Quand le New York Times se penche sur l’enfer administratif français à travers l’exemple des auto-écoles<!-- --> | Atlantico.fr
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Quand le New York Times analyse ce qu'il se passe en France
Quand le New York Times analyse ce qu'il se passe en France
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Paperasse et longueur de temps

Ornikar, une start-up qui souhaite inculquer le code de la route à ses élèves via internet rencontre deux difficultés : la première est liée à la crainte des auto-écoles classiques face à un nouvel arrivant. Quant à la deuxième, elle relève de la réglementation française, peu adaptée aux entreprises du numérique.

Pierre Chasseray

Pierre Chasseray

Pierre Chasseray est délégué Général de l'association 40 Millions d'automobilistes.

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Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Atlantico : Le New York Times s'est penché sur le sort d'Ornikar, jeune start-up qui souhaite s'imposer parmi les auto-écoles classiques en proposant un système entièrement basé sur le web (lire ici). Le quotidien s'étonne de la règlementation française qui oblige par exemple les auto-écoles à détenir un lecteur DVD même s'ils n'en ont pas l'usage. Outre ce détail, en quoi le système en vigueur français est-il une spécificité ?  

Pierre Chasseray : Chaque pays a son propre examen et son propre système. L’une des différences entre le système français et le reste du monde, c’est le coût du permis, qui est élevé en France, ainsi que le délai d’obtention qui est long. Il l’est d’autant plus qu’entre le premier essai et les autres, le candidat est incité à repayer des heures. En outre, la France n’est pas dans l’ère numérique. Nous avons accès à des outils comme les simulateurs mais ceux-ci ne sont pas utilisés, contrairement à d’autres domaines, comme l’aviation par exemple, où les prix d’une heure de vol obligent à trouver des parades pour se former. Cela permettrait pourtant aux élèves de s’initier aux vrais dangers, tout en coûtant moins cher, et qui en plus permettrait de raccourcir les délais entre le début de l’apprentissage et le passage du permis. Le fait que la réglementation oblige cela montre le décalage entre le numérique et l’apprentissage de la conduite. Les autres pays sont bien plus en avance que nous sur ce point. La France et un pays beaucoup plus conservateur que ses voisins.

Après plusieurs années d'augmentation, une heure de conduite est aujourd'hui estimée à 45 euros. Une heure de conduite en Grande-Bretagne équivaut à 25 euros. Comment est évalué le prix d'une heure de conduite ? Comment expliquer ces différences ? 

Pierre Chasseray : La Grande-Bretagne connait deux fois moins d’accidents que la France. La qualité de formation ne dépend donc pas du prix. Plusieurs critères rentrent en compte : le taxes, le prix du véhicule, le coût de la vie… L’objectif en France est pourtant bien de faire baisser le prix du permis. D’où l’intérêt du simulateur. Ce qui coûte le plus cher, ce ne sont pas les 20h de conduites obligatoires qui sont souvent comprises dans un forfait mais les heures supplémentaires.

Face à l'arrivée d’Ornikar, les auto-écoles dénoncent une concurrence déloyale et l'accusent d'enfreindre les règles. L'organisme ayant lancé son site avant d'obtenir son accréditation. Ornikar se défend en expliquant qu'aucune leçon n'a été donnée. Du côté de la préfecture, silence. Elle qui accorde en trois semaines des autorisations d'exercer, n'a toujours pas donné la sienne à Ornikar qui l'attend depuis plus de 250 jours. Pourquoi les auto-écoles, pourtant débordées, souhaitent-elles bloquer l'entrée sur le marché de cette nouvelle auto-école ? Peut-on vraiment parler de concurrence déloyale ?

Erwan le Noan : Le comportement des auto-écoles est traditionnel des entreprises bien installées dans un secteur : personne n’aime voir venir un nouvel entrant qui déstabilise le statuquo, et perturbe les habitudes et leur confort. C’est compréhensible : les auto-écoles raisonnent dans leur intérêt propre (comme tout le monde d’ailleurs) ; malheureusement, cet intérêt n’est pas celui de leurs clients : alors qu’un vendeur a toujours intérêt à augmenter ses marges, le consommateur a lui toujours intérêt à voir les prix baisser. Et le meilleur moyen d’avoir des marges élevées, c’est de contraindre la concurrence par une loi qui l’interdit.

Ce qui est intéressant dans le cas d’Ornikar, c’est que cela montre que les auto-écoles comprennent que ce nouveau modèle révolutionnera leur secteur demain. Il faut être réaliste : ce n’est pas un seul site Internet qui va tout changer et faire disparaître les auto-écoles de France, mais il est l’annonce d’un nouveau modèle de fonctionnement. Les auto-écoles ne devraient pas s’inquiéter : si leurs prix sont justifiés par la qualité de leurs prestations, alors leurs clients ne les quitteront pas.

Un autre aspect a surpris : les candidats au permis de conduire doivent attendre plusieurs semaines et bien souvent, plusieurs mois avant de repasser leur permis. Dans cet intervalle il paie de nouveaux cours à l'auto-école. Ainsi, si un candidat rate l'épreuve, l'auto-école s'enrichit. Comment expliquer que ce système persiste encore bien qu'un échec de la formation se révèle plus enrichissant qu'un succès ? 

Pierre Chasseray :  L’auto-école n’a pas intérêt à ce que l’élève rate le permis, les places étant attribuées à chaque école selon ses résultats.

La loi française oblige toute auto-école à disposer d'un bureau avec un accès pour les personnes en fauteuil roulant, une télévision etc… Une règle à laquelle Ornikar s'est pliée bien qu'affirmant ne pas avoir l'intention d'utiliser le local, puisque l'organisme souhaite dispenser des cours en ligne. Y a-t-il un décalage entre la loi française et l'apparition du numérique ? Quel impact sur la concurrence cela peut-il avoir ? 

Erwan le Noan :Le numérique agit comme un révélateur des archaïsmes de la réglementation française. Par exemple sur le marché du travail : le droit français pense en termes de CDI / CDD ou d’une foultitude de contrats rigides, alors qu’aujourd’hui, le travail peut être beaucoup plus diversifié et ponctuel, grâce à Internet. On a fait l’auto-entrepreneur, mais il faut aller plus loin. La révolution d’Internet agit aux marges, mais elle montre de manière criante que la France est sclérosée par sa réglementation. Mais ce n’est pas spécifique à notre pays : la réglementation ne se change pas facilement où que l’on soit dans le monde (le processus administratif est toujours long). Ce qui est propre à notre pays, c’est d’être hyper-réglementé. Du coup, pour nous, tout changement de réglementation est de la même manière hyper-difficile.

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