Naufrage du pouvoir d’achat immobilier des Français : un mal pourtant parfaitement ÉVITABLE<!-- --> | Atlantico.fr
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La possibilité d'un krach dans le secteur immobilier est réelle.
La possibilité d'un krach dans le secteur immobilier est réelle.
©AFP

Prévisible

Le pouvoir d’achat immobilier des français est en plein naufrage.

Sébastien Laye

Sébastien Laye

Sebastien Laye est chef d'entreprise et économiste (Fondation Concorde).

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Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Le pouvoir d’achat immobilier des français est en plein naufrage. A quel point la politique monétaire et la hausse des taux sont-ils responsables ?
Sébastien Laye : Les variations de la politique monétaires constituent la plus grande composante des prix de l'immobilier en France depuis 2015; En effet, après une lente baisse des prix au début de la dernière décennie, on observe entre le 3ème trimestre 2015 et début 2022 une hausse des prix de 34% alors meme que la politique monétaire devenait accommodante (baisse des taux) exactement sur la meme période. Baisse puis hausse des taux ne sont que l'avers et le revers du meme levier monétaire. En passant de 1,3% à 3,7% en moyenne, les taux immobiliers à 20 ans (reflétant le niveau des taux directeurs court terme décidé par la BCE) ont décimé le pouvoir d'achat immobilier des ménages francais, le faisant chuter d'environ 20%; en parallèle, la baisse des prix, qui est désormais -mais avec un effet de retard (hystérèse) important- bien engagée (par exemple -9% à Paris par rapport au pic de la séquence 2015-2022), ne compense pas cette chute de pouvoir d'achat. Face à une banque centrale qui continuera à augmenter ses taux jusqu'à la fin de l'année, il faudrait que les prix chutent d'encore 20% pour resolvabiliser la demande. On peut douter d'un  mouvement d'une telle magnitude, alors que d'autres forces, plus marginales lors des dernières années, sont en train de régir à nouveau ce marché: 1) un problème de l'offre, avec des constructions neuves qui s'effondrent de près de 40% et des permis trop peu nombreux 2) des investisseurs dans le locatif qui fuient un marché surtaxé et avec un Pinel en fin de vie 3) des besoins immenses en rénovation énergétique et télétravail auxquels on ne sait répondre.
Don Diego De La Vega : Alors moi ça ne me dérange pas qu’on tue l'immobilier, comme c’est en train de se passer car il y a eu des excès dans les transactions dans les prix depuis des années et donc ça me dérange pas qu'il y ait un renchérissement du coût du crédit qui tue le secteur pour quelques années. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problème, et le problème il est double. Le problème numéro un est qu’on a poussé les gens vers l'immobilier. Nous avons été poussés financièrement, budgétairement et réglementairement à tous les niveaux. Mais ensuite, qu'advient-il ? Nous ne pouvons pas encourager les investissements pendant des années de manière éhontée pour ensuite surprendre les gens avec un revirement extrêmement brusque de la politique. Ce manque de cohérence temporelle montre qu'il y a un piège. Cela vaut également pour le crédit au-delà de l'immobilier, que ce soit pour la consommation, l'automobile, etc. Nous avons encouragé le crédit selon certaines procédures, puis nous retirons le soutien. La situation actuelle tétanise les gens, ce qui se traduit par une diminution des transactions. Et l'étape suivante, c'est la récession, qui finira par contraindre les gens à vendre leurs biens immobiliers à un prix inférieur à ce qu'ils ont payé. Ce n'est pas une bonne chose.
C'est l'opposé exact de ce que nous avons essayé de faire pendant 10 ans. Cela me choque. D'une manière générale, je ne suis pas du tout opposé à la pénalisation du crédit. Je suis en faveur d'autres types de financement et nous devons encourager d'autres secteurs. L'immobilier n'est certainement pas le secteur que je préférerais privilégier, c'est clair. Mais, nous passons d'une extrémité à l'autre et on ne peut pas passer de tout à rien. Nous augmentons les taux de 400 points de base, voire 500, pour essayer de tuer une inflation qui n’en est pas une et sur laquelle la politique monétaire n’a aucun effet. Ce faisant, nous sommes en train de tuer complètement le marché, tandis que nous supprimons également le dispositif Pinel, qui était censé succéder aux différents dispositifs existants depuis 30 ans en France pour encourager maladroitement le secteur. Ces dispositifs sont en train d'être démantelés au moment même où le secteur est en difficulté. C'est une double peine. Je n'ai rien contre la suppression du Pinel, mais le faire exactement au même moment où nous augmentons les taux n'est pas une bonne décision. C'est un changement de nature, pas seulement de degré. Nous sommes en train de créer un méga krach et, à ce moment-là, les dispositifs de soutien sont retirés. Ce n'est pas non plus une bonne chose. Cela montre une certaine forme d'hystérie. C'est l'inverse de ce que nous avons soutenu pour l'immobilier pendant des années. Et puis soudain, nous faisons marche arrière. Les personnes qui se retrouveront piégées s'en souviendront. Le problème, c'est le timing, c'est le manque total de l'anticipation. Du jour au lendemain, nous allons à l'encontre de tout ce que nous avons fait, de tout ce que nous avons dit pendant des années. La politique monétaire, qui était très favorable au crédit, montrait que la crédit au secteur privé était une bonne chose, que cela montrait que sa politique était accommodante, que c'était un canal de transmission de la politique monétaire. Mais avec une hausse de 450 points de base, la BCE condamne sciemment ceux qui ont pris des crédits. Et en même temps, nous critiquons les Chinois sur les marchés parce que lorsque leurs taux baissent, ils ne les baissent que de 10 points de base et qu'ils adoptent toujours une politique de petits pas. Mais je préfère une politique prudente et progressive, comme en Chine, à une politique européenne où nous n'hésitons pas à augmenter ou baisser les taux de 400 points de base, ce qui modifie toute la structure de l'économie, les incitations, etc. On se comporte comme un pays tropical. 

