L’incroyable puissance de l’économie américaine (et les leçons que devrait en tirer l’Europe…)<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président américain Joe Biden prend la parole lors d'une visite à l'installation de Cummins Power Generation le 3 avril 2023 à Fridley, dans le Minnesota.
Le président américain Joe Biden prend la parole lors d'une visite à l'installation de Cummins Power Generation le 3 avril 2023 à Fridley, dans le Minnesota.
©STEPHEN MATUREN / GETTY IMAGES via AFP

Puissance des Etats-Unis

En 1990, les États-Unis représentaient un quart de la production mondiale, aux taux de change du marché. Trente ans plus tard, cette part est pratiquement inchangée malgré la montée en puissance de la Chine. Et l’économie américaine représente aujourd’hui 58 % du PIB du G7 contre 40 % en 1990.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Un récent article publié par The Economist met en avant la puissance de l’économie américaine qui, en dépit des difficultés qu’elle rencontre aujourd’hui, parvient tout de même à surperformer comparativement à ses principaux concurrents. Ainsi, les Etats-Unis représentaient à eux seuls un quart de la production mondiale en 1990 et, aujourd’hui encore, la situation semble globalement inchangée. Le poids de l’économie états-unienne, dans le PIB mondial, a même progressé. Comment l’expliquer ?

Alexandre Delaigue : Tout cela pose effectivement un peu question. Commençons d’abord par rappeler que l’économie américaine n’est pas actuellement, au maximum de ce qu’elle a pu représenter comparativement à l’économie mondiale. C’était le cas dans les années 50, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. A l’époque, l’Europe comme le Japon étaient encore en cours de reconstruction après le conflit et le reste du monde était globalement pauvre. Depuis, et c’est assez normal, le poids des Etats-Unis a eu tendance à diminuer : cela résulte de l’enrichissement des autres nations.

Au global, le PIB des Etats-Unis représente à lui seul environ 25% du PIB mondial aujourd’hui. C’est plus que celui de l’Europe, qui tombe sous la barre des 20%. Plus important, peut-être : la trajectoire que prend le vieux continent pourrait l'amener à représenter moins de 10% de l’économie mondiale à horizon 2050.

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En France comme en Italie, ce poids maximal de l’économie comparativement au reste du monde a été atteint dans le courant des années 90. Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que les pays européens n’ont pas été en mesure de suivre le rythme de la croissance mondiale. Pour les Etats-Unis, c’est le cas inverse. En dépit de l’enrichissement des autres nations, comme la Chine ou l’Inde, ils ont su tenir leur position et continuer à peser de la même façon sur l’économie mondiale.

Naturellement, cette situation peut s’expliquer. Elle résulte de choix différents, réalisés pour l’essentiel au cours des dix à quinze dernières années. L’écart, force est de le constater, s’est considérablement creusé après la crise de 2007. Avant cela, la différence de PIB par habitant entre les Etats-Unis et les nations d’Europe oscillait globalement entre 25 et 30%, en faveur des Etats-Unis. Aujourd’hui, cet écart est considérablement plus conséquent : il grimpe à 50%... et cela invalide les anciennes pistes d’explications avancées jusqu’à lors.

A ce moment-là, beaucoup avancée que cette différence de niveau de revenus s’expliquait par un arbitrage culturel entre une forte consommation nécessitait plus de travail (du côté des Etats-Unis, donc) et un meilleur confort de vie, impliquant des journées moins longue et davantage de congés (mais donc des revenus moins élevés pour les européens).

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Mais qui mesure l’ampleur de la catastrophe économique que l’Europe s’est auto infligée depuis 2008 ?

En vérité, l’explication tient à un seul état de fait : cela fait 15 ans que l’Europe stagne tandis que les Etats-Unis progressent. Et ce progrès s’observe dans toutes les dimensions : il se mesure du point de vue de l'emploi, puisque le taux d’emploi demeure beaucoup plus élevé en Amérique du nord, mais c’est aussi vrai du côté du taux d’investissement des entreprises. Sans oublier, bien sûr, les facteurs de production : les entreprises américaines font une meilleure utilisation des nouvelles technologies que ne le font leurs rivales outre-atlantique. Pour l’essentiel, elles sont aussi mieux managées. 

La politique macro-économique n’est évidemment pas sans impact : la crise de la zone euro a eu un effet dévastateur sur l’Union européenne et a retardé le redémarrage de notre économie ; engendrant notamment des politiques plus austéritaires que celles mise en place en Amérique du nord. La réponse au covid a aussi été très différente, puisque les Etats-Unis ont opté pour un soutien massif à la demande ; à l’aide de baisses d'impôts et des versements d’allocations. 

