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L'examen de la loi sur le mariage pour tous à l'Assemblée nationale entre dans sa deuxième semaine.
L'examen de la loi sur le mariage pour tous à l'Assemblée nationale entre dans sa deuxième semaine.
©Reuters

Loi naturelle

L'examen du projet de loi entre dans sa deuxième semaine. L'opposition fait durer les débats sur les termes de "père" et "mère", et les visions de l'Homme s'opposent.

Le Scribe

Le Scribe

Le Scribe est une conscience libre d’une trentaine d’année, qui a jeté sa télévision. Banquier, artiste, et féru de philosophie politique, le Scribe raconte notre monde au delà du bourdonnement médiatique, en s’attachant à discerner les forces qui le travaillent en profondeur.

Il tient un blog : http://le-scribe.hautetfort.com/

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Que répondre aux partisans de la possibilité pour des homosexuels de se « marier » et donc de « faire famille » au moyen des procédés scientifiques désormais disponibles ? Qu’il y a des choses qui nous dépassent, que seuls un homme et une femme peuvent faire des enfants, qu'un couple n'est pas une paire ? Ne vous fatiguez pas, vos arguments sonnent creux, ils glissent sur leur sourire conquérant sans la moindre chance de faire ciller leur bonne conscience. Pourquoi ? Parce qu’ils savent qu’au fond vous faites appel à Dieu. A une idée passée. Et ils ont raison.

Sauf qu’elle n’est peut-être pas si passée. Et que Dieu n’est peut-être plus son seul nom.

Bien sûr, de peur d’être disqualifiés d’office, la plupart d’entre nous se rengorgeront dans une indignation sincère ou simulée, et rectifieront immédiatement d’un très laïc, « non, non, il ne s'agit pas de Dieu, laissons la foi en-dehors de cela, je te parle de la Nature, de la Nature humaine » et de continuer avec des « c’est comme ça depuis toujours, un enfant nait d’un père et d’une mère, on n’y peut rien.»

Oui mais voilà, qui donc se cache derrière les mots « Nature », « depuis toujours », «Nature humaine »?

D’autres parmi nous, se voulant plus inattaquables encore, prendront une intonation très républicaine et clameront que c’est au nom du Code civil! Mais le Code civil n’est pas la Bible, leur rétorquera-t-on très justement. "Il évolue avec les mœurs, le Code civil, ma bonne dame… Les femmes n’avaient pas le droit de voter figurez-vous !" Et le pourfendeur de réactionnaires homophobes de vous achever sur place grâce au bâton que vous venez de lui donner.

Car d’argument, en réalité, il n’y en a qu’un. Et c'est bien celui de l’existence d’un ordre supérieur, de quelque chose au-dessus de la loi. Car il faut bien invoquer une loi au-dessus de la loi humaine pour déclarer celle-ci illégitime. « Alors cela ne peut-être que Dieu! » les entend-on déjà rugir. "Obscurantistes", "rétrogrades" ne devraient pas tarder à jaillir de leur garde-robe de prêt-à-penser.

Ils ont raison et tort à la fois : dire qu’il y a quelque chose qui ne bouge pas, quelque chose d'intangible dans l'univers, d’absolu, c’est en effet donner une définition de Dieu. Mais c’est surtout accepter l'idée très moderne que nous faisons partie de quelque chose qui nous dépasse, que nous participons d’un ensemble, d'un tout, qu’il ne nous appartient pas de dérégler. Ce discours ne vous parle-t-il pas?

Dès lors qu'un ordre supérieur ne peut être que d'origine divine, on comprend bien pourquoi les notions de "Loi naturelle" ou de "nature humaine", sont tout bonnement insupportables à un progressiste ; l’affaire est entendue depuis les Lumières. Seul l’homme est maître de son destin, rien ni personne n’est légitime pour lui dire ce qu'il doit faire, comment vivre, avec qui faire l’amour, ni comment faire des enfants. Ni vous ni moi, ni Dame Nature. Personne sinon lui, l’homme qui avance.

Pour ces gens-là, appelons-les les prométhéens, n’y a pas de plan divin, d’ordre naturel, ni-même de Grand Architecte, quoi qu’ils puissent dire. L’Homme EST l’architecte de l’univers. Si divin il y a, alors l’Homme EST le divin. C’est à l’Homme de définir sa propre loi. Si l’Homme le peut (science) et se l’autorise (loi), alors l’Homme le fait.En effet au nom de quoi l’homme prométhéen s’empêcherait-il de faire quelque chose qu’il peut faire ? Au nom de la morale me répondra-t-ton ? De la moral laïque précisera-t-on d’emblée bien sûr. C’est à dire la morale areligieuse, celle qui n’est pas assujettie à des principes intangibles et absolus mais qui évolue avec les mœurs, selon le « degré de maturité des sociétés », « l’avancement des idées », ou la « chute des tabous » ?

