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Le président du MoDem François Bayrou au congrès de son parti à Blois, le 24 mars 2024
Le président du MoDem François Bayrou au congrès de son parti à Blois, le 24 mars 2024
©Sebastien SALOM-GOMIS / AFP

ADN

L’accord conclu entre François Bayrou et Emmanuel Macron en 2017 a été déterminant dans l’élection du président et dans l’émergence de la majorité que nous avons connue depuis. Pour autant, qu’a vraiment apporté - ou obtenu - politiquement le MoDem ?

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Atlantico : Le MoDem organise ce week-end un congrès à Blois. L’occasion, pour le mouvement, de se préparer en vue de la prochaine élection présidentielle. Que dire, pour l’heure, de la façon dont le parti a pu être traité au sein de la majorité d’Emmanuel Macron ?

Jean Garrigues : La situation du MoDem, au sein de la majorité présidentielle, diffère de celle d’Horizon. Elle est probablement moins tendue, du fait notamment de la relation qu’entretiennent François Bayrou et Emmanuel Macron. Bien sûr, les désaccords existent et nous en avons eu l’illustration relativement récemment. Ceci étant dit, force est de constater que François Bayrou continue de jouir d’un statut de conseiller autant que de partenaire. Bien évidemment, le mouvement d’Edouard Philippe existe toujours. Plus que cela, il est une nécessité pour les deux partenaires, tant Emmanuel Macron que son ancien Premier ministre. Mais il faut bien voir que le groupe MoDem à l’Assemblée nationale, c’est plus de cinquante députés. C’est un poids conséquent, plus que ce à quoi ne peut prétendre Horizon.

De plus, je dirais de François Bayrou qu’il demeure perçu, au sein de la majorité présidentielle au moins, comme un “vieux sage”. Il conserve une image importante, qui touche les électeurs macronistes. Jusqu’à présent, Horizon n’a pas encore su construire quelque chose de similaire, bien que cela soit le souhait et l’objectif d’Edouard Philippe. Le maire du Havre multiplie les tournées en France, dans l’espoir d’acquérir un certain ancrage local dans nos régions, à l’Ouest et dans le Centre tout particulièrement. Dans ces régions, on observe déjà une véritable implantation des notables comme des militants du MoDem. L’identité du mouvement de François Bayrou s’est construite autour de l’histoire de la démocratie chrétienne, qui a contribué à cet enracinement dans ces territoires.

Dès lors, il apparaît assez évident que le MoDem est un soutien précieux pour Emmanuel Macron. Le président ne bénéficie pas par lui-même de cette proximité avec les territoires. Au contraire, il semble distant et c’est d’ailleurs l’une de ses grandes fragilités. La capacité du MoDem à faire le liant avec les régions ainsi qu’à incarner une aile plus sociale et plus humaniste que Renaissance peut s’avérer importante, notamment à l’approche d’une période électorale comme celle des élections européennes. Dans le cadre de ces dernières spécifiquement, il est utile pour Renaissance de pouvoir s’appuyer sur le MoDem qui a toujours incarné une ligne très européiste. L’Europe fait partie prenante de l’identité de ce mouvement.


Que dire, exactement, de l’ADN du parti ? En quoi le MoDem diffère-t-il des autres partis occupant le même type d’espace ?

L’ADN spécifique du MoDem correspond, peu ou prou, à ce que nous venons d’évoquer. C’est un mouvement héritier de la démocratie chrétienne, laquelle semble s’être peu à peu déplacée depuis Valéry Giscard d’Estaing. Désormais, elle est souvent associée à une autre droite que celle de l’ancien président. Pour autant, il faut bien rappeler que la démocratie chrétienne s’appuie sur une histoire qui date maintenant de plus d’un siècle. Elle émane d’abord du christianisme social, sous la Seconde République. Tout cela remonte donc au milieu du XIXème siècle.

Bien sûr, le MoDem s’est laïcisé. Mais il serait sot de penser qu’il s’est complètement séparé de cet ancrage, qui souligne sa dimension sociale. C’est un centre-droit social et cela a toujours été le cas. Aujourd’hui encore, c’est quelque chose qui se manifeste quand François Bayrou intervient et critique la politique menée par Emmanuel Macron comme il a pu le faire au moment de la réforme des retraites, par exemple. Au cœur du MoDem, on retrouve donc un vrai tempérament, une vraie identité sociale issue de l’historique de la démocratie chrétienne. 

Autre caractéristique essentielle : l’attachement au parlementarisme. Là encore, c’est un élément de décalage avec la sur-présidentialisation qu’incarne Emmanuel Macron. Il y a une prise de distance avec la façon dont le chef de l’Etat interprète la fonction présidentielle.

C’est bien sur la dimension européenne et européiste du MoDem qui a été mise en avant par Emmanuel Macron dès 2017 pour justifier l’alliance. Il y a des ponts très clairs sur la question du fédéralisme européen et rappelons également que plusieurs des pères fondateurs de l’Union européenne émanaient de cette famille démocratique.


Quelles sont les revendications que le MoDem a su porter depuis 2017 ? Que peut-on dire de son influence réelle ?

La question de l’influence réelle du MoDem sur Emmanuel Macron est complexe. C’est un allié qui demeure minoritaire et son impact réel est compliqué à mesurer. En 2017, rappelons-le, Emmanuel Macron a su construire une très forte majorité autour de sa personne. Le MoDem ne pesait pas pour grand-chose dans cet ensemble. Pour autant, il faut bien comprendre que l’influence ne se mesure pas uniquement sur les seules décisions prises dans un domaine ou dans un autre. 

François Bayrou, c’est un fait, a tenté d'œuvrer à la réconciliation entre les élites macronistes et les territoires. C’est un problème auquel le président est confronté depuis les débuts de l’expérience Macron. Les associations de maires, de conseils départementaux se sont montrés très vent debout contre le chef de l’Etat. Ce sont les ministres issus du MoDem, comme Jacquelines Gourault à la Cohésion territoriale ou Marc Fesneau à l’Agriculture qui ont tenté de jouer les intermédiaires. Cette influence est difficile à mesurer, elle n’en demeure pas moins réelle.

Il faut également mentionner, me semble-t-il, le rôle de visiteur du soir qu’a pu jouer François Bayrou auprès d’Emmanuel Macron. Le problème étant, avec ce président de la République, c’est qu’il aime prendre des décisions en solitaire, ce qui peut expliquer certaines des frustrations de François Bayrou. Il a pu obtenir son Commissariat au plan, mais force est de constater que l’on n’en voit pas très bien les réalisations.

Il importe de reconnaître que, à la fin des fins, ce sont rarement les propositions du MoDem qui ont été retenues ces derniers temps. On le voit bien sur la question de la réforme des retraites ou sur celle de la loi immigration. Si difficile cette influence soit elle à mesurer, elle demeure à priori assez peu marquante.

Que dire de l’évolution de la relation entre Emmanuel Macron et François Bayrou ?

C’est une relation de circonstances, opportuniste, à l’origine. Rappelons qu’au début de la campagne présidentielle de 2017, François Bayrou hésitait entre se lancer lui-même ou soutenir François Fillon. Les circonstances ont fait qu’il s’est associé à Emmanuel Macron. Par la suite, il s’est développé une vraie relation personnelle entre les deux hommes et le président de la République écoutait régulièrement le chef du MoDem. Toutefois, écouter, je le répète, ne signifie pas prendre en compte. C’est un problème auquel d’autres ont également été confrontés.  Ce n’est pas spécifique à François Bayrou. Les conseils qui ont été donnés n’ont pas toujours débouché sur des décisions allant dans le même sens.

La composition du gouvernement Attal et la nomination de Gabriel Attal au poste de Premier ministre a provoqué un net refroidissement des relations. Il est dû, pour part, à un désaccord personnel mais aussi à une certaine frustration naissant du fait que François Bayrou attendait autre chose de cette situation. Je crois, en l'occurrence, que nous entrons dans une phase de transition politique, laquelle nécessite une prise de distance du MoDem si celui-ci veut faire entendre son identité, sa spécificité d’ici 2027. L’hypothèse d’une candidature François Bayrou à la présidentielle implique un inévitable et irréversible éloignement.


Si François Bayrou demeure le chef incontesté de son parti, en est-il encore le centre de gravité idéologique ?

C’est une très bonne question. Pour bien y répondre, il faut évoquer la perte de Marielle de Sarnez. Elle jouait un rôle important dans la structuration idéologique du mouvement.

Il est évidemment des désaccords que l’on a vu poindre avec Jean-Louis Bourlange, qui est l’autre figure historique du mouvement. Du reste, il faut également évoquer l’émergence d’une nouvelle génération, au MoDem comme ailleurs, ce qui amène à l’émergence de nouvelles thématiques dans le programme du parti. Nous pourrions parler de la transition écologique ou du réarmement démocratique.

Il est difficile de répondre à cette question, également, parce que l’on connaît le monde de fonctionnement de François Bayrou. Celui-ci n’est pas autocratique à proprement parler, mais il repose beaucoup sur l’incarnation. Cela n’aide pas à faire la part des choses. La phase qui s’ouvre actuellement va permettre de voir si, oui ou non, c’est la nouvelle génération qui prend les commandes.


Quel avenir pour le MoDem en général (et François Bayrou en particulier) dans un monde post-Emmanuel Macron ?

La trajectoire exacte que pourrait prendre le mouvement est assez ardue à appréhender. L’espace, qui va du centre gauche au centre droit, qu’occupe aujourd’hui le macronisme risque d’être investi par un nombre pléthorique de candidat à la succession d’Emmanuel Macron. Nous pourrions ainsi citer Edouard Philippe, mais aussi Bruno Le Maire, Gérald Darmanin ou, bien sûr, Gabriel Attal. Il n’est pas non plus exclu qu’il y ait parmi eux un candidat issu du MoDem, vraisemblablement François Bayrou. Le gâteau, dès lors, va être plus compliqué à se partager. Est-ce que l’identité du MoDem, son enracinement territorial et son histoire seront suffisants pour tirer son épingle du jeu ?

Il ne font pas non plus perdre de vue qu’il pourrait y avoir un effet d’âge oeuvrant contre François Bayrou.La dynamique actuelle est au rajeunissement de la vie politique française, en témoignent Gabriel Attal, Jordan Bardella et tant d’autres. Il est d’autant plus difficile de répondre à cette question que l’enracinement dans les territoires, qui constitue un des points forts de l’identité et de l’ADN du mouvement, peut être confronté à un handicap important en cas de rajeunissement et de multiplicité des candidats dans un même espace politique.

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