Israël, Gaza, les atrocités et leur impact sur notre santé mentale à tous<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats israéliens marchent près des corps de civils tués, recouverts, dans la ville méridionale de Sderot, le 7 octobre 2023.
Des soldats israéliens marchent près des corps de civils tués, recouverts, dans la ville méridionale de Sderot, le 7 octobre 2023.
©Oren ZIV / AFP

Horreur

Les médias ont témoigné sur l’horreur des atrocités commises par le Hamas en Israël. Ces images, qui ont été également relayées sur les réseaux sociaux depuis le 7 octobre, nous affectent tous.

Michaël Prazan

Michaël Prazan

Michaël Prazan est un écrivain et réalisateur français. Il a notamment écrit L’Écriture génocidaire : l’antisémitisme en style et en discours (Calmann-Lévy, essai, 2005), Une histoire du terrorisme (Flammarion, 2012), Frères Musulmans : enquête sur la dernière idéologie totalitaire (Grasset, 2014).

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Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Le 23 octobre, près de 200 journalistes de la presse étrangère ont été conviés sur une base militaire de Tel-Aviv par l’armée israélienne pour une projection des images des attaques du Hamas du 7 octobre. Les médias ont témoigné sur l’horreur des atrocités commises. Ces images ont été également relayées sur les réseaux sociaux depuis le 7 octobre. Quel est l’impact de telles images sur le plan de la santé mentale ? 

Pascal Neveu : Vous me pardonnerez immédiatement de prendre des précautions face à ce que je vais vous dire lié à mon vécu professionnel qui n’est pas que psy, mais qui part d’une observation d’étudiants, d’échanges avec des journalistes dont certains proches amis qui connaissent le terrain, et d’autres l'aspect militaire.

Dans une autre de vos questions, vous verrez que je connais ces images, incontestables, abominables, abjectes, à vomir.

Mais le monde n’est pas tout blanc ou tout noir. Et depuis la guerre en Ukraine, cette nouvelle guerre nous renvoie aux images, à la propagande, mécanismes bien connus depuis des décennies, et les fakes. C’est la guerre de l’image dans un camp comme dans l’autre, hélas au détriment des victimes et des otages, mais c’est aussi et surtout la réalité… entre les images satellites indiscutables, analysées, et d’autres montrant les rapports de forces militaires. 

Je suis personnellement partagé face à cette diffusion, ayant dans ma vie professionnelle vu des centaines de cadavres et ne sachant comment ces 200 journalistes, non préparés psychologiquement, ont pu vivre une telle projection, et la digérer.

Mais j’en connais surtout sur le terrain qui ont vu la réalité, et non des images contestées par une « armée » de profils et faux profils orchestrés par Hamas.

Le terrain, plus que des images vaut vérité ! Et les journalistes que je connais ont vu cette atroce vérité !

C’est une question de guerre. Mais l’impact mental m’importe le plus. Et les conséquences psychologiques chez ces journalistes : ce qu’ils « ramènent » à la maison, ce qu’il vont dire auprès de leurs collègues, leurs amis… car les images sont d’une telle cruauté.

3 milliards d’utilisateurs de réseaux sociaux dans le Monde, 40 millions en France ! Combien d’orientation d’esprit sur les réseaux ? Combien osent dire que ce sont des fakes, que Tsahal et d’autres services, et d’autres journalistes ne racontent pas la vérité face à ces horreurs qui ne sont pas diffusées ?

Faut-il montrer des photos ? S’agit-il d’une forme de censure en France vu les tensions depuis des années ? Car ils vont contester les témoignages reçus par les journalistes ? Je rappelle qu’il existe un code de déontologie des journalistes… et que leurs images et photos réalisées rapportent le réel et la vérité de ces atrocités, en toute neutralité et recherche de la vérité !

Les journalistes sont impactés et n’oublieront jamais.

Un proche ami a vécu un drame et quand on se voit, je sais dans son regard et nos bises qu’il n’oubliera jamais la réalité du terrain, et pas seulement des images que tous les complotistes, terroristes et politiques vont contester.

Mais le psychisme a des capacités dont je vais parler.

Quel impact ont-elles sur notre perception politique du conflit ? Est-ce qu'elles le modifient ? 

