Le grand demi-tour : ces pays qui renoncent aux traitements hormonaux pour les mineurs transgenres<!-- --> | Atlantico.fr
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Des enfants arrivent au « Trans Youth Prom » à l'extérieur du bâtiment du Capitole aux États-Unis, le 22 mai 2023, à Washington.
Des enfants arrivent au « Trans Youth Prom » à l'extérieur du bâtiment du Capitole aux États-Unis, le 22 mai 2023, à Washington.
©ANNA MONEYMAKER / Getty Images via AFP

Revirement

L’Angleterre, la Finlande, la Norvège, la Suède et le Danemark ont récemment décidé de restreindre les traitements hormonaux pour les mineurs transgenres.

Christian Flavigny

Christian Flavigny

Christian Flavigny est pédopsychiatre, psychanalyste, directeur de recherche à l’Institut Thomas More et auteur de "Comprendre le phénomène transgenre" (Ellipses, 2023).

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Christian Flavigny : Il faut d’abord décrire le contexte pour comprendre ; le thème du “genre” résulte de l’étude menée aux États-Unis dans les années 1950-60 d’un phénomène rare mais troublant : l’ambiguïté génitale - des enfants nés, du fait d’une pathologie médicale, avec une conformation anatomique menant à une erreur d’enregistrement, tenant pour garçon un enfant en fait doté de chromosomes XX (ou vice-versa). Que fallait-il faire pour aider ces enfants ? 

Les travaux nord-américains en ont déduit que la réalité corporelle était dissociée du vécu psychique ; ils ont attribué un mot distinct à la sexuation corporelle (“sex”) et au vécu personnel sexué (“gender”), jusqu’à les décréter indépendants. C’est céder à la magie des mots : distinguer par des mots ne suffit pas à déconnecter des réalités profondément imbriquées, à l’orée même de la vie psychique. De plus, d’une situation particulière, ils ont fait une loi générale, déclarant un primat du sentiment ressenti sur la réalité corporelle : la vie psychique serait domination de la psyché sur le corps et non appropriation de celui-ci : cela exprime la culture anglosaxonne, aboutissant à la notion d’“auto-détermination de genre” : “je suis qui je dis que je suis”, pur reflet de l’individualisme de la culture d’outre-Atlantique et de sa logique psychologique biaisée. Le “véritable” sexe est, dans cette compréhension, celui du ressenti individuel, serait-il contraire au sexe corporel auquel est imputé une sorte de “bug” naturel : “je suis dans le mauvais corps”, il en résulte qu’il s’impose d’adapter celui-ci pour soulager ma souffrance.

Cette compréhension nord-américaine est discutable, et pour tout dire erronée ; elle est le fait d’une culture qui méconnaît le processus psychologique d’appropriation du corps propre, pourtant décrit de longue date par les travaux français, notamment ceux menés sur le même thème durant la même période en France. Certes ce processus est source possible de désarrois : l’établissement du sentiment sexué personnel dure toute l’enfance et l’adolescence, dans le vécu familial où il s’agit pour l’enfant de s’établir comme fils / fille de ses parents ; l’enjeu de filiation psychoaffective est la clé confortant la sexuation – ou parfois la déroutant.

La réponse des deux approches culturelles, française et nord-américaine, est dès lors opposée ; au fait de se sentir “être de l’autre sexe”, celle d’outre-Atlantique, dite “trans-affirmative”, répond : “tu es véritablement de l’autre sexe, voilà la cause de ta « détresse de genre », il te faut transitionner”. La française explique : “ton sexe naturel t’est insupportable parce que tu ne parviens pas à t’approprier ce qui le rend vivable en lui donnant sens – le masculin pour un garçon, le féminin pour une fille ; œuvrons pour te permettre de les apprivoiser”.

Les deux thèses visent à remédier à la souffrance, mais selon deux compréhensions : l’une organique appelant d’engager une réponse médicale voire chirurgicale, l’autre psychologique appelant une approche dénouant le décalage qui a pu se créer dans le développement de l’enfance et de l’adolescence, entre le corps et le sentiment sexué personnel, et le résorbant.   

Atlantico : Cinq pays européens (l’Angleterre, la Finlande, la Norvège, la Suède, et le Danemark) ont récemment restreint les traitements hormonaux pour les adolescents souffrant de détresse, connue sous le nom de dysphorie de genre. Comment expliquer ce revirement ?

Christian Flavigny : Il y a moins « revirement » que prise de conscience progressive : l’approche “trans-affirmative” est un leurre, ce qui était prévisible puisqu’elle ne repose sur aucune compréhension cohérente du profond mal-être de la personne considérée. L’idée d’une erreur naturelle qui aurait amené à être « dans le mauvais corps » est une utopie ; personne n’est jamais dans le mauvais corps, mais chacun doit habiter son corps propre, donc se l’approprier, ce qui engage un processus psychologique affectivement complexe. Le remède “réaliste” du coup proposé est fallacieux : il n’y a jamais changement de sexe ; certes il peut y avoir un aménagement des apparences sexuées.

Mais le débat qui a concerné les adolescents est : sont-ils en mesure d’apprécier les conséquences de cette modification médicale et chirurgicale de leur corps, qui engage de sérieuses conséquences sur l’organisme, pour l’essentiel irréversibles – alors qu’il y a une réponse cohérente pour les soulager, qui mérite d’être prioritaire ?

Le courant “trans-affirmatif” porté par des associations militantes a plaidé que la “transition vers l’autre sexe” devrait être envisagée dès l’enfance et l’adolescence, au prétexte que les résultats fonctionnels en seraient plus satisfaisants. C’est méconnaître une donnée fondamentale au plan psychologique : la question sexuée, “habiter son corps sexué”, est l’enjeu d’une maturation progressive, tout au long de l’enfance et de l’adolescence, qui ne débouche qu’à l’âge adulte ; pouvoir “se définir soi-même” n’advient qu’après 25 ans environ, moment où il n’est plus justifiable de prétexter des influences familiales pour se construire personnellement. Cela, la psychologie nord-américaine l’ignore ; du coup elle entraîne au leurre, laissant des jeunes s’embarquer dans une démarche qu’ils ressentent comme un soulagement immédiatement accessible de leur malaise, ce que l’on peut comprendre, mais sans en mesurer l’incidence pour l’avenir.

Ces restrictions sont-elles liées au fait du manque de preuves concernant l’efficacité des traitements ? Cela soulève-t-il des inquiétudes quant aux inconvénients à long terme pour les adolescents ?

Christian Flavigny : Les traitements médicamenteux sont efficaces, jusqu’à leurs effets secondaires de mieux en mieux connus avec le temps, qui étaient prévisibles et avaient été signalés. Ces traitements étouffent le malaise, ils le noient, mais ils ne le soignent pas ; il est hélas connu que la propension suicidaire, qui dit l’intensité du mal-être, ce que tous les cliniciens prennent très au sérieux, ne diminue pas après le traitement médico-chirurgical. Il est d’ailleurs assez choquant que ce thème du risque suicidaire soit invoqué pour faire pression sur des parents afin qu’ils souscrivent à l’engagement de ces traitements réclamés par leur jeune.

Il ne s’agit donc pas de « restrictions » mais de remise d’aplomb d’une approche effective du malaise des jeunes, fondée sur une compréhension véritable d’un trouble qui engage leur sexuation en cours d’établissement ; les désarrois adolescents sont bien connus des cliniciens français, pédopsychiatres et psychologues. La culture psychologique française a développé depuis plusieurs décennies une compréhension aboutie du thème de la sexuation - qui fait défaut à la culture anglosaxonne et à la société nord-américaine. Plutôt qu’importer la méthode-choc d’outre-Atlantique, il convient d’exporter la méthode permettant à cet âge d’aller à la racine psychoaffective de la souffrance ; il s’agit d’éviter l’effet de leurre d’une solution qui miroite, censée répondre à un défaut naturel qui n’est pas la cause de l’épreuve ressentie.   

Selon une étude du Dr Hilary Cass, pédiatre, « pour la plupart des jeunes, un parcours médical ne sera pas le meilleur moyen de gérer leur « détresse liée au genre ». En quoi cette approche purement médicale était néfaste pour les adolescents ?

Christian Flavigny : L’intérêt de la prise de position du Dr Cass, pédiatre britannique, c’est qu’elle émane du monde anglosaxon ; elle dit avec clarté mais tout en nuances que le parcours médical ne peut sur le plan d’une éthique médicale être pratiquée à un âge qui demeure en cours d’établissement de l’identité sexuée. Les associations militantes réclamaient que les traitements médicaux accessibles à l’âge adulte soient ouverts aux jeunes, enfants et adolescents, pour « ne pas discriminer selon l’âge » ; ce raisonnement méconnaît la notion psychologique de maturation portant l’appropriation progressive de l’identité sexuée, même au travers d’épreuves que les cliniciens français connaissent et savent aborder auprès des jeunes et de leurs familles, avec tout le tact requis. 

