Les trentenaires vivent-ils vraiment plus mal que leurs parents au même âge ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Depuis quarante ans, le niveau de vie moyen en France a augmenté d’un peu moins de 1% par an.
Depuis quarante ans, le niveau de vie moyen en France a augmenté d’un peu moins de 1% par an.
©FREDERICK FLORIN / AFP

Mobilité intergénérationnelle

L’idée que les trentenaires s’en sortent moins bien que leurs parents au même âge persiste. Pourtant, les personnes nées entre le début des années quatre-vingt et le milieu des années quatre-vingt-dix ont un niveau de vie moyen de 30% au-dessus de ceux de leurs parents au même âge.

Joël Hellier

Joël Hellier

Joël Hellier est économiste et enseigne à l'Université de Nantes et de Lille 1. Ses travaux portent sur la macroéconomie des inégalités, l'économie de la mondialisation, l'éducation et la mobilité intergénérationnelle et l'économie du travail.
 

Voir la bio »

Atlantico : Outre-Atlantique, l’idée que les trentenaires d’aujourd’hui s’en sortiraient moins bien que leurs parents au même âge persiste. Pour autant, en pratique, ils touchent davantage et sont au moins aussi nombreux que la génération précédente à accéder à la propriété. Comment les trentenaires français s’en sortent-ils, de leur côté ? Leur situation est-elle aussi dramatique que d’aucuns ne le prétendent parfois ?

Joël Hellier : Depuis quarante ans, le niveau de vie moyen en France a augmenté d’un peu moins de 1% par an. En conséquence, la génération Y (encore appelée ‘millenials’), soit les personnes nées entre le début des années quatre-vingt et le milieu des années quatre-vingt-dix et qui sont aujourd’hui trentenaires, ont un niveau de vie moyen de 30% au-dessus de ceux de leurs parents au même âge. De plus, certaines caractéristiques de la société américaine qui ont pesé sur les revenus d’une partie des millenials n’ont pas joué en France, comme par exemple la forte augmentation du coût des études supérieures et de l’endettement associé ou la hausse des inégalités, nettement plus faible en France qu’aux Etats Unis. 

Toutefois, plusieurs études (en particulier les enquêtes ‘Génération-Quoi ?’) montrent une forte insatisfaction de cette génération qui s’estime en grande partie défavorisée par rapport aux précédentes. Comment expliquer cette contradiction entre la réalité observée et la réalité ressentie ? 

La contradiction n’est en fait qu’apparente car elle repose sur l’apriori faux selon lequel ce serait le niveau du revenu qui déterminerait la satisfaction. En fait, le phénomène que les économistes appellent ‘privation relative’, connu depuis longtemps des psychologues, gouverne en grande partie la satisfaction : ce n’est pas le niveau qui est déterminant, mais la différence entre le niveau atteint et le niveau espéré. Mourir à 70 ans était considéré comme enviable au début du XXème siècle alors que c’est indésirable un siècle plus tard. La génération Y a grandi dans l’illusion de la ‘globalisation heureuse’ des années 90 et du début des années 2000. Les revenus, les opportunités, la santé, le niveau et l’espérance de vie devaient s’accroître continument et mondialisation était synonyme de paix. La crise financière de 2008, puis la crise Européenne de  2010-2012, et plus récemment la crise sanitaire, la guerre en Ukraine, la rivalité croissante entre la Chine et les Etats Unis et le retour de l’inflation, ont montré les limites et les dangers d’une mondialisation non maitrisée. La hausse du niveau de vie s’est sensiblement ralentie dans les années 2010, et le retour de l’inflation se traduit actuellement par un repli du pouvoir d’achat. La relocalisation de certaines activités, nécessaire si l’on veut se prémunir des risques liés à la globalisation des chaines de valeur et à une dépendance à la Chine pour certains produits stratégiques, entraine et entrainera une pérennisation de l’inflation. Enfin, la crise climatique de plus en plus prégnante fait entrevoir la nécessité de sacrifices croissants pour en limiter les effets, et les trentenaires s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants. 

Cette génération fait porter la responsabilité de ces maux aux agissements des générations précédentes, ce qui n’est pas complètement faux.    

Quel est l’état, en France, de la mobilité intergénérationnelle ? Les Françaises et les Français arrivent-ils encore à se hisser par le revenu travail et le mérite? Dans quelle mesure le revenu des parents peut-il s’avérer décisif pour l’avenir des enfants ?

Les études dont on dispose ne concernent pas la génération actuelle des trentenaires. Plusieurs travaux montrent toutefois que la mobilité intergénérationnelle est plus faible pour les générations nées à partir du milieu des années soixante-dix que pour celles nées dans l’immédiat après-guerre (voir en particulier : ‘Skill Premia and intergenerational education mobility: The French Case’, Economics of Education Review, 2014, vol. 39). En d’autres termes : le poids de l’origine familiale et sociale dans la réussite et le revenu des individus est aujourd’hui plus déterminant. Avec pour corollaire le fait que le poids du mérite et du travail est plus faible. 

