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Quand fonder une famille est motivé par des considérations économiques
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Bonnes feuilles

C'est pour intéresser davantage les femmes à l'économie que les auteures ont entrepris d'en parler autrement. Extrait de "L'économie pour toutes", de Jézabel Couppey-Soubeyran et Marianne Rubinstein (1/2).

Marianne  Rubinstein

Marianne Rubinstein

Marianne Rubinstein, économiste, est maître de conférences à l’université Paris-VII-Denis-Diderot et membre du Centre d'économie de l'université Paris Nord (CEPN). Auteure de nombreuses publications économiques, elle écrit également des romans et des essais.

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Jézabel  Couppey-Soubeyran

Jézabel Couppey-Soubeyran

Jézabel Couppey-Soubeyran, est économiste, maître de conférences à l'université de Paris-I-Sorbonne, membre associé à l'École d'économie de Paris et conseillère scientifique auprès du Conseil d’analyse économique. Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages d'économie académiques et grand public. Elle a notamment écrit "L'économie pour toutes" avec Marianne Rubinstein et "Parlons banque" avec Christophe Nijdam. 

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Avez-vous remarqué que vos collègues masculins – voire votre conjoint – portent souvent un intérêt croissant à leur travail quand leur famille s’agrandit, restant travailler plus tard le soir sans forcément arriver moins tôt le matin ? On pourra toujours y voir l’investissement accru de pères de famille soucieux de préparer l’avenir de leur progéniture, ou un « choix » concerté – même s’il est en grande partie déterminé socialement, culturellement… – de partage des tâches au sein du ménage (« l’homme au boulot, la femme aux fourneaux et aux marmots »). Mais comment ne pas y voir aussi un bon moyen d’échapper aux tâches domestiques qui vont croissant à l’arrivée des enfants ? L’inégalité face aux tâches domestiques demeure importante entre hommes et femmes. Or les journées ne compteront jamais plus de vingt-quatre heures. Le temps que les femmes consacrent au travail domestique est à soustraire de celui qu’elles peuvent souhaiter consacrer à leur activité professionnelle. Il en résulte des écarts de salaires, quand ces derniers ne s’expliquent pas par le fameux « plafond de verre ». À quand la vaisselle pour tous et la fin des inégalités de salaires entre hommes et femmes ?

La famille : une petite entreprise… en pleine restructuration

Il est des sujets dont on se dit a priori qu’ils n’ont pas grand-chose à voir avec l’économie. Détrompez-vous, les économistes chaussent leurs lunettes pour observer n’importe quel objet, dès lors que l’on peut y associer des choix et des incitations, une offre et une demande, des coûts et des bénéfices, etc. La famille en fait partie. Vous seriez même étonnée à la vue des savants modèles utilisés pour y réfléchir. Dérive scientiste et impérialisme des économistes pour les uns, cadre fructueux pour les autres, l’économie de la famille se veut prolixe sur de nombreuses questions : « Pourquoi se marie-t-on ? », « Pourquoi fait-on des enfants ? », « Pourquoi divorce-t-on ? », etc.

La conception de départ est assez simple pour ne pas dire simpliste. Les économistes se représentent la famille comme une petite entreprise réunissant « deux associés » qui produisent ensemble ce qui est utile à leur consommation. Cette union suppose un gain à produire ensemble plutôt que séparément : on réalise des économies d’échelle en supportant à deux les coûts (l’achat d’un lit, d’un réfrigérateur, d’un canapé, etc.) et l’on partage les risques (de chômage ou de maladie, par exemple), on jouit de biens mis en commun (logement, etc.). Certaines études ont estimé que les célibataires pouvaient doubler leur pouvoir d’achat en se mettant en couple !

La petite entreprise « famille » a besoin de ressources (les revenus du travail, éventuellement ceux du patrimoine, ou encore les sommes empruntées à la banque) et a pour objectif de produire le plus efficacement possible ce dont elle a besoin. Elle peut assurer sa propre production ou externaliser certains services s’il se révèle moins coûteux de les faire produire par d’autres : employer une femme de ménage, aller au restaurant, employer un(e) baby-sitter, etc.

Les deux associés exploitent leurs complémentarités. Chacun se spécialise dans ce pour quoi il est relativement le meilleur. Ainsi, même si vous êtes à la fois très efficace au travail et en cuisine, le fait que vous le soyez relativement plus en cuisine que votre associé(e) devrait vous conduire à vous spécialiser en cuisine, tandis que votre associé se spécialisera dans le travail – c’est le principe des avantages comparatifs appliqué… à la famille (même si Einstein tape mieux à la machine que son/sa secrétaire, il vaut mieux qu’il se spécialise en physique, car là réside son avantage comparatif !).

Outre la vaisselle, le ménage, les repas, la lessive, cette petite entreprise produit des enfants, et tous les soins et l’éducation que ceux-ci requièrent ! Rationalité et efficacité s’imposent en la matière, cette production étant probablement la plus coûteuse de toutes. Aussi les associés arbitrent- ils entre le « nombre » et la « qualité », si par cette dernière on entend le niveau d’éducation de chaque enfant. Voilà de quoi interpréter la diminution du taux de fécondité dans les pays riches : les parents ont moins d’enfants pour assurer à chacun un meilleur niveau d’éducation. Les études économiques tendent à confirmer ce choix et vont jusqu’à montrer qu’avoir plus d’enfants réduit le niveau scolaire moyen des enfants dans la famille.

De quoi justifier, à l’échelle d’un pays, le bien-fondé d’une politique de faible natalité ? Sans doute pas, car d’après les estimations, les gains en termes de scolarisation, d’études supérieures et de niveau mesuré par les notes ne dépasseraient guère quelques points de pourcentage. En outre, si à court terme la baisse du taux de fécondité permet de réaliser des économies, à plus long terme, elle implique une moindre force de travail et donc une moindre capacité à créer de la richesse. Il n’est pas impossible de compenser cette perte de capacité en retardant le départ à la retraite, en favorisant la participation des femmes au marché du travail ou la venue d’une main-d’oeuvre étrangère, mais cela peut se révéler plus ou moins périlleux selon la conjoncture sociale et politique.

Bien sûr, l’économie de la famille a dû s’adapter à un sujet en pleine « recomposition ». Non que le mariage soit devenu une institution dépassée (s’il y a une seule chose sur laquelle partisans et opposants du mariage pour tous se rejoignent, c’est bien l’attachement à cette institution !) ou en raison de divorces plus fréquents, mais pour d’autres raisons, plus profondes.

D’abord, avec l’allongement de la durée de vie et la baisse de la fécondité, un adulte passe aujourd’hui un plus grand nombre d’années sans enfant (qu’il en ait ou pas). Ensuite, avec le recul de l’âge au mariage et les remariages, vivre ensemble n’implique plus forcément de vivre avec ses propres enfants (en 2005, aux États-Unis, seuls 41%des personnes mariées vivaient avec leurs enfants, contre 75 % en 1880), ni même d’avoir à inclure des enfants dans ses choix de vie. Enfin, avec l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail, le principe selon lequel l’homme se spécialiserait dans le travail et la femme dans la production domestique est devenu un peu – comment dire ? – « désuet » (quoi que… nous y reviendrons à propos du partage des tâches domestiques). En bref, la « production d’enfants » et le « principe de spécialisation » ne sont plus aussi centraux qu’auparavant dans l’analyse de la famille. Les économistes ont néanmoins encore beaucoup à dire sur les motivations… économiques (cela va sans dire) des mariages et des divorces, d’autant plus qu’ils disposent aujourd’hui d’une masse croissante de données leur permettant de réaliser des études empiriques.

Extrait de "L'économie pour toutes", de Jézabel Couppey-Soubeyran et Marianne Rubinstein, publié chez la découverte, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.


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