C'est à peu près la même chose qui se passe actuellement aux États-Unis, mais avec moins de dispositifs de soutien étatique pour l'immobilier. Pour vous donner une idée, si vous changez de maison aujourd'hui aux États-Unis, votre facture de paiement d'intérêts double. Vous êtes littéralement étranglé. Donc, vous avez deux options. Soit vous ne changez pas de maison, ce qui est très embêtant si vous devez divorcer ou trouver un nouvel emploi. Soit vous changez de maison, et là vous êtes étranglé, et il faudra réduire considérablement votre consommation. Et ce n'est pas bon pour la croissance en général et la conjoncture.

Dans les deux cas, vous êtes perdant. C'est un peu ce qui est en train de se produire dans plusieurs pays européens. Et ce n'était pas nécessaire, car cette hausse des taux est totalement sacrificielle. L’idée que d'augmenter le coût du crédit va de faire baisser le prix des céréales, c’est

Au début, j'espérais que cela serait rapidement démantelé et que c'était juste un mauvais épisode, mais j'ai l'impression que cela s'impose, que cela se résoudre progressivement dans le temps. Ensuite, ils veulent maintenir les taux à un niveau élevé, donc je ne sais pas s'ils pourront le faire étant donné que le marché demande clairement le contraire. Mais si les banquiers centraux parviennent à maintenir les taux d'intérêt à un plateau de 5%, cela aura des répercussions sur de nombreux aspects, de l'immobilier à l'investissement et à la consommation. Cela affectera l'équipement des maisons, une partie de l'emploi, c'est énorme. C'est un énorme enjeu dans une économie très financiarisée, très basée sur le crédit, et surtout en France.

Dans quelle mesure est-ce aussi le résultat d’une politique du logement inadapté fiscalement comme réglementairement ?
Sébastien Laye : La baisse des taux et la manne monétaire ont occulté tous les problèmes du logement, qui sont prégnants en réalité depuis des années, et sur lesquels j'alertais en mars avec mon rapport "Construire plus et mieux c'est possible !".  Ils sont de l'ordre de trois niveaux: le secteur est sur-administré, sur- fiscalisé et soumises à des injonctions paradoxales ou irréalistes en matière environnementale. Sur le premier niveau, l'offre est contrainte alors même que la demande est bien vivace, que les gens ne reviennent pas massivement dans leurs bureaux, et que seuls les achats à  90-100% en dette sont remis en cause par la hausse des taux. PLU, permis et autres plans dans le maquis des autorisations constituent une hiérarchie des normes ubuesque et contraignante. Sur la fiscalité, en face des 45 milliards d'aides, le secteur fournit 90 milliards de recettes fiscales. En paraissant l'ignorer, les pouvoirs publics scient la branche sur laquelle ils sont assis; on a voulu économiser 2 milliards sur le Pinel notamment, mais si le secteur ralentit encore fortement, nous allons avec la baisse des droits de mutation, TVA, IS sur les entreprises de construction, probablement perdre 5-6 milliards cette année et 15 l'an prochain. La crise du logement peut conduire à une crise des finances publiques. Enfin, la transition énergétique a été mal pensée dans le secteur. Les objectifs (DPE, ZAN) sont louables et doivent etre conservés, mais il faut s'atteler à définir un chemin de crête réaliste pour les atteindre, avec et non pas contre les professionnels. Et que dire de la biodiversité, des espaces verts puits de carbone , absents de toute réflexion...

Dans quelle mesure ces deux maux qui nuisent au pouvoir d’achat immobilier des Français sont-ils pourtant évitables ?
Sébastien Laye : Il faut faire feu de tout bois et relancer une politique du logement cohérente, sans tabous, sur les 3 points que je viens d'évoquer: simplification administrative et numérisation, fiscalité plus incitative, et meilleure alliance entre politique du logement et environnement. Pour celà, il faut sortir des visions technocratiques qui n'envisagent le secteur que comme une dépense, ou des visions idéologiques qui ne le voient que comme une industrie de bétonneurs. Le logement est à l'intersection de l'économie (premier secteur industriel de notre pays, 12% du PIB, sans lui rien ne fonctionne !), du social (4 millions de mal logés, avec une bombe sociale en puissance), et de l'écologie (on ne fera rien en la matière si on ne récompense pas les comportements les plus vertueux en matière d'environnement dans l'industrie immobilière). Il faut un Ministre de plein droit, innovant et dynamique, pour le Logement en France, et ce afin de faire face à la crise actuelle.

A quel point pourrions- nous mettre en place une politique du logement plus adaptée et aurions-nous pu éviter cette hausse abusive des taux d’intérêts ?
Sébastien Laye : Force est de constater qu'on ne peut rien faire sur le sujet des taux : les erreurs des politiques monétaires passées, l'inflation galopante, rendent la hausse inéluctable pour la stabilisation macro économique. Il faut faire avec, en travaillant sur la politique prudentielle des banques, en desserrant l'étau de certaines règles de crédit, en lançant de nouveaux établissement de crédit spécialisés si besoin est. Mais c'est surtout la libération de l'offre qui offrirait du pouvoir d'habiter aux ménages francais, là réside bien le noeud gordien à trancher au plus fort de la crise du logement, et sans attendre. 

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