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Le gouvernement souhaite améliorer l'articulation des temps de travail avec la mise en place d'un Compte épargne temps Universel.
Le gouvernement souhaite améliorer l'articulation des temps de travail avec la mise en place d'un Compte épargne temps Universel.
©Alain JOCARD / AFP

Complexe

Le gouvernement a notamment proposé la création d'un nouveau compte épargne temps universel.

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Auteur du rapport de l'institut Montaigne : "Les Français au travail : aller au-delà des idées reçues" publié en 2023. 

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Atlantico : Le gouvernement souhaite améliorer l'articulation des temps de travail avec la mise en place d'un Compte épargne temps Universel. A quoi servir le Compte épargne temps Universel alors qu'il existe déjà un CET lui-même très limité ? Encore un "machin" ?

Bertrand Martinot : Parmi les différents thèmes que le gouvernement renvoie à la négociation collective interprofessionnelle dans son document d’orientation « Un pacte pour la vie au travail » figure en bonne place la création d’un nouveau dispositif, le compte épargne temps universel (CETU). Ce dispositif reprend une ancienne idée de la CFDT. Pour le résumer, il s’agit de donner à tous les salariés (universalité) un droit à un compte épargne temps, qui serait conservé au moment d’un changement d’employeur (portabilité) ou de statut et qui serait opposable à l’employeur (opposabilité, y compris les droits anciens s’imposant au nouvel employeur).

Le document pointe à juste titre que le CET actuel est réservé aux entreprises qui ont signé un accord collectif sur le sujet et concerne le plus souvent des cadres des grandes entreprises, au total guère plus de 1 salarié sur 10.

A quoi ce nouvel outil va-t-il servir ? La question est d’autant plus pertinente que personne ne peut vraiment le comprendre à la lecture du document. On peut toutefois penser qu’il s’agit d’éliminer une sorte d’inéquité.

Mais y-a-t-il aujourd’hui une inéquité flagrante entre les salariés qui ont un CET et ceux qui n’en ont pas ? Rien n’est moins évident car on ne peut pas considérer que les salariés qui ne possèdent pas de CET seraient lésés : soit ils ne font pas d’heures supplémentaires ou ne réduisent pas leurs jours de RTT (ce qui fait une forte proportion de salariés) et donc un compte épargne temps, fût-il classique ou universel, ne changerait rien puisqu’il n’y aurait rien à y déposer. Et au passage, cela paraît assez étrange de demander à des entreprises de mettre en place un dispositif qui resterait à jamais inutilisé… !  Soit ils effectuent des heures supplémentaires ou ont accepté de réduire leurs jours de RTT et dans ce cas, ils ont des contreparties directes en termes de rémunération (avec une majoration horaire et une défiscalisation à la clé) ou de jours de repos compensateurs.

L’idée de remédier à l’absence de portabilité du CET actuel n'est pas non plus convaincante : quand un salarié sans CET change aujourd’hui d’emploi, voire d’entreprise sans avoir pris l’intégralité des congés ou jours de repos auxquels il avait droit, il bénéficie bien évidemment au moment de la rupture de con contrat de travail d’indemnités de congés payés et il est rémunéré pour ses jours de RTT non pris. De ce point de vue, la seule innovation promise par le CETU est qu’il pourrait conserver ses droits à congés pour les utiliser dans une autre entreprise et les accumuler sur plusieurs contrats.

En réalité, l’avantage du CET « classique » est qu’il est souvent associé à un abondement de l’employeur, par exemple dans le cas où les droits accumulés sont versés dans un dispositif d’épargne salariale. Ce ne sera pas le cas du CETU, qui sera uniquement un moyen de reporter des congés dans le temps.

Avec le CETU, le gouvernement se fixe comme objectif d'atteindre le plein emploi des seniors. est-ce un objectif atteignable ? 

Si le CETU pouvait servir à quelque chose, ce serait bien d’être conçu comme un dispositif destiné à financer des aménagements du temps de travail en fin de carrière pour ceux qui ont effectué des heures supplémentaires ou ont accepté de renoncer à des jours de RTT ou de repos tout au long de leur carrière. Dans ce cas, il faudrait qu’il ne puisse être utilisé qu’en fin de carrière, dans le cadre d’un deal « travailler plus pour aménager sa fin de carrière » … D’ailleurs, le gouvernement avait fait explicitement ce lien entre le CETU et la réforme des retraites. Il est dommage que ce lien n’apparaisse pas dans le document d’orientation transmis aux partenaires sociaux.

Dans le cas contraire, et si l’on n’y prend pas garde, le CETU pourrait même avoir un effet catastrophique sur l’emploi des seniors : comment imaginer qu’une entreprise embauche un senior de 60 ans qui aurait accumulé tout au long de sa carrière professionnelle plusieurs mois de droits à congés mobilisables … ? A priori, si elle l’embauche, c’est plutôt pour qu’il travaille !

