoureuses - de l’Union (Etats créanciers : l’Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande, le Luxembourg) auprès desquelles les économies dites périphériques (Etats débiteurs) quémandaient une aide budgétaire nécessaire à leur survie au sein de la zone euro. Cette nouvelle méritocratie, marquée par une prééminence du facteur économique sur celui politique, cache cependant une série de bouleversements essentiels des équilibres européens qui pâtissent actuellement d’une sorte de vacance de pouvoir.

Si la gestion de la crise de la dette par les Etats membres a confirmé le positionnement de l’Allemagne au centre de la zone euro, cette prédominance allemande est surtout une prédominance par défaut. Tant sur le plan des définitions des priorités pour sortir de la crise que sur celui, plus crucial sur le long terme, de la modification des traités européens, l’Allemagne ne souhaite pas encore assumer pleinement les responsabilités de sa propre centralité. En retour, la fragilité économique persistante de la France a semblé indiquer un déséquilibre croissant entre les deux membres du couple historiquement moteur de l’Union européenne au point que certains en viennent à se demander si le directoire franco-allemand a encore lieu d’être.

Dans un récent rapport du European Council on Foreign Relations, un haut responsable allemand du Ministère des finances décrivait ainsi la méthode allemande qui consiste à rechercher un consensus avec d’autres partenaires proches avant même de trouver un terrain d’entente avec les Français : « nous savons pertinemment que nous voulons des choses différentes. Le vrai brainstorming (…) la réflexion sur la manière de faire fonctionner le pacte budgétaire (…) : nous faisons cela avant tout avec les néerlandais et les finlandais. Ce sont des partenaires dont nous partageons l’approche. Nous appelons les français uniquement après avoir établi une position commune au sein de notre groupe. Et nous savons que dès que nous commençons à discuter avec les français les difficultés arrivent »[i].

L’élection de François Hollande à la Présidence de la République a un temps été vécue en Europe comme le début d’un nécessaire rééquilibrage au sein du couple franco-allemand. Le président français a ainsi voulu montrer qu’il n’était pas seul dans sa recherche d’une politique européenne de croissance et que d’autres pays, comme la Belgique et l’Italie, pouvaient former autour de la France un contre-pouvoir à l’austérité excessive comme seul remède à la crise. Le Premier ministre du gouvernement conservateur espagnol, Mariano Rajoy a lui-aussi rejoint le groupe plus récemment, se disant favorable à la mise en place de eurobonds et d’une union bancaire européenne. Dernière marque en date de cet apparent rééquilibrage : l’Eurogroupe vient d’accepter de venir en aide aux banques espagnoles sans demander en échange de nouvelles mesures d’austérité au gouvernement Rajoy, comme l’exigeait initialement l’Allemagne[ii].

Toutefois, l’opposition entre les partisans de l’austérité et ceux d’une relance de la croissance masque l’absence d’une centralité capable d’incarner la zone euro dans son ensemble. Les récents propos de Mario Draghi[iii] appelant de ses vœux un fédéralisme politique sont autant d’accusations envers les institutions – BCE comprise ? – et les dirigeants européens aux commandes d’un navire sans gouvernail dans une nuit sans étoiles. Aussi, le débat actuel sur la crise de la gouvernance de la zone euro ne rend compte ni de la multiplicité des acteurs impliqués, ni de leur poids respectif qu’il convient de réformer dans une perspective plus démocratique.

La mise en place de la supervision des finances nationales par la Commission européenne à travers le fameux « semestre européen » semble indiquer que les Etats membres ne souhaitent plus laisser aux agences de notation le monopole du rôle de thermomètre de la santé financière de la zone euro. De manière ironique, cette mesure montre aussi à quel point la Commission a été reléguée tout au long de la crise au rang de simple organe de consultation. Parallèlement, les négociations entre créanciers et débiteurs pour l’apport d’aide financière aux pays en difficulté (Grèce, Portugal, Irlande et maintenant Espagne) n’ont pas rendu compte de manière transparente de la place du système bancaire dans le dispositif de résolution de crise. Or bien souvent les positions des établissements bancaires des pays du Nord auprès des banques des pays du Sud donnent un aperçu plus fidèle des enjeux et des marges de manœuvre de chaque gouvernement.   

Dans ce contexte, il faut considérer avec précaution aussi bien les propositions d’Angela Merkel en faveur d'une «union politique» que la réponse mitigée de Paris aux annonces de la Chancelière allemande. Il est aujourd’hui crucial que le couple franco-allemand s’épargne des querelles qui exacerberaient la perception de leur disjonction. Aussi, s’il faut accueillir à bras ouverts un renforcement de l’intégration politique de l’UE, il faut avant tout que les dirigeants puissent démontrer aux peuples européens que l’union monétaire est une union viable et capable d’assurer leur bien-être.  Si les réformes institutionnelles devront tôt ou tard redevenir des priorités dans l’agenda européen, il convient avant tout actuellement de donner la priorité à la mise en place d’une supervision bancaire commune et d’une union fiscale et budgétaire adossée à un ministère européen des finances. Cela afin de donner un visage à la zone euro et de remplir enfin l’actuelle vacance de pouvoir.

[i] After Merkozy: How France and Germany can make Europe work, Ulrike Guérot  et Thomas Klau, European Council on Foreign Relations, Mai 2012. (p. 2).

[ii] Le samedi 9 juin 2012 les ministres des finances de la zone euro ont accepté de venir en aide à l’Espagne avec un paquet à destination du secteur bancaire espagnol pouvant aller jusqu’à 100 milliards d’euros. Bien que les contours exacts de cette aide n’aient pas encore été précisés, l’Eurogroupe semble avoir accepté de ne pas lier l’aide à l’exigence de mettre en place de nouvelles mesures d’austérité – souhait initialement formulé par l’Allemagne - l’Espagne s’engageant à réformer son secteur bancaire et à respecter les règles inscrites dans le pacte budgétaire signé au mois de mars.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !