Logement social français : cet écosystème ultra-centralisé qui nous mène droit dans le mur<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon Michel Auboin, plus d’une personne sur deux immigrée d’Afrique subsaharienne, d’Afrique sahélienne et d’Algérie est logée dans le logement social, contre une personne non immigrée sur dix.
Selon Michel Auboin, plus d’une personne sur deux immigrée d’Afrique subsaharienne, d’Afrique sahélienne et d’Algérie est logée dans le logement social, contre une personne non immigrée sur dix.
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Un terrible échec

Les logements sociaux sont la caractéristique d'un écosystème français de logement social ultra-centralisé et étatique, en particulier avec la faiblesse du taux de rotation.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Fondapol, en lien avec l’observatoire de l’immigration et de la démographie, a publié une note de Michel Auboin qui a le mérite de concilier une présentation documentée de l’histoire et de la situation présente du logement social français, mais aussi une vision décalée et percutante abordant directement différents non-dits voire tabous sur un secteur considérable sur les plans économique et social (5,4 millions de logements occupés par 11 millions de personnes, 16 % des résidences principales et bien plus si on exclut les pavillons et maisons individuelles, 22 milliards de loyers perçus, 7 milliards d’APL versés aux locataire…). Il faut distinguer dans la note entre constats et préconisations.

Le constat

La note analyse d’abord le lien entre logement social et immigration via l’analyse du statut d’occupation de différents groupe d’immigrés (via la reprise de la définition INSEE : un immigré est une personne née étrangère à l’étranger). Elle constate la surreprésentation de personnes nées en Afrique sahélienne, Afrique subsaharienne et dans le Maghreb, mais également de leur descendants, ce qui indique une faible mobilité résidentielle pour ces populations qui accèdent peu à la propriété sur le territoire national. Le comportement d’autres immigrés est par contre très différent, d’abord les personnes provenant de Turquie et du Moyen-Orient et encore davantage des personnes venant d’Asie du Sud et de l’Est qui ont un statut d’occupation extrêmement proche de celui de la population non immigrée.

Selon Michel Auboin, plus d’une personne sur deux immigrée d’Afrique subsaharienne, d’Afrique sahélienne et d’Algérie est logée dans le logement social, contre une personne non immigrée sur dix. Cette situation tient à la fois aux critères d’attribution des logements sociaux qui, toutes choses égales par ailleurs, favorisent les personnes immigrées (niveau des revenu, structure familiale favorisant les familles monoparentales, droit au logement opposable…) mais également un très fort niveau de maintien dans le logement social de ces populations.

La note s’attaque ensuite au lien entre logement social et insécurité, en particulier les zones de grands ensembles et les 1 500 territoires QPV (politique de la ville) qui se recoupent avec les 80 zones de sécurité prioritaire-ZSP. En l’absence de données statistique détaillées, Michel Auboin rappelle les premières données sur les personnes interpellées à la suite des émeutes de l’été 2023 suite au décès de Nahel Merzouk selon lesquelles plus des trois quarts des émeutiers étaient de nationalité française, le plus souvent originaires du Maghreb ou d’Afrique et vivant au sein de familles monoparentales, familles qui représentent au passage le quart des occupants dans le logement social.

Est ensuite traitée la rente que constitue le fait de bénéficier d’un logement social pour ses occupants. En effet le locataire HLM combine le fait de bénéficier d’un loyer réduit du fait de multiples aides publiques (loyer net qui peut d’ailleurs être encore abaissé après APL) sans aucune limitation dans le temps du fait du droit au maintien dans les lieux. Michel Auboin note que ce durable avantage financier conduit de nombreux occupants à envoyer de l’argent ou même de réaliser un achat immobilier sans son pays d’origine.

Les autres constats de Michel Auboin incluent la faiblesse de la représentation politique et de la gouvernance des quartiers sensibles, l’impact de la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) de 2000 conduisant sous peine de lourdes amendes à avoir un stock minimum de 25 % de logements sociaux dans toutes les communes (cf. la « mixité forcée » évoquée par Mathieu Bock-Côté) sans fixer aucun stock maximum des mêmes logements sociaux sur un territoire, l’impact de la loi DALO (droit au logement opposable) favorisant les familles monoparentales et les personnes immigrées tout en permettant à des personnes expulsées pour des raisons de comportement de disposer de nouveau d’un logement social.

Michel Auboin diagnostique au final le caractère bloqué et insoutenable d’un écosystème français de logement social ultra-centralisé et étatique. En particulier la faiblesse du taux de rotation génère un écart permanent et croissant entre les demandes de logement social (qui doit tenir compte des entrées sur le territoire) et leur disponibilité en dépit de l’importance du secteur et des moyens qui lui sont consacrés à une époque de disette des finances publiques.

