La NUPES, seule garantie de la survie électorale de la gauche ? Retour sur la fabrication d'un mythe made in LFI<!-- --> | Atlantico.fr
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"Dans cet imbroglio de sociologie électorale, Mélenchon fait son calcul : l’identité et la précarité peuvent finalement se retrouver dans cet électorat musulman qu’il vise"; selon Virginie Martin.
"Dans cet imbroglio de sociologie électorale, Mélenchon fait son calcul : l’identité et la précarité peuvent finalement se retrouver dans cet électorat musulman qu’il vise"; selon Virginie Martin.
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Désaccords

L'idée est que LFI a réussi à imposer l'idée que sans la Nupes, le PS, les communistes et les verts auraient eu beaucoup moins de députés alors que c'est faux.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Atlantico : Fabien Roussel a annoncé le divorce définitif des communistes avec LFI et donc la fin de la Nupes. L’une des raisons avancées par les stratèges des partis concernés pour préserver la Nupes malgré ses fractures a longtemps été que cette alliance aurait permis aux socialistes, aux écologistes ou aux communistes d’avoir sauvé leur peau et obtenu bien plus de députés que s’ils étaient allés à la bataille séparément. Vous n’êtes pas d’accord, pourquoi ? 

Virginie Martin : LFI est une organisation qui maîtrise très bien son story telling et les principes gramsciens autour de la bataille des idées : tout ça est extrêmement bien mis en place.

C’est une organisation très présente sur les réseaux sociaux. Des réseaux qui étaient - au départ - supposés incarner une forme de média « alternatifs » aux fameux médias mainstream. Les temps ont un peu changé. La bataille digitale est très bien maîtrisée par ce mouvement. Sous la houlette de Bastien Parisot, la stratégie numérique est très organisée et les tortues-symboles essaiment la toile. Les réseaux sociaux ont largement récréé des verticalités et de la hiérarchie. Les affrontements sur ces lieux virtuels sont virulents, empêchent souvent la diversité des paroles et charrient aujourd’hui beaucoup de violence.

Cette bataille de communication teintée de rapports de force, donne un sentiment de puissance aux membres de LFI. Les grands discours du chef de même. Une sorte de galvanisation.

C’est via cette guerre communicationnelle, que le discours finit par s’imposer. Non par toujours par les arguments, mais par le rapport de force, par l’imposition. Grosso modo, c’est la technique de « The Loudest Voice » adoptée par Donald Trump et magnifiquement décryptée dans la série du même nom. Hurlons, il en restera toujours quelque chose.

Dans un travail précédent sur les space twitter lors de la Présidentielle 2022, nous remarquions avec mon collègue Gregory Fuschillo, combien les membres de LFI étaient sans cesse présents, jusqu’à des space où certains militants pouvaient rester 10, 20 heures, voire encore bien plus à l’animation de ces discussions.

Cette communication de « the loudest voice » se décline tous azimuts : grands discours du chef, théâtralisation de la prise de parole, mise en dramatisation, exubérance, hyperbolisation de la communication … le tout adossé au fameux principe de « conflictualisaiton », accompagné d’une autorité certaine (l’épisode récent de Raquel Garrido en est un exemple) et enveloppé dans l’Institut La Boétie sorte de think tank fournisseur d’idées à la sauce Mélenchon.

Les médias aiment ce spectacle, ils en ont besoin. Et, partant sont prêts à recevoir le message. Lequel ? Celui notamment qui affirme que, sans LFI, EELV-PC-PS n’auraient pas existé aux législatives 22, que c’est eux qui ont mené la bataille des retraites, qu’ils défendent les enjeux féministes, que Mélenchon aurait pu être Premier ministre, qu’il a tout gagné, qu’ils appellent à la paix, qu’ils incarnent la probité... 

Le réel est pourtant plus complexe !

Les partis traditionnels et particulièrement le PS ont un ancrage territorial très important et très ancien. En 2017, le PS et alliés (dvg / PRG…) compte 45 députés, LFI seulement 17.

En 2019, les Européennes ne sont pas non plus favorables à la liste menée par Manon Aubry. C’est à gauche, Europe Ecologie qui atteint le meilleur score des gauches : près de 13,5 % contre un peu plus de 6 pour le PS et LFI.

En 2020, c’es le PS qui sort renforcé des élections municipales, de même d’ailleurs que EELV. Le PS remporte et / ou conserve des municipalités importantes : Paris, Nantes, Rennes, Lille, Dijon, Rouen, Brest, Chambéry, Nancy… LFI a adopté une stratégie – souvent payante – du coucou, comme à Marseille ou à Toulouse…  le mouvement n’était pas en capacité de conduire des listes, faute d’ancrage local, le mouvement a réussi à placer ses hommes et ses femmes sur des listes dites « citoyennes ».

Dans ce contexte, et pour des élections par circonscription comme les législatives, des élections de terrain, la NUPES  était certainement plus indispensable à LFI qu’aux autres parties de l’attelage. Autrement dit, les législatives sans le PC-PS-EELV n’étaient pas du tout gagnées pour LFI.

On ne regarde jamais cette dynamique dans ce sens là. Jamais. LFI a eu véritablement besoin de cette combinaison. D’ailleurs aujourd’hui, on le voit : LFI a tenté par tous les moyens d’éviter la rupture au sein de la NUPES, tentative encore plus visible au regard des européennes. LFI a retenu, en vain, ses partenaires pour ne pas qu’ils fassent faire cavalier seul à ces élections de 2024.

C’est ce que révèle le terrain, même si la communication de LFI et de son leader historique, valorise sans cesse un autre scénario. Pour la présidentielle 2022, Mélenchon n’était pas en reste : il a déployé tout un discours « du perdant qui avait gagné » et qui allait même devenir premier Ministre ! La communication politique bat son plein et les médias sont souvent séduits.

S’agissant du dossier des retraites, je ne suis pas certaine qu’on fasse le bon bilan ici non plus. La « radicalité », la volonté de ne pas négocier et de demander la retraite à 60 ans nous a mené droit dans le mur. Le refus de négocier fait que la retraite à 64 ans a été imposée. Ironie de l’affaire, ce sont les Républicains qui ont fait gagner aux français 1 année, passant la proposition du gouvernent de 65 à 64 ans ! Dans leur élan et leur volonté de ne rien négocier, et notamment de vouloir revenir à la retraire à 60, les 64 ans sont passés – en force - mais passés. Aurait pu exister une négociation par tranche d’âge par exemple : les + de 50 ans restaient à 62 ans, les 30-50 passaient à 63, les nouveaux entrants à 64. Mais non, l’essentiel est de conflictualiser, de raidir la chose politique. A la fin qui va subir cette réforme de plein fouet ? Les travailleurs, les salariés… qui sont supposés être protégés par les partis et syndicats non réformistes…

Je passe rapidement sur l’épisode venant percuter de plein fouet le « féminisme » du mouvement. L’affaire Quattenens parle d’elle même.

On reproche beaucoup l’ultra-communication de Macron, mais celle du leader de la FI est à l’image de sa volonté de conflictualiser et de dire et redire qui est le boss. Il n’est plus élu, pas chef de parti et donne pourtant toujours le « la » au mouvement. Imaginons dans un cadre entrepreneurial une telle main mise du « patron » sur ses salariés…

L’hypothèse d’une nouvelle gauche plurielle sans LFI vous paraît-elle credible ? Quid par ailleurs de celle d’une France insoumise « libérée » de Mélenchon par ses frondeurs Ruffin, Corbière, Autain etc. ?

A côté, les responsables qui sont dans des approches moins personnelles, moins verticales, moins « charismatiques » disparaissent. Les médias en sont bien sûr moins friands mais aussi leur propre culture politique n’est pas celle-ci : à l’instar de Cazeneuve, de Roussel…

D’une part, car ils n’ont pas toujours l’ambition de sur-exister et d’autre part il est bien légitime de refuser en 2023 la culture verticalo-autoritaire du chef suprême. Surtout à gauche. Nous parlions dans un passé encore très récent, d’une démocratie apaisée, mature et plus horizontalisée, LFI tord le cou à cette idée sans ménagement. L’inspiration sud-américaine qui est celle du logiciel du chef de La France Insoumise n’est certainement pas étrangère à l’histoire ; une inspiration-signature qui vient percuter et ébranler notre conception de la démocratie autour du dialogue et du débat et non du conflit et de l’affrontement.