L’homosexualité n’était pas morale pour un instituteur athée de la très morale IIIe République, mais la colonisation des peuplades sauvages du bout du monde l’était tout à fait. Cette morale là, on le voit bien, ne saurait constituer une quelconque limite à l’hubris humaine. Tout au plus est-t-elle parfois un frein durant une courte période « le temps que la société soit prête » dirait Mme Guigou qui jurait ses grands dieux il y a 15 ans que jamais il n’y aurait de mariage homosexuel. En réalité sur le long terme, cette morale laïque et relativiste légitime bien plus qu’elle ne stoppe ou ne régule le soi-disant "progrès".

Deux visions de l'Homme

Il y a donc d’un coté ceux qui considèrent qu’il y a en l’Homme quelque chose d’immuable et d’absolu, qui le dépasse et le transcende, et qui n'est pas de son ressort. Cette loi supérieure, que nous l'appelions Dieu ou Nature, confère à l'Homme un caractère sacré c’est-à-dire insensible à tout contexte spatial ou temporel, politique ou technologique, rendant du coup possible un droit inaliénable à la "dignité humaine".

De l’autre il y ceux qui considèrent que l’Homme est l’Homme parce que, justement, il s’affranchit des lois de la Nature. Parce qu’il n’a cessé depuis ses débuts de chercher à la maîtriser, à la soumettre, à la mettre au service de ses besoins, de son confort, de ses « aspirations légitimes ». La "Nature humaine" ne saurait échapper à la Nature, dont elle fait partie, elle est donc tout aussi modifiable, améliorable, « perfectible » dirait Rousseau, le père de la doctrine égalitaire.

La victoire de Gaïa

Ce qui est étonnant, c’est que ce positivisme triomphe dans le champ du social et de la vie privée, au moment même ou il s’achève dans la sphère économique et politique. En effet, avec la révolution écologique et le concept si consensuel de développement durable, c’est bien l’idée de Nature qui triomphe du productivisme à tout crin, c'est bien le Bio (littéralement « la vie ») qui triomphe de l’artificiel, c'est bien l’idée que l’homme ne doit pas faire ce qu’il veut simplement parce qu’il le peut, mais qu’il doit respecter et préserver l’environnement dont il fait partie.

La "théorie Gaïa" qui sous-tend et justifie le discours écologique politique n’est autre que l’idée qu’il faut respecter un ordre naturel, préexistant à l’activité humaine moderne. Cette théorie voit le monde comme un organisme vivant, un tout.Exactement ce que les croyants de toutes les religions entendent par la notion de « Création ». Ainsi les mots et les concepts de « protection » « sauvegarde de l’environnement », « préservation de la planète », « patrimoine mondial », « principe de précaution », dont nous sommes continuellement abreuvés, expriment-ils clairement  l'idée qu’il y a quelque chose de plus grand que nous qu’il ne faut pas prendre le risque de détruire au risque de s’auto-détruire. A ce titre le film Avatar est tout à fait illustratif de cette nouvelle pensée holistique dominante.

Cette idée d'un ordre supérieur et naturel des choses est donc tout sauf rétrograde.

La faillite de l'idéologie positiviste

L’idéologie égalitaire, aussi bien intentionnée soit-elle, de la même façon qu’elle a aboutit au totalitarisme lorsqu'elle a été appliquée à l’économie (collectivisme et communisme), aboutira au totalitarisme appliqué aux relations sociales et familiales. Il s'agira d'un totalitarisme encore plus violent puisqu’il ne se contentera pas de nier et de décréter illégal ou « contre-révolutionnaire » les réalités économiques fondamentales (l’instinct de propriété, les inégalités de talents,…), mais cette fois il niera et décrétera illégal, ou « réactionnaire », des réalités biologiques (l’altérité sexuelle, la procréation sexuelle, l’instinct maternel, l’incapacité pour un homme d’enfanter ou d’allaiter, etc.)

Les socialistes, comme tous les idéologues, voudraient que le monde se conforme à leurs idées. C’est bien connu, ils veulent « changer le monde ». Et pour cela ils ont un allié objectif, la science. Cimourdain, le parfait révolutionnaire imaginé par Victor Hugo dans 93, « voudrait les hommes faits par Euclyde », autrement dit, conçus selon des lois mathématiques. Les socialistes voient le monde comme un carcan dont il faut s'émanciper ; la Nature pour eux est synonyme de maladies, de catastrophes, d’inégalités, et de déterminismes sociaux et culturels intolérables.

Mais cette vision du monde prométhéenne, positiviste, progressiste, ou techniciste, appartient en réalité au passé. Elle vivote encore en France, patrie de Rousseau et de Robespierre, mais elle est politiquement morte et enterrée avec feu l’URSS, et ses fondements philosophico-économiques sont un peu plus entamés chaque jour par les catastrophes écologiques à répétition, les multiples maladies issues des pollutions, ou le réchauffement climatique.

Aujourd’hui dans le monde, la vision prédominante, que nous pourrions appeler "écologiste" ou "holistique", conçoit non plus l’Homme comme le seul être vivant ayant le droit d’utiliser sa science en toute impunité et pour son bon plaisir, mais comme devant s’efforcer de vivre en harmonie avec le reste de son environnement avec lequel il forme un écosystème.

Et que dirait Gaïa du mariage pour tous?

On a donc assisté, sur le plan économique, à une révolution avec la victoire de l'idée de Nature (un ordre naturel supérieur, somme toute très proche de l’idée de Dieu, si vous me suivez) qui marque la reconnaissance d’une loi, appelée l’écologie, se situant au-dessus des considérations humaines : ce n’est plus la planète qui doit servir l'économie mais l’économie qui doit servir la planète. Si ce changement de paradigme est survenu dans le champ économique, Il n'est pas impossible, bien au contraire, qu’il survienne dans le champ du social et de la vie privée.

En effet la génération qui arrive à l'âge adulte aujourd'hui se retrouve face à un champ de ruine en matière familiale et sociétale, après les ravages causés par les slogans soixante-huitards (il est interdit d’interdire, l’enfant roi, destruction de la famille dite bourgeoise, du modèle dit patriarcal, libération totale des mœurs, discrédit du mariage, etc.). Or l’énième coup de boutoir que constitue ce projet de loi est d’une telle violence, qu’il peut constituer l'électrochoc (trop c’est trop) salvateur. La manifestation du 13 janvier tend à le démontrer.

Ce serait alors le début, n’en doutons pas, d'un puissant et bien logique retour de balancier, dans le sillage de ce qui se passe avec l’écologie dans le domaine économique, qui engagerait la société dans une dynamique radicalement nouvelle qui s’attacherait à faire la part des choses entre ce qu'il convient désormais de préserver, voire de sanctuariser, dans l'Homme (sa Nature) et ce qu'il est permis de modifier ou d'améliorer (sa capacité à satisfaire ses aspirations naturelles).

Un choix crucial

On peut être pour ou contre ce projet de loi, mais ayons conscience qu’il ne s’agit pas d’une simple question de politique sociale comme on voudrait nous le faire croire. Ce sont bien deux conceptions de l’Homme qui s’opposent dans ce débat, et par conséquent deux projets pour l'Humanité. D'un coté une communauté d'hommes et de femmes dont les aspects essentiels de la vie sont régis et protégés par des lois qui relèvent de principes intangibles. De l'autre, un groupe d’êtres dont aucune caractéristique n’est reconnue comme figée, et dont la vie est régie par des lois évoluant au fil des « avancées » technologiques.

La question posée par ce débat est donc "qu'est ce que l'Homme?". Il n'y a pas de question plus essentielle. Si vous n’êtes pas remué au plus profond de votre être par cette loi, c’est que vous n’en avez pas pris la juste mesure.

En réalité nous vivons un moment critique de l’histoire de l’humanité.G. Orwell (1), A. Huxley (2), R. Barjavel (3), A. Koestler (4), Masamune Shirow (5), les frères Wachowski (6) et biens d'autres écrivains, cinéastes et penseurs récents ont vu, et nous ont averti que le versant prométhéen de la pensée occidentale était une autoroute filant droit vers le Meilleur des Mondes, la barbarie et l’homme déshumanisé.

A l'inverse, toutes les religions et les sagesses du monde nous invitent à rechercher ce qu’il y a d’immanent dans l’Homme, à regarder avec émerveillement ce qui échappe à l’entendement et au rationnel, avec l’intuition profonde que ce regard tourné vers le mystère nous préservera toujours du pire, c’est à dire de l’aliénation de l’homme par son propre génie créateur, par sa propre folie destructrice.Une société sans transcendance n’a plus aucun garde-fou. La technique sera son seul maître, sa seule aune. Je ne veux pas d’une telle société. Et je sais que la majorité des hommes n’en veulent pas. Encore faut-il qu’ils prennent conscience de ce qui se joue aujourd'hui.

« Si Dieu est mort tout est permis », disait Dostoïevski. Oui mais la Nature est née lui répond l’homo ecologicus du XXIe siècle. Alors que diront les Français ?

Car c’est donc à nous, ici et maintenant, de décider si tout est désormais permis.

(1) 1984
(2) Le meilleur des mondes
(3) Le voyageur imprudent
(4) Le cheval dans la locomotive
(5) Ghost in the shell
(6) Matrix

Article précédemment publié sur Le Scribe

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