Lutte contre l’inflation : et au fait, quelle est la part de notre responsabilité de consommateur (et d’électeur) dans la situation actuelle ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans certains cas précis, les consommateurs peuvent accentuer une hausse des prix.
Dans certains cas précis, les consommateurs peuvent accentuer une hausse des prix.
©FRANK PERRY / AFP

Hausse des prix

Si la question vaut surtout pour ceux qui ont au moins une petite marge de manœuvre pour choisir comment faire leurs achats, elle concerne tous les Français.

Eric Dor

Eric Dor

Eric Dor est docteur en sciences économiques. Il est directeur des études économiques à l'IESEG School of Management qui a des campus à Paris et Lille. Ses travaux portent sur la macroéconomie monétaire et financière, ainsi que sur l'analyse conjoncturelle et l'économie internationale

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Jean de Kervasdoué

Jean de Kervasdoué

Jean de Kervasdoué est un économiste de la santé français, titulaire de la chaire d'économie et de gestion des services de santé du conservatoire national des arts et métiers (CNAM)et membre de l’Académie des technologies. Il a été directeur général des hôpitaux.

Ingénieur agronome de l’Institut national agronomique Paris-Grignon il a également un MBA et un doctorat en socio-économie de l’Université de Cornell aux Etats-Unis. Il est l'auteur de Pour en finir avec les histoires d’eau. Imposture hydrologique avec Henri Voron aux Editions Plon et vient de publier Les écolos nous mentent aux éditions Albin Michel. 

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Atlantico : L'inflation reste à un niveau élevé à 6.2% en février 2023. Si les raisons macroénomiques sont bien identifiées, on peut aussi se demander quelle est la part de responsabilité des consommateurs dans la situation actuelle. Certains de nos choix et de nos préférences favorisent-ils l’inflation ? Comment ?

Eric Dor : À l’heure actuelle, la hausse des prix a commencé suite aux pénuries provoquées par le confinement, puis, quand la demande a repris, les prix ont de nouveau augmenté après la guerre en Ukraine et le tarissement des sources d’énergie russes. Mais face à ce constat, le consommateur ne pas faire grand chose. Pourtant, dans certains cas précis, les consommateurs peuvent accentuer une hausse des prix. C’est notamment le cas quand ils concentrent leur demande sur des produits qui sont en pénurie. On l’a vu pendant la crise sanitaire, sur des produits d’hygiène par exemple, quand des individus se ruaient dans les magasins par réflexe moutonnier. C’est un exemple de conflit entre l’intérêt purement individuel et la prise en compte de l’intérêt global.

Jean de Kervasdoué : Je n’en suis pas certain car, à un instant donné, un ménage a très peu de liberté de choix dans son budget. Il doit payer son loyer, ses factures d’électricité, de téléphone, ses impôts, l’école des enfants, la mutuelle … Aussi quand le prix de ces postes imposés augmente, il ne peut que réduire ses loisirs, ses dépenses alimentaires et … moins se chauffer pour réduire ses factures de fuel ou d’électricité.

Observe-t-on un tel conflit à travers le cas des magasins Delhaize en Belgique ? A-t-on des exemples similaires en France ? 

Eric Dor : Le cas des magasins Delhaize est représentatif de l’intérêt, pour les consommateurs, d'adopter un comportement éthique de choix des magasins qui soit aussi conforme à leurs intérêts de travailleur. La grande distribution est un secteur très concurrentiel et les enseignes se font concurrence sur les prix, sur les heures d’ouverture pour plaire aux clients … Cette concurrence pour comprimer les coûts et avoir des prix plus bas se fait donc au détriment des conditions sociales des employés, à qui on demande une productivité plus forte avec des salaires compressés par le recours au travail étudiant par exemple. Choisir les magasins aux prix les plus bas et aux heures d'ouverture les plus large, c'est voter explicitement en faveur de bas salaires et de mauvaises conditions de travail. C'est une schizophrénie des consommateurs qui oublient qu'ils sont eux-même travailleurs. Le consommateur pourrait bouder les enseignes qui promeuvent ces politiques, quitte à payer plus cher. En matière d’écologie, on dit qu’il faut privilégier les circuits courts, le bio, les aliments non-transformés … mais cela a pourtant un coût élevé. On demande donc aux individus de faire des sacrifices qui avoir des produits plus sains et respectueux. Mais les clients est-il prêt à faire ces sacrifices ? Avec l’inflation que nous connaissons actuellement, on voit bien que la filière bio est confrontée à une érosion des ventes car les consommateurs regardent davantage leurs porte-monnaies.

En France, le recours aux franchises a des conséquences similaires. C’est le cas pour certains magasins Intermarchés, Carrefour, Franprix, Monoprix …

Peut-on étendre cette logique à nos actions en tant qu’électeurs et citoyens ? 

Eric Dor : Si on résonne logiquement, les individus auraient intérêt à accorder leurs opinions politiques avec leur comportement. Si vous avez une sensibilité écologique et que vous la matérialisez dans votre vote, il est logique que dans votre comportement d’achat que vous privilégiez le bio, les filières courtes … 

Par exemple, quand on parle de « droit à la paresse », cela peut sembler provoquant, voire immoral si cela signifie vivre grâce au travail des autres. Effectivement, si de nombreuses personnes commencent à vivre de cette manière, les coûts vont augmenter et l’inflation va s’installer. De plus, cela va nuire aux personnes les plus précaires. En revanche, face à la concurrence des pays à très bas salaires, nous devons augmenter très fortement la productivité pour éviter les délocalisations, ce qui nous oblige à exercer de plus en plus de pression sur les travailleurs. De ce point de vue, il est souhaitable de trouver un meilleur équilibre. 

L'adhésion d'une certaine partie des français au droit à la paresse est-il le dernier exemple en date d'une forme de paradoxe français ?

Jean de Kervasdoué : Je ne suis pas un spécialiste des générations récentes - générations X, Y ou Z -, mais comme l’implique votre question, je pense qu’il a toujours existé en France des partisans au droit à la paresse. Ainsi, au milieu du 19ème siècle, Frédéric Bastiat, député des Landes, remarquait déjà que « l’Etat est cette grande fiction grâce à laquelle chacun essaye de vivre aux dépens de tout le monde » car, pour les Français, in fine ce n’est jamais eux qui payent, mais l’Etat ou la Sécu. On a chaque jour la triste illustration de la justesse de cette analyse. On peut donc exercer son droit à la paresse, les autres paieront !

En soutenant des programmes politiques propices aux réglementations (par exemple sanitaires ou environnementales) qui étranglent l’agriculture et l’industrie, sommes nous en partie dans une situation auto infligée sur le front de l’inflation ?

Eric Dor : Il ne s’agit pas d’inflation au sens propre mais comme je l’expliquais précédemment, on a poussé les agriculteurs à développer l’industrie bio, alors que ces produits coûtent plus cher. Mais le constat est identique pour le commerce équitable. On demande de privilégier le chocolat, le café ou le thé qui sont labéllisés commerce équitable, pour lesquels ont garantie que les paysans de pays pauvres seront rémunérés correctement pour leur travail, que des produits néfastes pour l’environnement ne sont pas utilisés … Mais de nouveau, ces produits ne sont pas les moins chers. Si on en appelle à la responsabilité citoyenne des consommateurs, cela passe très souvent par une augmentation des prix. Ces consommateurs pourraient donc être eux-mêmes victimes, dans leur propre vie, de ces augmentations de prix. 

Jean de Kervasdoué : Oui, bien entendu. S’il n’y a pas d’analyse plus récente, selon l’INSEE, « entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, la hausse des prix de l’énergie a contribué à 3,1 points d’inflation sur un total de 5,3%... En l’absence de « bouclier tarifaire », l’inflation entre les deuxièmes trimestres de 2021 et 2022 aurait été de 3,1 points plus élevée ». En 2023, selon Michel-Edouard Leclerc, la croissance du coût des produits alimentaires atteindrait 12% en 2023.

Ces deux statistiques portent il est vrai sur des périodes différentes, mais elles indiquent - l’une puis l’autre - les deux secteurs causes majeures de la poussée inflationniste : l’énergie et l’alimentation. Certes, ni les consommateurs, ni l’Etat ne sont à l’origine de la guerre en Ukraine, cause immédiate de la croissance du prix de l’énergie comme de celle des engrais et des produits agricoles, mais ce conflit est révélateur de nos errances passées et, malheureusement, toujours présentes.

Ainsi, la croissance phénoménale du coût de l’électricité en France est la conséquence directe de la conjugaison de deux paradigmes, le premier est économico-politique, le second est écologique. En effet, la France a accepté le 1er juillet 2007 les principes d’une concurrence ouverte du marché européen de l’électricité qui a prétendu, sans fondement empirique et avec de sérieuses objections théoriques, être bénéfique pour le consommateur. Pour le mettre en œuvre, il a notamment été demandé à EDF de vendre à prix fixe de l’énergie à ses concurrents pour que ces derniers puissent le rétrocéder aux usagers finaux. Aujourd’hui leur prix de vente, indexé sur le prix du gaz, est cinq à six fois plus élevé que leur prix d’achat à EDF.

Pour ce qui est de l’alimentation, nous produisons de moins en moins en France du fait des réglementations tatillonnes et souvent injustifiées imposées aux agriculteurs. Les coûts de production croissent, la France importe. Il faut dire qu’en la matière la politique agricole européenne (« Farm to Fork Strategy »), au nom d’une très discutable vision de l’écologie, a pour conséquence la baisse de la production et donc mécaniquement l’augmentation des prix. En outre, ceci est particulièrement net pour les produits « bios » très sensiblement plus onéreux dont, par ailleurs, les bienfaits sanitaires n’ont jamais été démontrés.

Heureusement pour les consommateurs, il y a la soupape de l’importation. Comme l’indique Jean-Paul Pellerin dans Le Point : « 70 % des fruits et 30 % des légumes consommés en France sont issus de l'importation. Idem pour la volaille, à hauteur de 40 %, 20 % pour le porc, plus de 50 % pour les ovins et environ 25 % pour la viande de bœuf, dont les importations ont augmenté de 15 % sur un an, alors que l'élevage français vient de perdre 11 % de son cheptel en six ans. Soit, selon la Fédération nationale bovine, 837 000 vaches. »  La « ferme-France » subit les coûts élevés de sa main d’œuvre et les conséquences des règlements, notamment en matière de l’usage des produits phytosanitaires et d’herbicides, qui lui sont spécifiques. Les productions se font donc ailleurs. 

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