La nouvelle PAC est-elle aussi mauvaise pour l'environnement que l'affirment les militants écologistes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une manifestation d'agriculteurs à Albi, le 14 novembre 2023.
Une manifestation d'agriculteurs à Albi, le 14 novembre 2023.
©Lionel BONAVENTURE / AFP

Etat des lieux

La Commission européenne propose une nouvelle politique agricole commune, laquelle comprendrait moins de contraintes environnementales.

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann est auteur de sciences sociales et sur de nombreux autres sujets (Antéconcept, Agribashing, Danger des agrégats, Cancer militant).

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Atlantico : La Commission européenne propose une nouvelle politique agricole commune, laquelle comprendrait moins de contraintes environnementales. Que retenir, dans les faits, de la simplification proposée ? Est-elle suffisante ou relève-t-elle de l’affichage ?

Alexandre Baumann : La réforme de la PAC 2023-2027 imposait le respect de plusieurs "Bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE)" [en anglais: “good agricultural environmental conditions” (GAECs)]:
  • BCAE 1 : Obligation de maintenir une proportion de prairies permanentes
  • BCAE 2 : Protection des zones humides et des tourbières
  • BCAE 3 : Interdiction de brûlage
  • BCAE 4 : Bandes tampons le long des cours d’eau
  • BCAE 5 : Gestion du labour réduisant les risques de dégradation des sols
  • BCAE 6 : Interdiction de sols nus durant les périodes sensibles
  • BCAE 7 : Rotation des cultures
  • BCAE 8 : Maintien des éléments du paysage (= les fameux 3 ou 4% de jachères)
  • BCAE 9 : Interdiction de convertir ou de labourer les prairies permanentes dans les sites Natura 2000
La commission a introduit une dérogation aux BCAE 7 et 8 en juillet 2022, dans le contexte de la guerre en Ukraine. La décision actuelle porte sur ces deux mêmes BCAE, ainsi que la 6e.
  • BCAE 6 : Les États membres auront plus de flexibilité pour définir les "périodes sensibles" et les pratiques autorisées.
  • BCAE 7 : Permet de remplacer la rotation de cultures par la diversification de cultures.
  • BCAE 8 : Les agriculteurs devront "maintenir les éléments paysagers existants sur leurs terres mais ne seront plus obligés de consacrer une partie minimale de leurs terres arables à des zones non productives, comme les jachères." A la place, une rétribution est prévue pour le fait de maintenir une partie de leurs terres arables non-productives ou créer de nouveaux éléments paysagers (ex: haies ou arbres).
En plus, la Commission propose que les États membres puissent exempter certaines cultures, types de sols ou "systèmes de ferme" des BCAE 5, 6 et 7. Le BCAE 9 aurait une exception au cas où la prairie serait endommagée par des prédateurs ou une espèce invasive. Les États membres pourraient prévoir des dérogations en cas de conditions météorologiques défavorables.
Enfin, les fermes de moins de 10 ha seraient exemptées de contrôles et de pénalités.
J'ai discuté avec Olivier Garnier, agriculteur @fragritwittos d'Île de France, du sujet. L'obligation de jachère est ressortie comme étant la régulation qui lui posait le plus problème. En effet, si pour certaines exploitations les 4% peuvent être absorbés par des parcelles peu productives ou difficiles à exploiter, ce n'est pas son cas. Or il paye tous les coûts fixes correspondants: la location de sa terre, le même matériel que s'il ne l'exploite pas, etc.  Ainsi, [comme pour beaucoup d'exploitations], 4% représenterait l'essentiel de sa marge. En outre, il souligne qu'une jachère peut appauvrir la parcelle, consommant ou laissant partir les restes d'engrais des cultures précédentes.
Ayant une approche agricole très écologique en conventionnel, il remarque que les aides de l'écorégime pour le conventionnel ont baissé, alors que celles pour le bio ont augmentées. Enfin, il souligne l'absurdité des règles autour des rotations par une donnée simple : elles l'ont obligé de réduire la diversité de son assolement pour coller aux exigences. Il avait 12 (!) cultures et il est aujourd'hui redescendu à 8 [ce qui reste beaucoup].
La question de la régulation des cours d'eau n'est pas venue dans un premier temps, mais il m'a expliqué qu'il avait eu de la chance: il avait le long d'une parcelle un cours d'eau qui n'en a jamais été un. Ce dernier étant alimenté par les eaux usées du village et les drains, il termine en plaine et est à sec une grande partie du temps. Ce "cours d'eau" a perdu sa qualité de cours d'eau lors de reclassement réalisé par son département. Beaucoup n'ont sans doute pas cette chance et sont coincés avec des contraintes pénibles pour une zone qui n'a pourtant aucune des fonctions sensibles d'un cours d'eau (espèces liées au cours d'eau, comme les batraciens, et limiter la diffusion des intrants).
Notez qu'on voit ici l'absence de proportionnalité de la mesure promue avec son objectif: elle va couter X dizaines de milliers d'euros aux uns et X centaines d'euros aux autres, sans qu'il y ait de différence dans l'avantage espéré. Sa suppression est heureuse.
Les réformes proposées semblent significatives et reconnaissent la complexité de l'activité agricole, sortant dans une certaine mesure du paradigme moraliste et quasi-religieux qui était le sien au début. Il faudra voir le texte final et avoir l'avis des agriculteurs, mais les améliorations semblent significatives.
Références:

A quoi ressemblerait, concrètement, une PAC performante, tant pour nos agriculteurs que pour l’économie européenne ?

Le point le plus important me semble être de ne pas entraver l'agronomie. Les agriculteurs sont soumis à des contextes très variables notamment du fait des conditions climatiques, qui peuvent être très spécifiques. En entravant l'agronomie, la réglementation peut limiter l'innovation technique et faire plus de mal que de bien. C'est un point qu'a également relevé Olivier qui me raconte une difficulté justement posée par une réglementation qui n'inclut pas tous les paramètres possibles.
Faire des pois d'hiver (des protéagineux qui servent notamment pour aliment animal) lui apporte des points pour bénéficier de l'écorégime, une prime à l'hectare. Néanmoins, les pois sont en train de mourir à cause de l'excès d'eau : il pleut presque sans discontinuer depuis janvier. La surface du sol est toujours humide, la terre se tasse et les pois, qui ont besoin de respirer, sont asphyxiés. Il pourrait remettre des pois de printemps, mais il a une maladie, dans ses terres: l'aphanomyces. Il a testé son sol en 2014 et ne veut pas tenter le diable. Le soja ne "marche pas" dans ses terres (il a testé 3 ans) et les vesces ne sont pas assurables et manquent de débouché. Les lentilles n'ont pas de débouché. Pour les féveroles, ce serait possible, mais il pleut trop et il n'a pas trouvé de créneau pour passer. Or, l'assurance multirisque climatique a une date butoir de fin de semis, qui serait du 20 mars pour la féveroles chez lui. La DDT ne peut pas lui dire si planter des féveroles plus tard sera assurable ou pas. Les agents lui ont répondu qu'il y aura sans doute des dérogations, mais ce sera décidé après coup: l'agriculteur ne saura donc pas, au moment du semis, s'il est assuré.
Il commente : "La PAC est faite pour le contrôle", elle est conçue pour utiliser des indicateurs faciles à contrôler. C'est très normal pour une administration, mais c'est aussi dangereux et, parfois, il vaut mieux ne pas faire que mal faire.
On peut identifier plusieurs dimensions à une PAC performante :
  • Ne pas être un poids pour les agriculteurs. C'est un point plus général: l'administration ne devrait pas faire payer le prix de l'imperfection et de la complexité de sa réglementation aux administrés. Olivier m'a expliqué que la DDT avait bien expliqué la réforme en amont. Il reste néanmoins, comme nous venons de l'expliquer, des complexités qui sont un poids.
  • Favoriser les mesures environnementales efficaces. En effet, toute "mesure environnementale" n'est pas efficace. Planter des haies n'est pas une sorte de potion magique qui donne un coup de boost à "la biodiversité" là où on la met. Il faut comprendre ce qu'on fait, pourquoi on le fait et si les coûts engagés sont proportionnels à cet objectif. Aujourd'hui, j'ai l'impression que ce qu'on fait ressemble plus à un rituel magique.
  • Être pragmatique. Il faut se demander à quoi sert la PAC. 
    • Gérer les variations. Le grand problème de l'agriculture est la place qu'y a le temps long: vous mettez longtemps à vous former; vous mettez longtemps à connaître votre terrain; vous mettez longtemps à connaître vos voisins et les synergies possibles; vous mettez longtemps à connaître vos débouchés possibles ; vous mettez longtemps à implémentez vos choix agronomiques ; vous mettez longtemps à amortir vos équipements, etc. Les assolements (= les cultures que vous allez cultiver par parcelle) sont souvent décidés plusieurs années à l'avance ! C'est d'ailleurs un des problèmes soulevés par le rapport sur la compétitivité publié en 2021 par FranceAgriMer : la coopération entre les agriculteurs et les acteurs économiques (= grandes surfaces) n'est pas assez long termiste.
    • Protéger l'agriculture. Tous les pays subventionnent leur agriculture, je ne suis pas sûr qu'on puisse s'en passer pour rester compétitifs.
    • Favoriser l'économie : une agriculture prospère peut irriguer la société entière de nombreuses manières, notamment en favorisant les industries fondées dessus (non seulement l'agroalimentaire, mais aussi la chimie verte) et en diminuant le prix de l'alimentation.
Ce n'est pas exhaustif, mais je pense que ce sont plusieurs dimensions centrales qui sont largement négligées aujourd'hui.
Olivier a souhaité ajouter un point qu'il est effectivement important de garder à l'esprit :
"Je ne l'ai pas dit hier, mais il y a peut-être une notion à rajouter... La PAC, c'est ce que la société impose aux agriculteurs. Le montant des aides PAC évolue à la baisse chez la majorité/totalité des agris ... Si on le met en € constant (avec l'inflation) c'est encore pire. Et quand en plus on note que la PAC fixe de plus en plus de règles ... Est-il normal que la société impose aux agriculteurs de plus en plus de règles qui les empêchent directement et indirectement de gagner leur vie ? Tout en ne compensant même pas l'augmentation des pertes directes liées à l'évolution de ces normes ... Bref la société décide, l'agriculteur subit et paye..."
Il pourrait être intéressant de s'inspirer de la PAC américaine, qui consiste notamment à aider le consommateur (qui paie, lui, l'agriculteur) et protéger les agriculteurs des aléas. Sur ce sujet, voir :

Ne s’agit-il pas, à bien des égards, d’une victoire symbolique pour les opposants à la PAC actuelle et d’une défaite des mouvances écologistes qui crient depuis à l’abandon de la lutte contre le réchauffement climatique ? Cette réaction n’est-elle pas disproportionnée ?

Cela semble clairement être le résultat de la mobilisation des agriculteurs en Europe ces derniers mois, cela peut donc évidemment être vu comme une victoire. Néanmoins, à force d'étudier la perversité et l'habileté de la pseudo-écologie, j'ai tendance à me méfier: si on demande le bras et qu'on obtient la main, a-t-on vraiment "perdu" ?
L'essentiel de l'impact de l'agriculture sur l'environnement est la déforestation et sa prise au sol. Une agriculture (raisonnablement) plus concentrée est une agriculture plus écologique. En outre, les principales innovations qu'on peut espérer en matière agricole aujourd'hui à court terme sont génétiques. La manipulation génétique permet de produire plus avec moins sans effet secondaire négatif, pourtant les pseudo-écologistes s'y sont toujours opposés. Le numérique permet quant à lui de mieux monitorer les champs, identifier les menaces, optimiser les intrants. Enfin, en enfermant les agriculteurs dans un cadre réglementaire de plus en plus étroit, les écologistes restreignent l'innovation technique. En bref, les politiciens "écologistes" s'opposent à toutes les vraies solutions. Ils n'ont jamais cherché à diminuer l'impact environnemental de l'agriculture, ils cherchent juste à la parasiter pour renforcer leurs mensonges.
Ensuite, n'oublions pas que l'un des ressorts de la pseudo-écologie est la diabolisation systématique. Leur donner le moindre crédit est déjà beaucoup leur donner.

Quel sera le véritable impact de cette nouvelle PAC sur le climat ?

Il est difficile de répondre à cette question, car l'effet qu'ont ce genre de politique dépend beaucoup de la manière dont elles sont mises en application. Ils partent de ce qui semble être de "bonnes intentions" (favoriser la vie des sols, limiter les intrants, etc.), mais tout le monde a de "bonnes intentions". C'est facile de prétendre vouloir, mais la réalité de la volonté sous-jacente s'exprime dans les choix concrets: qu'est-ce qu'on sacrifie pour ceci ou cela, qu'est-ce qu'on valorise le plus.

Quand je parle aux agriculteurs, le thème des réglementations absurdes est récurrent. Bruno Cardot en a évoqué un récemment sur Twitter. Une haie est infestée par le Bombyx cul brun, un papillon dont les chenilles vont probablement la ravager. Ni la destruction chimique ni la destruction mécanique n'étant possible, l'agriculteur interroge : "Et ben comment qu'on fait ?!"

C'est le problème du sabotage du débat public par la désinformation : il ne reste pas la place pour discuter des vrais éléments de fond: quelles sont les études ? Quels sont leurs protocoles ? Quels sont les résultats espérés et les coûts prévus ? Comment les choses seront-elles mises en place ? Il y a-t-il déjà eu des politiques comparables ? L'organisation avait-elle été à la hauteur des prétentions ? A la place de ces questions complexes, on a un brouhaha inaudible.

Est-ce que réellement, comme l’ont relevé certains observateurs écologistes ou la rédaction du Monde, la nouvelle PAC serait moins bonne pour l’environnement ? Est-ce vraiment le cas ? Et pourquoi ?

Il faut voir ce qu'on entend par "moins bonne pour l'environnement". On peut donner une définition absolue à cette notion, comme le font les pseudo-écologistes, et considérer que la disparition des humains ou bien l'atrophie de leur empreinte à leur minimum, serait l'idéal. C'est évidemment une vision délétère et misanthrope. Cette vision n'est pas tolérable et ne fait que révéler les turpitudes de ceux qui la portent.
L'écologie doit être pragmatique et mettre en balance l'intérêt écologique au regard de l'utilité, ici la production alimentaire. Il est moins efficace écologiquement d'avoir 100ha de culture bio, que 50ha de culture conventionnelle produisant autant + 50ha "naturels". Le dénigrement de cette posture repose en fait sur une profonde misanthropie, qui est du reste au cœur de la pseudo-écologie depuis toujours.
Pour en revenir à la PAC, les modifications tendent toutes à prendre en compte les variations météorologiques et autres qui pouvaient rendre absurdes leurs politiques. Quant à la jachère, le prix à payer était sans doute beaucoup trop lourd au regard de l'apport.
A-t-on sacrifié l’environnement aux agriculteurs via cette nouvelle PAC ? Est-ce que cela accorde aux agriculteurs le répit qu’ils demandaient sur la simplification et la complexité administrative ?
On ne sacrifie rien en retirant des mesures contre-productives et mal conçues. Elles avaient été prises pour flatter l'électorat pseudo-écologiste, elles ont été retirées quand la prise des mensonges sur l'agriculture a (légèrement) reculé. Les agriculteurs n'ont pas eu besoin de cette PAC pour améliorer leurs pratiques agricoles. Ainsi, la quantité de fertilisation qu'ils utilisent chute depuis les années 1990 :
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Sur le sujet, vous pouvez lire la discussion avec des agriculteurs sur Twitter.
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Le tout, largement avant que les politiciens pseudo-écologistes ne viennent casser les pieds.

S'agissant de la complexité administrative, c'est sans doute un répit. Néanmoins, il faut garder en tête deux éléments importants: la plupart de ces allègements sont à la discrétion des États membres et c'est surtout l'exécution qui sera importante. Ce n'est pas un sujet qui date de cette année, je doute qu'il soit résolu en une fois.

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