Pour autant, le CETU à lui seul, même s’il était orienté « fin de carrière », ne suffirait pas à assurer le plein emploi des seniors.

L’aménagement des fins de carrières via le temps de travail (passage à temps partiel, retraite progressive…) n’est qu’un outil parmi d’autres pour l’augmentation du taux d’emploi des seniors. Et ce n’est certainement pas la création d’un dispositif spécifique au niveau national qui sera la panacée. Ce n’est qu’au niveau des branches et des entreprises que se trouvent les solutions : identification des facteurs d’usure professionnelle, mécanisme de reconnaissance de la pénibilité, création de congés spécifiques, identifications de parcours de seconde partie de carrière…  

Ajoutons que les pays qui réussissent le mieux en la matière sont ceux qui ont à la fois l’âge de départ à la retraite à taux plein le plus élevé (vous ne gardez pas vos salariés après 62 ans s’ils peuvent partir à la retraite 62 ans !) et ceux qui ont davantage que nous la culture de la formation tout au long de la vie. Car ce n’est pas à partir de 55 ou 60 ans que doivent se dessiner les choix de seconde partie de carrière. Trop souvent, en France, les politiques RH sont attentistes : on fait travailler les salariés au maximum sans trop se soucier de leur usure professionnelle et quand la question se pose, il est trop tard : l’absentéisme explose et, parfois, on règle le problème par la voie de l’inaptitude professionnelle qui aurait pu être évitée en anticipant. Cette paresse dans la gestion RH pouvait fonctionner à l’époque des pré-retraites et de l’âge légal à 60 ans. Ce n’est évidemment plus possible aujourd’hui.

Le CETU, est-ce que ça ne risque pas de compliquer davantage la vie des entreprises qui n'ont pas besoin de ça ? 

Oui, le document d’orientation regorge d’éléments de complexité et de surcoût, qui rendent le projet très hasardeux et pourraient faire peser en effet un poids supplémentaire pour les entreprises.

Côté surcoûts tout d’abord. Pour assurer la portabilité du CETU et qu’il ne reste pas vide, il faudra que l’employeur d’origine soit parfois amené à monétiser des congés qu’il n’aurait pas monétisé en l’absence de CETU et verser la contrepartie au nouvel employeur. Bien entendu, il y aura d’autres surcoûts à envisager : nécessité de prévoir une mutualisation pour prendre en charge les cas où l’employeur d’origine serait dans l’impossibilité de payer, par exemple.

Il y aurait également le cas où le salarié change d’employeur pour un emploi mieux rémunéré : dans ce cas, l’équivalent monétaire d’un nombre donné de congés augmenterait par rapport à sa valeur dans l’entreprise d’origine. A moins d’exiger de la nouvelle entreprise qu’elle paye à un tarif accru des congés accumulés dans l’emploi précédent (avec le risque qu’elle refuse d’embaucher des salariés dans cette situation), il faudrait là encore créer une mutualisation.

Créer un fonds de mutualisation, donc un nouvel organisme centralisé, pour éviter les effets désincitatifs et lever les obstacles à la portabilité, c’est d’ailleurs ce que propose le gouvernement, lequel précise par ailleurs dans son document que l’Etat « n’engagera pas les finances publiques pour garantir l’équilibre financier du dispositif ». Autrement dit, ce serait aux entreprises et aux salariés de le financer. Et comme un accroissement des cotisations salariales serait extrêmement impopulaire, on comprend très bien que le point de sortie serait une cotisation supplémentaire pesant sur les entreprises.

Côté complexité, et pour ne retenir qu’un seul exemple parmi les très nombreuses difficultés techniques à résoudre, mentionnons la coexistence entre les CET existants et le nouveau CETU, l’Etat enjoignant aux partenaires sociaux de « déterminer les modalités précises d’articulation entre les CET tels qu’ils existent actuellement et le CETU ». Sachant que les CET actuels sont très divers et comportent parfois un abondement de l’employeur et des sorties privilégiées vers de l’épargne salariale qui pourront difficilement être fondus dans le CETU, gageons que cette articulation sera un véritable casse-tête pour les entreprises, mais aussi pour des salariés qui n’avaient rien demandé !

Bien sûr, les partenaires sociaux auront tout loisir de négocier pendant plusieurs jours et plusieurs nuits sur ce dispositif. Ils vont découvrir les dizaines de diables qui se cachent dans les détails. Pour y remédier, ils devront créer des plafonds, des conditions d’ancienneté, des modulations selon la taille de l’entreprise, des délais d’utilisation des congés accumulés, des conditions de cumul entre les nouveaux congés accumulés dans chez le nouvel employeur et les anciens droits, etc. Dans ce domaine, tout problème technique trouve presque toujours une solution. Mais à quel prix ?

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