Au-delà du manque de souffle personnel, voire d’imagination politique que d’aucuns reprochent à Olivier Faure, à Marine Tondelier… il me semble que, passer par les fourches caudines d’une démocratie apaisée est / devrait être la voie de la France en 2023. Surtout à gauche, je le répète.  

La gauche plurielle fonctionnait avec un PS assez fort. Le centre de gravité a bougé. Les frondeurs LFIstes sont en effet présents.

Mais, il me semble que l’essentiel est ailleurs.

Il faut impérativement que ces partis travaillent. Je dis bien travaillent. Qu’ils travaillent à leur logiciel, à leur matrice, à leur renouveau politique. Il est capital qu’ils (re)trouvent un souffle politique profond et à la hauteur des enjeux. Or, ils ne sont pas aux rendez vous pour l’instant.

Un peu inaudibles, un peu frileux et un peu trop installés…. Cela fait beaucoup de paramètres qui garantissent à 100% l’échec en politique. Car, si on ne sait pas pourquoi on gagne on sait avec assez de certitude pourquoi on va perdre…

Les socialistes avec leur histoire, leurs locaux rue de Solferino, leur ancrage territorial, un ancien président à leur actif… ont tout perdu dans cette affaire. Ils n’ont jamais su se relever de l’échec de Benoit Hamon en 2017 et du Tsunami Macron. Manque de programme clair, manque de leader et de leadership, suivisme derrière LFI, le PS s’est comme suicidé. Cela a commencé en bradant le siège rue de Solférino et continue encore à l’heure ou nous parlons : où sont les voix socialistes pour dire le 7 octobre en Israël et pour construire un discours solide face aux errances du Président ? 

2) Les derniers sondages montrent un très net recul de Jean-Luc Mélenchon comme présidentiable ou de manière plus générale, des intentions de vote pour les partis de gauche. Là encore, les insoumis ont un contre-argument : selon eux, Jean-Luc Mélenchon avait déjà beaucoup perdu dans les sondages lors du quinquennat précédent avant de remonter pour le 1er tour et il en serait de même avant 2027, notamment parce que le ventre mou des cadres supérieurs effrayés par la conflictualité permanente reviendrait ventre à terre au moment d’une présidentielle. Faut-il les croire ?

Le bruit médiatique est là, mais en effet les sondages baissent pour Jean-Luc Mélenchon. Âge, compétences, équipes autour de lui, prises de positions délicates à défendre, affaires à venir, impossibilité de rallier au second tour (si second tour il y a) … les ingrédients sont nombreux contre l’idée même d’une telle personnalité à la tête du pays.

Et, n’oublions pas qu’il y a toujours un grand écart entre popularité et acte de vote. Si la notoriété est bien sûr nécessaire pour être élu, elle est largement insuffisante. Etre connu, « populaire », prendre la lumière, ne suffit pas à prendre l’Elysée. Le vote, pour une Présidentielle, donne les clefs de la France entière. Ce n’est pas rien. Etre un bon influenceur, n’est pas toujours synonyme d’être en capacité de gouverner. C’est d’ailleurs par deux fois sur ces paramètres que Marine Le Pen a échoué. Ici encore, il faut, comme l’a fait Emmanuel Macron par exemple, solidifier le narratif autour de la « compétence ».

Mais Mélenchon compte s’appuyer plutôt sur un électorat communautaire, et jouer la carte identitaire : on dirait du Zemmour… à l’envers.

D’ailleurs dès septembre 2021 - quand personne ne savait trop comment gérer cette candidature sulfureuse du polémiste - c’est le représentant de LFI qui offre le top départ à Éric Zemmour en acceptant un face-à-face avec lui sur BFMTV. En 2 heures d’émission, Mélenchon – qui concourt à l’époque pour la deuxième fois à la présidentielle - lance et légitime la candidature de Zemmour. La lutte des classes sera ici effacée au profit d’une lutte identitaire.

Face à Marine le Pen l’affaire est plus compliquée au regard de ses scores très importants chez les plus modestes…

Dans cet imbroglio de sociologie électorale, Mélenchon fait son calcul : l’identité et la précarité peuvent finalement se retrouver dans cet électorat musulman qu’il vise. Quitte à l’essentialiser, à nier sa diversité, ses réussites et ses complexités.   

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