Mediator : rien ne changera tant que nous n'aurons pas d'experts en santé publique indépendants<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Mediator : rien ne changera tant que nous n'aurons pas 
d'experts en santé publique indépendants
©

Lobbies repetita

Suite au scandale du Mediator, le laboratoire Servier pourrait être mis en examen. La question de la responsabilité et du manque d'indépendance des experts médicaux rémunérés par l'industrie pharmaceutique reste posée.

Philippe Foucras

Philippe Foucras

Philippe Foucras est médecin généraliste et président du Formindep, association "pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes".

Il n'a aucun lien avec l'industrie pharmaceutique.

Voir la bio »

Atlantico : L'affaire du Mediator met-elle en avant le manque d'indépendance des experts rémunérés par l'industrie pharmaceutique qui sont consultés avant la mise sur le marché des médicaments ?

Philippe Foucras : L'origine de cette affaire date d'il y a près de quarante ans. Il n’existait alors pas d’agence de médicaments, tout se passait dans les ministères. Les dernières révélations de Libération confirment ce que l'on savait, ce qui était écrit notamment dans le rapport de l'IGAS de janvier dernier. Le fait que Servier ait magouillé se trouvait déjà dans ces rapports, qu'ils aient roulé les autorités de l'époque dans la farine également.

Concrètement, avant la mise sur le marché de médicaments, des experts donnent leur avis. Il ne s'agit pas d'experts "indépendants", puisque ces professionnels ont des relations et sont rémunérés par les fabricants de médicaments. Ils sont donc juge et partie. Le scandale du Mediator a permis de mettre cela en évidence. Et c'est bien-sûr un problème.

Comment la situation a-t-elle évolué depuis quarante ans ?

Le Mediator a pu perdurer jusqu’en février 2009, donc les décisions de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) devaient encore se prendre sous l’influence des lobbies, du fait de la présence d’une expertise de spécialistes ou de médecins experts qui travaillent habituellement et de façon régulière pour l’industrie pharmaceutique. Une nouvelle loi est en train d'être préparée, mais dans son projet, le principe d'une expertise indépendante  n'est pas clairement affiché, contrairement à ce que nous, à la Formindep, demandons. Le Sénat le réclame également.

En quarante ans, on a bien-sûr progressé. Le scandale du Mediator a aidé à progresser. Mais si vous ne vous attaquez pas au vrai problème, les choses resteront a peu près les mêmes. Selon moi, le problème majeur est celui d'une expertise indépendante. Vous pouvez renommer l'AFSSAPS ou changer son directeur, si vous ne changez pas les hommes qui ont  créer le problème, ils le recréeront de la même façon.

Comment expliquer une telle situation ?

Par un manque de moyens et de volonté politique. Les politiciens avec l'AFSSAPS n’ont pas les moyens de créer et recruter une expertise indépendante. Il faut mettre en place les outils d’une expertise indépendante. Dans le rapport du Sénat, qui a repris nos propositions, il est proposé de créer une expertise indépendante composée de médecins qui veulent devenir experts pour la santé publique. Pour respecter l’intérêt général, ils doivent être recrutés et formés spécifiquement pour ça. Etre expert pour l’industrie pharmaceutique c’est un métier qui est respectable, mais être expert pour la santé publique c’est un autre métier : ce n’est pas parce qu’on a été un expert pour l’industrie pharmaceutique qu’on est un bon expert pour la santé publique et l’intérêt général. Le scandale du Mediator en est la preuve tout comme ceux d'avant, voire ceux d'après.

On a vu avec Servier ce que signifie "être expert en médicament pour l’industrie" : cela veut dire être capable de présenter des dossiers de façon à les faire passer plus ou moins clairement, plus ou moins honnêtement... Alors qu'être expert pour médicaments dans la santé publique c’est pouvoir analyser en toute lucidité et indépendance, l’efficacité d’un médicament, dans l’intérêt des patients et non dans l’intérêt des firmes et de leurs actionnaires.

Cette situation est-elle une spécificité française ?

La France fait pire que les autres, mais les autres font déjà mal ! La caricature c’est le niveau de l’agence des médicaments européeenne, l’EMA  : à coté d'elle, l'AFSSAPS semble un parangon de vertu. Les experts des firmes pharmaceutiques sont présents dans toutes les agences sanitaires mondiales. Certaines font juste plus d’efforts que d’autres pour s’en protéger afin d'avoir une expertise indépendante. L’EMA n’en fait aucun, et l'AFSSAPS pas suffisamment. C'est une mine d’or pour les industries pharmaceutiques.

Nous sommes franchement en retard. Cela fait dix ans que nous disons cela. C’est toujours dommage qu’il y ait des dégâts pour que l’on fasse quelque chose. Désormais, on sait des choses. Il y a eu des discours importants... mais seules des mesurettes ont été prises.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !