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L'Europe en crise : sommes-nous menacés d'une nouvelle Guerre de Trente Ans ? (2ème partie)
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Destin

L'Histoire enseigne que les crises économiques européennes se sont toujours accompagnées de crises militaires. Alors que depuis 2008 l'Europe patine dans un marasme financier, les Etats-providence stables et prospères de l'après-guerre semblent avoir entamé leur déclin (2/3).

Bernard Wicht

Bernard Wicht

Bernard Wicht est privat-docent à l'Institut d’études politiques et internationales, au sein de l'Université de Lausanne.

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Voici une série de réflexions menées en 2010 par Bernard Wicht – Privat-docent à l’Université de Lausanne et spécialiste de questions stratégiques – autour du lien conjoncturel qui pourrait exister entre la méga-crise financière que traverse actuellement l’Union européenne et un hypothétique conflit en Europe, en l’occurrence comment un conflit serait-il susceptible d’apporter une contribution majeure à la résorption du marasme actuel ? Le texte qui suit est l'épisode (2/3). Lire ici, l'épisode 1 : L'Europe en crise : sommes-nous menacés d'une nouvelle Guerre de Trente ans ?.

A ce stade intervient l’événementiel, c‘est-à-dire les révélateurs et les éventuels déclencheurs. 

La déstabilisation de l’UE pourrait entraîner des troubles graves, voire un chaos généralisé et prolongé, en particulier si la manne prévue (100 milliards d'euros) atterrit dans les poches d’une partie de la classe politique plutôt que dans celles des Etats concernés. Hypothèse parfaitement plausible dans le cas grec où il faut rappeler que l’UE dans les années 80 a payé deux fois la construction du métro d’Athènes (le premier versement ayant mystérieusement disparu). Les trois Etats (Grèce, Portugal, Espagne) en difficulté sont de jeunes démocraties sorties récemment de la dictature militaire. Quid d’un retour « aux anciennes méthodes » en cas de désordres prolongés ? Le Traité de Lisbonne prévoit la possibilité pour l’UE d’intervenir dans un Etat membre en cas de risque d’effondrement de celui-ci ; un état-major et une troupe d’intervention (pour le moment sans doute sous la seule forme d’effectifs potentiellement disponibles) ont été créés à cet effet. Par ailleurs, quelle serait la réaction de la Turquie si la Grèce déclarait l’état d’urgence; rappelons qu’un complot militaire vient d’être éventé en Turquie. Enfin, les gouvernements actuels sous couvert de propos rassurants et solidaires, font preuve d’aucune pitié. A titre d’exemple, en 2008 le Premier Ministre Gordon Brown prend appui sur un décret anti-terroriste pour geler les actifs de la Landsbanki islandaise et contraindre l’Islande à rembourser ses dettes. Ceci confirme au passage que Londres est prête à employer n’importe quel procédé pour rentrer dans ses frais. De leur côté les populations françaises et allemandes accepteront-elles de nouveaux sacrifices financiers au nom de la solidarité européenne (avec un salaire moyen à 1’200 euros pour les personnes bénéficiant d’une formation supérieure, la question est loin d’être académique) ?

Face à ce possible effet domino, à ces éventuelles réactions en chaîne, il importe de garder à l’esprit que nos sociétés sont devenues très complexes, et que les sociétés complexes sont fragiles, que les sociétés fragiles sont instables et que les sociétés instables sont imprévisibles ! Or dans une réflexion prospective telle que celle-ci, le facteur le plus difficile à évaluer reste le temps. Si ces pronostics devaient malheureusement se réaliser… dans quel délai : 6 mois, 1 an, 5 an ?

J'aimerais élargir un peu le champ de l’analyse afin d’envisager les perspectives qui se dégagent pour l’avenir : car, au-delà des problèmes qu’elle crée et des noirs desseins pouvant en découler, une crise majeure comme celle-ci donne l’opportunité à l’observateur de se faire une idée des grands courants à l’oeuvre actuellement – Jürgen Habermas parle, certes dans une optique un peu différente, mais néanmoins de « rupture profonde ». 