Cette politique a-t-elle eu des conséquences négatives auprès des enfants ? Notamment sur le plan psychologique et de la santé ?

Christian Flavigny : La démarche “trans-affirmative” appliquée aux jeunes a eu des effets dramatiques ; le phénomène désormais bien connu de la « détransition », au travers d’une épreuve amère, en est le signal le plus flagrant. Sans compter les conséquences corporelles à venir par les effets secondaires des traitements, autant les bloqueurs de puberté que les traitements hormonaux prescrits aux jeunes ; sans parler non plus des mastectomies chez les jeunes filles. Une démarche médicale et chirurgicale ne saurait être engagée avant une pleine maturité d’âge adulte.

Avant cet âge, il faut redouter ce que Céline Masson et Caroline Éliacheff, fondatrices de l’Observatoire de la Petite Sirène, ont appelé la « transidentification » : l’illusion des jeunes que leur malaise adolescent découlerait d’une erreur d’attribution du corps sexué, qui justifierait la démarche de “transition”, alors qu’il s’agit d’une épreuve dans l’appropriation de leur sexe, qu’il s’impose de les aider à surmonter. Il faut “opérer” par la parole psychologique approfondie l’embarras qui s’est noué, et non pas “opérer” chirurgicalement, en tout cas tant que la personne considérée n’a pas atteint la maturité nécessaire pour une décision d’une telle gravité.

C’est en quoi un récent rapport sénatorial sur la question des « mineurs “transgenres” », recommandant d’interdire toute approche médico-chirurgicale avant 18 ans, est une salutaire mesure de protection des jeunes contre une illusion ; il rappelle aussi que la psychologie française possède sur ces sujets une expertise qui doit servir de guide à l’approche de l’authentique désarroi que traduit la revendication de “transition”.

Les problèmes de santé mentale rendent-ils difficiles l’identification de la cause profonde de leur détresse, connue sous le nom de dysphorie ? Quelles seraient les solutions les mieux adaptées pour accompagner les adolescents ?

Christian Flavigny : D’abord, il faut se méfier des traductions littérales ; des termes importés de l’anglais importent alors avec eux la conception qui les sous-tend dans la culture anglosaxonne – ce qu’il faut empêcher. Ainsi “dysphorie de genre” traduisant “gender dysphoria” reflète le penchant de la psychologie nord-américaine pour les termes pompeusement dotés d’une étymologie grecque, donnant un aspect médical sérieux qui masque la propension de cette culture vers une causalité biologique pour expliquer les phénomènes de la vie psychique, du fait qu’elle n’a pas la maîtrise d’une approche psychologique. De même « détresse” traduisant « distress” n’est pas heureux ; il vaut mieux en langue française et en culture française parler de “désarroi de sexe” : ce ne sont pas les pompiers médicaux qu’il faut appeler, mais l’accueil dans le cabinet ouvert à l’écoute des désarrois de la vie psychoaffective – celle de l’adolescence et toutes les autres.

Ensuite il faut souligner comment l’invocation d’être “dans le mauvais corps” est un biais actuel de bien des jeunes pour demander que l’on porte attention à leur malaise, même éloigné de la question sexuée ; les jeunes savent les moyens d’alerter les adultes. Ainsi on a signalé (notamment dans les travaux de langue anglaise) combien de jeunes qui se disent “dans le mauvais corps” souffrent en vérité de repli autistique, en appelant à une aide qu’ils n’ont pas reçue à cet égard. Il convient de porter la plus grande attention à la demande des jeunes, mais selon une juste compréhension de leur malaise, d’où découle la méthode appropriée à leur âge, pour les soulager.

La solution adaptée pour accompagner les enfants, les adolescents et leurs familles, est de dénouer l’embrouillamini psychoaffectif qui a pu se créer : il n’est de la faute de personne, ni du jeune ni de ses parents. Mais cela a abouti à une épreuve dans l’appropriation du sexe propre (au double sens d’“approprié”). Les psys français détiennent la réponse et la méthode, avec tout la manière requise – sauf quelques-uns d’entre eux qui ont cédé aux sirènes de l’américanisation de la pratique psy, qui doivent être critiqués.

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