Les recommandations et solutions proposées

La première recommandation de Michel Auboin est la mise en place d’un moratoire normatif, un temps de réflexion pour analyser de façon détaillée la situation d’ l’écosystème logement social, en s’interrogeant particulièrement sur le bilan des lois SRU et DALO. On ne peut que souscrire à cette volonté d’évaluation des politiques publiques peu goutée en France dans ce domaine comme dans tous les autres.

Michel Auboin propose ensuite une réorientation profonde du logement social français, au profit de deux objectifs supérieurs selon lui : l’accueil des familles précaires et la meilleure intégration des populations issues des migrations extra-européennes. A cette fin il veut transformer le logement social en un dispositif temporaire, donc non permanent comme c’est le cas de fait, et faire en sorte que les occupants du parc social puissent accéder à la propriété. Michel Auboin favorise ainsi la logique d’un modèle résiduel de logement social (logement pour les personnes fragiles), ce qui est la tendance ininterrompue en France sur les 15 dernière années, mais y ajoute une dimension de point de passage via la disparition du droit au maintien dans les lieux. Sur ce dernier point, on peut noter que la particularité française est de garantir le maintien dans les lieux qu’aux seuls locataires HLM alors qu’il s’agit d’un droit ouvert à tous les locataires, sociaux ou privés, dans les pays de culture germanique (Allemagne, Autriche, Suisse).

Il propose enfin des mesures permettant de rééquilibrer les attributions pour que les ménage français non immigrés ne soient pas discriminés, mais également de faciliter l’expulsion définitive des locataires et des occupants générateurs de troubles. Cela est cohérent avec le constat de Michel Auboin en matière de poids des immigrés et d’atteintes à l’ordre public dans certains territoires avec forte présence de logements sociaux.

Concernant le seul secteur HLM, je suis plus favorable que Michel Auboin au rétablissement d’un système généraliste de logement social : il faut que les gens qui y contribuent, par exemple les salariés et les jeunes qui connaissent des difficultés importantes de logement n’en soient pas exclus. Dans tout système de protection sociale, il n’est pas sain qu’il y ait d’un côté ceux qui bénéficient du système et de l’autre ceux qui contribuent pour assurer son fonctionnement sans jamais y avoir accès.

Par ailleurs la note concentre son analyse sur le seul logement social. Il faut également prendre en compte ses liens avec l’écosystème du logement global, par exemple l’énorme dispositif français en matière d’asile et d’hébergement et le logement locatif privé. Il faut par exemple travailler sur la cohérence des parcours résidentiels et des niveaux de loyers entre les différents secteurs locatifs pour permettre une fluidité des parcours résidentiels peu favorisée à ce jours en France.

Une réflexion utile par rapport aux discours habituels sur le logement social

La note de Michel Auboin détonne par rapport aux deux discours dominants « officiels » concernant le logement social. Le premier discours indique qu’il faut sans cesse augmenter le nombre de logements sociaux, à l’appui de la gravité de la situation du « mal logement » porté par la Fondation Abbé Pierre et du volume toujours croissant de demandeurs de logements sociaux. Ce discours puissant fait fi de l’augmentation déjà considérable du parc social au cours des deux dernières décennies et de l’impact économique d’un secteur fortement consommateur d’argent public à un moment où les finances publiques sont particulièrement dégradées.

Le second, porté par exemple par Bercy et la Cour des comptes consiste à aller encore plus loin dans le modèle résiduel (« recentrer la politique du logement social sur les publics les plus défavorisés et soutenir la location abordable ») en espérant faire des économies par la limitation du public éligible. Ce discours ne prend pas en compte d’éventuels appels d’air générant une augmentation de la demande et transfère au seul secteur privé l’enjeu du logement de classes moyennes qui contribuent pourtant par leurs impôts et les contributions sur leurs salaires au fonctionnement du logement social. Le ministre du logement Guillaume Kasparian rentre un peu dans cette logique en souhaitant le départ du logement social des personnes dont les revenus ont augmenté.

Ces discours incluent le volet croissant lié à l’impératif climatique. Le personnel politique, et en tout cas tous les gouvernements depuis 2000 ne sont jamais sortis de ces logiques que dépasse clairement la note de Michel Auboin. Il faut en outre tenir compte de la puissance institutionnelle du secteur HLM au vu de sa taille économique et de sa puissance d’influence notamment à gauche et dans certains segments du mouvement patronal.

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