En résumé, l’Europe souffre de choc qu’elle s’est auto-infligée, tels que la crise de la zone euro ou le Brexit, et elle utilise moins bien ses facteurs de production que les Etats-Unis. Enfin, il ne faut pas perdre de vue le facteur démographique, qui joue particulièrement dans le cadre de la comparaison avec le Japon.

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Quelles leçons l’Europe pourrait-elle tirer de la success story américaine ? Quid de la France en particulier ?

Le premier point apparaît évident : l’Europe, si elle veut peser davantage sur l’économie mondiale, devra faire preuve d’une meilleure gestion macro-économique. Nous nous sommes infligées beaucoup de dommages à travers les politiques d’austérité et les problèmes de coordination entre pays européens ne permet pas de reproduire l’action américaine, dont le gouvernement fédéral peut soudainement décider de dépenser massivement. 

Ceci étant dit, ce problème n’a rien de nouveau et tout laisse à penser que l’avènement d’une telle superstructure, à échelle européenne, n’est pas à l’ordre du jour. Il n’est pas impossible que l’Europe change un jour (et des événements comme la guerre en Ukraine ou la crise sanitaire pourraient engendrer des évolutions en la matière) mais en l’état, il n’existe pas de gouvernement européen susceptible de soutenir l’économie du continent comme le gouvernement américain peut le faire de son côté.

Il ne faut pas non plus perdre de vue les questions que soulève le modèle états-unien : est-il vraiment soutenable de dépenser autant ? Le poids de la dette publique américaine demeure très important. Méfions-nous de la malédiction de la couverture ! Bien souvent, quand un P-DG, une entreprise ou une nation fait la couverture de magazines s’interrogeant sur leur énorme succès, c’est souvent annonciateur de problèmes à venir. Rien ne permet d’exclure que cela arrive aussi pour les Etats-Unis. 

Selon moi, le scénario d’une perte de vitesse de l’économie américaine n’est pas le plus plausible. Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas, au contraire. Les problèmes internes aux Etats-Unis (qu’ils soient politiques ou économiques) pourraient tout à fait faire office de déclencheur.

Autre point important : les Etats-Unis et les pays d’Europe ont des approches très différentes en matière de politique industrielle et de comment soutenir leur production. Aujourd’hui, l’Union critique assez vivement  l’inflation reduction act, qui consiste à subventionner massivement le secteur de la transition énergétique. Le caractère très fractionné du marché européen bloque ce type d’initiative et donc, de facto, l’émergence de grandes entreprises continentales. Le marché unique n’existe pas totalement.

Force est de constater que, jusqu’à présent, les Etats-Unis profitent clairement du fédéralisme politique, qui s’est avéré très utile économiquement. 

De nombreux Américains demeurent particulièrement angoissés par l’état de l’économie de leur pays. Tant et si bien qu’ils ne voient pas nécessairement la force de cette dernière. Comment expliquer ce paradoxe ? Faut-il croire à un récit décliniste que d’aucuns tiennent parfois ?

Bien entendu, il ne faut pas écarter la possibilité d’un arrêt en plein vol de l’économie américaine. Ce n’est toutefois pas, me semble-t-il, le scénario le plus plausible.

Précisons tout de même que les performances économiques américaines, si remarquables soient-elles, sont aussi accompagnées de résultats sociaux extrêmement préoccupants. Les Etats-Unis affichent une espérance de vie moyenne de sept années inférieure à celle observée en Europe, ce qui les place derrière bon nombre de pays dits du “tiers-monde” en la matière. Ce n’est pas un sujet anodin. En outre, sur le plan sanitaire, la population masculine qui n’a pas suivi d’études supérieures est très victime de la consommation de stupéfiants ; généralement opiacés. Certains économistes n’hésitent d’ailleurs pas à parler de la mortalité américaine comme d’une “mortalité de désespoir”. 

La vie aux Etats-Unis est extrêmement dure pour certaines parties de la population.

Socialement, de très nombreux marqueurs économiques sont dans le rouge. C’est le cas des inégalités, très élevées. Dès lors, une grande partie de la population américaine ne profite pas des bienfaits de la croissance. Reste à savoir si ces divers problèmes constituent une sorte de contrepartie du modèle à l’américaine (qui serait alors une société du “marche ou crève”, en un sens) ou non. 

A mon sens, cette analyse doit être nuancée parce que la dépense sociale est en forte hausse aux Etats-Unis. De plus en plus d’américains ont accès à l’assurance santé. De plus, quand comme les Etats-Unis, on dispose d’un PIB en forte croissance, cela veut aussi dire que l’on dispose des ressources nécessaires pour commencer à résoudre les problèmes de société. Hélas pour eux, les américains sont aussi confrontés à un niveau de blocage politique très fort : il y est extrêmement difficile de faire passer des mesures politiques potentiellement contraignantes.

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