Dans ce sens, la crise de la zone euro est sans doute le chant du cygne de la Modernité occidentale, l’Union européenne (UE) représentant l’ultime avatar de la construction étatique moderne avec sa bureaucratie supra-étatique et son centralisme à l’échelle continentale. Et, dans l’immédiat, la crise devrait encore renforcer ce centralisme bureaucratique ; la Commission s’est fait donner le mandat (certes, temporairement limité) d’un contrôle économique des Etats membres et, de facto, un droit de regard dans la politique budgétaire des Etats membres. Ceci signifie un renforcement considérable du pouvoir supra-étatique de l’UE. Mais, paradoxalement, ce renforcement représente probablement l’épilogue de l’histoire de l’Etat moderne, le dernier acte d’une pièce qui s’est jouée pendant environ 500 ans, le dernier coup d’éclat d’une institution sur le déclin. Comment cela s’explique-t-il ? 

Le déclin de l’Occident ? … ou sa renaissance ? 

… plutôt sa renaissance (à long terme) si l’on adhère à la thèse du changement macro-historique d’outil de production (le troisième en cinq mille ans) : selon cette thèse, l’avènement de la société de l’information constitue ce changement d’outil de production conduisant à l’effacement progressif de la société industrielle (au même titre que cette dernière avait supplanté la société agraire à la jointure du Moyen Age et des Temps Modernes). S’il y a déclin, ce serait donc plutôt celui de la société industrielle avec ses structures pyramidales et ses organisations hiérarchiques, en priorité l’Etat moderne comme forme dominante d’organisation politique. Par conséquent, si la crise de la zone euro représente le chant du cygne de la Modernité occidentale, ce n’est pas tant l’Occident qui est en cause mais bien les formes d’organisation héritées de l’ère industrielle ; le dernier acte de centralisation de l’UE doit être compris dans ce sens.

S’il y a renaissance, c’est parce que l’émergence d’un nouvel outil de production (qui plus est basé sur l’intelligence) constitue une nouvelle étape de développement de l’histoire de l’humanité (et non un déclin). Alors, tout va bien ? 

Là aussi, la réponse est sans doute négative. Le passage d’un outil de production à un autre, la transformation de la chenille en papillon, n’est généralement pas un processus pacifique et consensuel. De manière schématique, on peut ainsi dire que le pouvoir en place représente habituellement l’ancien outil de production (l’Etat moderne dans le cas présent) et les nouvelles forces de production doivent secouer le joug des anciennes structures; tout ceci est hautement conflictuel ! Pour mémoire, la Guerre de Trente Ans (nous y revoilà) est emblématique de ce type de conflit « nettoyant » les anciennes structures (féodales en l’occurrence) et « accouchant » du nouvel ordre institutionnel (le système westphalien)A cet égard, rappelons que la Guerre de Trente Ans autorise, d’une part, la diffusion à l’échelle de l’Europe des instruments de crédit en raison de l’abondance de l’or et de l’argent et, d’autre part, le renforcement du pouvoir étatique dorénavant en mesure de mâter toute révolte sur son territoire. 

Il est frappant de relever en outre que cette image d’un conflit long et chaotique (sur laquelle je reviens sans cesse) correspond à la période de transition hégémonique que nous vivons en ce moment, à savoir la lente fin du cycle étatsunien. Le capitalisme financier (qui s’est installé depuis la fin du XXe siècle = mondialisation) marque généralement la fin d’un cycle hégémonique et l’annonce d’un suivant. Dans le cas présent cependant, aucune nouvelle puissance à l’horizon n’est en mesure de remplacer les USA. Certes la Chine est envisageable, mais rien à comparer avec la puissance militaire US. Or, en principe, le challenger doit pouvoir soutenir la comparaison dans ce domaine en particulier. Les historiens spécialistes des cycles (Arrighi, Wallerstein et consort) sont d’accord pour constater le déclin américain, mais demeurent tous perplexes sur la puissance qui pourrait succéder aux USA. A cet égard, il est intéressant de signaler comment Arrighi décrit une période de transition hégémonique : conflits sociaux + chaos systémique aggravé encore par ce qu’il appelle la « tyrannie des petites décisions », c’est-à-dire le fait que dans une telle période chaque Etat se préoccupe de ses intérêts nationaux sans esprit de coopération ! 

Cet article a été publié préalablement sur le blog alupus.

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