Plusieurs éléments concourent à cette diminution de  la mobilité intergénérationnelle, mais l’explication essentielle est sans doute liée au système éducatif. 

La France a en grande partie raté le passage à une éducation de masse. Pendant les ‘trente glorieuses’ (1945-1975), 15% d’une génération faisait des études supérieures (moins dans l’immédiat après-guerre, et un peu plus au début des années soixante-dix). Une partie importante des individus s’arrêtaient au niveau du certificat d’étude primaire. Cela ne posait aucun problème car il y avait toujours des emplois pour les non-qualifiés. De plus, les besoins en qualification et la hausse des dépenses éducatives faisaient qu’une partie croissante des enfants issus des classes moyennes accédaient aux classes supérieures, et qu’une partie croissante des enfants issus des classes populaires accédaient aux classes moyennes. 

A partir des années quatre-vingt, la concurrence des pays émergents couplée aux changements technologique diminue très sensiblement les besoins en main d’œuvre non qualifiée, puis en main d’œuvre moyennement qualifiée à partir des années 90 et 2000. On s’est alors donné pour objectif d’amener 80% d’une classe d’âge au baccalauréat. On y est presque. Mais ceci ne s’est pas fait en rehaussant le niveau de tous les élèves, mais en abaissant le niveau requis à chaque étape du système éducatif. La raison est simple. Augmenter réellement le niveau éducatif des enfants issus des classes populaires dans un pays où 50% de la population est faiblement qualifiée (la France au début des années 80) impose une très forte augmentation des dépenses d’éducation car former des enfants issus de familles à faible niveau culturel est plus couteux que de former des enfants issus de milieux aisés et cultivés. Or, les moyens nécessaires n’ont pas été alloués. Pour atteindre les objectifs, on a abaissé le niveau requis. Mais cela a logiquement abouti à la mise en place d’un système dualiste. Les familles aisées ont envoyé leurs enfants dans des écoles privées qui, outre les dotations publiques, bénéficiaient de financements supplémentaires et pouvaient choisir leurs élèves. Les dernières statistiques (enfin) disponibles ont montré une forte polarisation, tant dans le primaire que dans le secondaire, entre des établissements (souvent privés) essentiellement composés d’enfants issus de familles aisées, et des établissements (souvent publics) essentiellement composés d’enfants de familles modestes. Ce dualisme est encore renforcé dans le supérieur par la coexistence entre des universités gratuites et de moins en moins sélectives et des grandes écoles qui maintiennent une forte sélectivité et sont payantes.  Tout cela aboutit logiquement à un poids croissant des antécédents familiaux et sociaux dans le devenir des individus, donc à une diminution de la mobilité sociale défavorable aux familles modestes.

Si les trentenaires français ne vivent pas, actuellement, moins bien que leurs parents ; peut-on penser qu’il en sera de même pour les générations à venir ? Faut-il s’inquiéter pour les travailleurs qui approchent de la vingtaine ? Quid de ceux qui entreront en emploi dans les prochaines années ?

Répondre à ces questions est un peu aléatoire car tout dépend d’évolutions géopolitiques et économiques qui n’ont pas encore eu lieu. 

Une première chose me parait certaine : répondre au défi climatique entrainera des changements importants dans nos modes de vie. En particulier, certains biens et services seront remplacés par d’autres qui couteront plus chers pour répondre aux mêmes besoins. En effet, depuis des décennies, nous avons pris l’habitude de ne pas payer le ‘vrai’ prix de ce que nous consommons, puisque les destructions de ressources naturelles non renouvelées étaient gratuites. Cela signifie que nous pourrions avoir une croissance de la production accompagnée d’une croissance nettement plus faible, voire d’une stagnation, du niveau de vie. 

Second point : les modifications de l’économie mondiale dépendront en grande partie de l’acuité de l’antagonisme entre les Etats Unis et la Chine. Si l’économie mondiale se divise entre un bloc occidental, un bloc ‘autoritaire’ (Chine, Russie, Iran etc.) et un bloc ‘non-aligné’ réunissant une grande partie du monde émergent, on assistera à une redistribution géographique des chaines de valeur qui peut profondément modifier les liens économiques et commerciaux. Ces modifications peuvent également résulter du désir des pays avancés de minimiser les risques liés à la production extérieure de biens et de composants stratégiques (médicaments, composants électroniques, terres rares etc.). Cela aura également un impact sur le niveau de vie des générations qui entrent et entreront sur le marché du travail. 

Dernière remarque : les jeunes qui arrivent actuellement sur le marché de l’emploi (génération Z) semblent entretenir un rapport au travail assez différent des générations précédentes. Ils semblent prêts à réduire leur niveau de vie en contrepartie d’une vie familiale et sociale mieux remplie et préfèrent gagner moins pour occuper un emploi où ils se réalisent. Cela pourrait avoir une double répercussion. D’une part, cela rendrait plus facile les évolutions nécessaires qui viennent d’être mentionnées. D’autre part, cela risque de créer des tensions sur le marché du travail au moment où les boomers partent à la retraite. A moins que la robotisation et l’intelligence artificielle n’accélèrent le remplacement de l’humain par la machine.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !