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Jean-Pierre Bédéï et Annabel Roger publient « Au perchoir Les secrets des présidents de l'Assemblée nationale » aux éditions de l’Archipel.
Jean-Pierre Bédéï et Annabel Roger publient « Au perchoir Les secrets des présidents de l'Assemblée nationale » aux éditions de l’Archipel.
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Bonnes feuilles

Jean-Pierre Bédéï et Annabel Roger publient « Au perchoir Les secrets des présidents de l'Assemblée nationale » aux éditions de l’Archipel. Au carrefour des pouvoirs, le président de l'Assemblée nationale, 4e personnage de l'État, doit trouver un équilibre entre fermeté, affirmation et discrétion. Jean-Pierre Bédeï et Annabel Roger, journalistes politiques, font découvrir les coulisses de la Ve République vues du « perchoir », avec des témoignages exclusifs. Extrait 1/2.

Jean-Pierre Bédeï

Jean-Pierre Bédeï

Jean-Pierre Bédéï, ancien éditorialiste au bureau parisien de La Dépêche du Midi, est l'auteur d'essais politiques dont "Au perchoir", "Sur proposition du Premier ministre" et "La Macronie ou le nouveau monde au pouvoir" (L'Archipel, 2024, 2015 et 2018).

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Annabel Roger

Annabel Roger

Annabel Roger, journaliste indépendante, ancien grand reporter à RMC, collabore à la revue L'Hémicycle et à Radio Classique.

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Piloter l’Assemblée, c’est aussi diriger un certain nombre de réunions qui assurent le fonctionnement de l’institution. Tous les mardis matin, le président de l’Assemblée dirige la conférence des présidents dans le salon des Jeux de l’hôtel de Lassay aux murs couleur or, donnant sur le jardin à quelques dizaines de mètres de la Seine. Dans un décor lambrissé, autour d’une longue table recouverte d’un tapis pourpre, il réunit le ministre des Relations avec le Parlement, qui lui fait face, les vice- présidents, les présidents des commissions permanentes, les rapporteurs généraux de la commission des Affaires sociales et de la commission des Finances, de l’Économie générale et du Plan, le président de la commission des Affaires européennes et les chefs des groupes parlementaires. Le secrétaire général et le directeur de cabinet du président y assistent également. Pour la petite histoire, au cours de cette législature, Marine Le Pen (Rassemblement national) et Mathilde Panot (La France insoumise) sont assises côte à côte… Ici, on est prié de laisser le téléphone portable à l’entrée. Tout est minutieusement préparé : un sous-main est placé devant chaque participant, de même qu’un stylo Bic dont a été vérifié au préalable le bon fonctionnement.

Ce conclave a pour but d’examiner l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée pour la semaine en cours et les trois suivantes. Généralement, l’ambiance est sereine, sans dérapages. « Comme elles ne se font pas sous l’œil des caméras et en public, les conférences des présidents ne donnent pas lieu à des empoignades comme dans l’hémicycle », témoigne Laurent Fabius. Même les représentants de La France insoumise et du Rassemblement national jouent le jeu de la concertation.

Chaque président de l’Assemblée a sa propre conception de cette réunion hebdomadaire et y imprime son style. Certains y voient l’occasion d’un débat politique, d’autres d’une simple organisation de l’ordre du jour. Yaël Braun-Pivet fait partie de la première catégorie : « C’est un vrai moment d’échanges. Je pense que c’est le lieu propice à cela, puisqu’il réunit tous les présidents de groupe, vice- présidents, les présidents de commission, le ministre. Le contexte fait que pour prendre des décisions, nous avons besoin de créer du consensus puisqu’elles se prennent à la majorité des groupes. Nous avons besoin de l’accord de quatre, voire de cinq groupes selon leur taille. Ça se passe très bien, y compris avec La France insoumise. On a le fond et la forme, la forme c’est le fonctionnement de l’institution (ordre du jour, horaires, façon dont on organise les votes…) Sur tout cela, on arrive à trouver un accord très large, voire unanime. Et puis, il y a le fond, la politique, ce qui nous rassemble parfois, ce qui nous oppose souvent. »

Jean-Louis Debré jouait également la carte du dialogue quitte à ce que son parti le lui reproche : « Lors de la conférence des présidents, le président de l’Assemblée ne doit pas se prendre pour le chef de l’État. On n’a rien compris à l’Assemblée si on ne sent pas que c’est l’endroit où les présidents de groupe peuvent s’exprimer et ceux de l’opposition déverser leur bile. Avec moi, elle pouvait durer entre une heure trente et deux heures. Je demandais à l’opposition quels étaient ses points de vue, et la droite m’en a voulu. Si on a peur du débat, si on a peur de l’opposition, il ne faut pas aller à l’Assemblée nationale. »

A contrario, Richard Ferrand était un adepte de réunions brèves n’excédant guère trente minutes : « Avec moi, les conférences des présidents étaient volontaire ment courtes. Elles duraient parfois cinq minutes. Elles ne sont pas faites pour bavasser sur le sexe des anges, elles ont pour but d’examiner l’ordre du jour, prendre en compte les propositions des groupes, définir le temps programmé des débats. Il faut respecter les réunions pour leur objet et non pas pratiquer le mélange des genres. » Sans être aussi expéditif, Bernard Accoyer empêchait que les discussions ne s’éternisent ou ne dévient dans des digressions : « C’est ma nature : il ne fallait pas que ça dure trop longtemps. Tout le monde pouvait s’exprimer, mais j’ai horreur des tunnels. Quand un intervenant parlait trop longtemps, ça m’énervait, ça se voyait car je lui faisais comprendre. » « Avec Rugy, c’était beaucoup plus lent, moins tranché », affirme un participant.

Situations cocasses

Au- delà de ces réunions institutionnelles, le président demeure l’autorité suprême à laquelle on s’adresse en ultime recours pour régler des problèmes surprenants. « Un jour, je reçois à mon bureau un collaborateur de la questure qui m’apprend que l’Assemblée disposait de fonds très importants en réserve sous forme d’obligations, raconte Laurent Fabius. Il m’interroge pour savoir ce que nous devions en faire. Je découvre que l’Assemblée était par ses ressources le premier intervenant sur la place financière de Paris. Elle avait accumulé des réserves et fait fructifier cet argent. C’était une somme considérable. Estimant que le rôle de l’Assemblée nationale n’était pas d’être le premier opérateur financier sur la place de Paris, j’ai décidé que nous reverserions l’essentiel de ces fonds au budget de l’État, qui en avait bien besoin. »

On a frôlé l’incongruité lors de la commémoration du bicentenaire de la Révolution. Laurent Fabius avait demandé que soit retranscrite la Déclaration des droits de l’homme dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Un concours d’œuvres avait été organisé, auquel avaient participé des artistes de réputation internationale. Le jury était présidé par l’historien de l’art Pontus Hultén. Toutes les garanties semblaient réunies pour que le projet sélectionné fût à la hauteur de l’événement.

Jusqu’à ce que Pontus Hultén demande un rendez- vous à Laurent Fabius après la délibération du jury. « Peut- être que notre choix va vous poser un problème, lui dit- il. Je voulais vous en parler. On a fait deux choix. Le premier : un grand artiste nous a proposé une transcription des Droits de l’homme uniquement en arabe, en solidarité avec le peuple palestinien. Et je me suis dit que ça pouvait vous causer une difficulté. » Réplique de Fabius, quelque peu surpris : « En effet, vous avez raison. » C’est donc le deuxième projet, de facture plus classique, qui a été retenu. Preuve que les artistes ne sont pas toujours pourvus d’un sens politique très aigu. À moins qu’ils se complaisent dans la provocation.

Parfois les situations inopinées auxquelles sont confrontés les présidents se révèlent saugrenues et demandent à être résolues dans la discrétion, comme le narre, avec amusement, l’un des anciens occupants du perchoir : « Un soir, un huissier affolé vient me chercher en me disant qu’un homme nu se promène dans les couloirs de l’immeuble Chaban- Delmas. J’arrive et je vois un député homosexuel, qui avait été surpris avec un de ses collègues par son collaborateur, qui était son petit ami. Jaloux, ce dernier en avait fait tout un drame. Il a fallu que je calme les esprits. » Ce même président se souvient, par ailleurs, que pendant deux jours il a reçu mystérieusement à l’hôtel de Lassay des costumes qu’il n’avait pas commandés. Après avoir mené son enquête, il découvrit qu’ils appartenaient à un député qui avait rompu avec sa maîtresse ; celle- ci n’avait rien trouvé de mieux que de renvoyer les costumes à l’Assemblée… L’omerta qui règne dans les couloirs du Palais- Bourbon, entretenue notamment par ses agents, étouffe ce type d’incidents d’ordre privé, qui remontent néanmoins aux oreilles du président… Et prouvent que l’Assemblée est une micro-société avec ses passions humaines et ses petitesses.

Extrait du livre de Jean-Pierre Bédéï et Annabel Roger, « Au perchoir Les secrets des présidents de l'Assemblée nationale », publié aux éditions de l’Archipel

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