Michaël Prazan : A mon sens, elles ne le modifient en rien, bien au contraire. Ces images, et l’on peut trouver cela paradoxal, enferment les uns ou les autres, en fonction des camps qu’ils se sont choisis, par affinités identitaires ou idéologiques, en obstruant leur capacité d’empathie. Il y a en effet de fortes chances que quelqu’un qui aura été choqué par les images abominables des pogroms du 7 octobre, se ferme ou refuse de voir la mort d’un enfant gazaoui. De même, un soutien de la cause palestinienne, refusera de considérer l’horreur et la douleur israélienne engendrée par l’épouvante de massacres qui ont ciblé des Juifs. Je n’en fais pas une généralité, mais il me semble qu’il y a là un ressort émotionnel et psychique que l’on peut constater chaque jour autour de nous, et qui est profondément désolant. Ces images d’horreur, loin de créer du lien entre nous, quelles que soient nos affiliations supposées, ne font que renforcer des camps irréconciliables et propager la haine de l’autre. Leurs effets, bien sûr, sont plus visibles de ce point de vue, en dépit d’un prétendu « deux poids deux mesures », d’ailleurs parfaitement réversible, parmi ceux qui soutiennent le Hamas, et qui déclarent que les pogroms perpétrés par cette organisation terroriste sont des « actes de résistance ». Cette fermeture à toute capacité d’empathie a pour conséquence une déshumanisation de l’adversaire, qui est le meilleur pis-aller vers le passage à l’acte criminel. Par ailleurs, on sait depuis longtemps que les « images mentent », comme l’a rappelé Laurent Gervereau dans un essai vieux de 25 ans. Que dire aujourd’hui, à l’heure des fake news et de l'intelligence artificielle ? Lorsque des images contrecarrent nos représentations et nos convictions, rien de plus simple que de déclarer qu’elles sont fausses ou trafiquées, ou encore de les balayer d’un revers de main en disant qu’il ne s’agit là que d’images de propagande, justement pour se préserver du vacillement de ces mêmes convictions.

Qui sont les plus sensibles à cette perception erronée ? Les utilisateurs des réseaux sociaux ? 

Michaël Prazan : Probablement. Je rappelle que les nazis, qui prenaient des photos ou filmaient les massacres de masse perpétrés en Europe de l’Est par les Einsatzgruppen et leurs supplétifs locaux (les commandos mobiles de tueries de la SS et du SD), se gardaient bien de diffuser les images de leurs crimes, car ils craignaient le jugement des opinions publiques. D’ailleurs, la première chose que feront les nazis lorsqu’ils sont sur le point de perdre la guerre, c’est de détruire ces images. Les islamistes, depuis longtemps déjà, ont inversé le paradigme. Car contre toute attente, ces images, pour Daesh et d’autres groupes islamistes, produisent un effet inverse qui peuvent nous révulser et nous paraître incompréhensibles. C’est-à-dire qu’elles fascinent et renforcent la haine de l’autre, en l’occurrence de la victime, tout en accélérant le recrutement au sein des organisations terroristes qui les diffusent. L’écrivain génial Thierry Jonquet, est celui qui l’a sans doute le mieux décrit et formalisé dans un roman prophétique : « Nous sommes votre épouvante et vous êtes leur crainte » (2006). Jonquet montre clairement les mécanismes de la radicalisation par la répétition d’images de décapitations. Lakhdar, le jeune héros du roman, un adolescent sensible et plutôt bon élève, embrigadé par un recruteur terroriste qu’il admire, y est exposé quotidiennement par ce dernier. Passé le rejet des premiers visionnages, Lakhdar se ferme rapidement à toute compassion à l’égard de la victime, et finit par trouver une forme de jouissance, voire d’addiction, au visionnage d’images qui contribuent à la perte de repères moraux et à la déstabilisation de son psychisme. Imaginez un jeune garçon dont l’apprentissage à la sexualité passerait par les images d’une israélienne de 15 ans violée devant ses parents assassinés, et qui sera ensuite dépecée, et son corps incendié. Quelles seront les conséquences de ce magma de désir sexuel, de trauma, et de complaisance avec la violence la plus insoutenable - et je ne parle même pas de sa représentation des femmes ! Le traumatisme engendré, passera par la volonté consciente ou non d’une forme de reproduction, qu'elle soit réelle ou symbolique, de la scène traumatique, à l’instar de cette majorité de pédophiles qui ont eux-mêmes subi des sévices sexuels durant l’enfance.

Bien-au-delà du simple syndrome de stress post-traumatique, quels sont les effets et les conséquences concrètes de telles images d’horreur sur les mécanismes du cerveau, de la pensée et de la santé mentale ? Bascule-t-on dans un trouble psychique ?

Pascal Neveu : Vous avez raison de le souligner. Il y a d’un côté le PTSD (Post Traumatic Syndrom Disorder) qui est décrit dès 1918 par Sigmund Freud lors du congrès de Nuremberg où il expose la névrose de guerre qui touche les militaires et survivants de cette guerre atroce.

On ne bascule jamais dans un trouble psychique : le trouble psychique s’exprime à un moment donné. Et ces images peuvent en être le bouton déclencheur.

Il faut rappeler que nous possédons tous des mécanismes de défense variables en fonction de notre organisation psychique. Une personne ayant subi/vécu un événement fortement traumatique peut utiliser la voie du déni, du refoulement, et dans certains cas le mécanisme de reproduction. Tout est fonction de la « stabilité psychique ».

Dans le cas des PTSD, l’événement peut rester enfoui toute une vie ou se « réveiller », se révéler lors d’une remise en contact avec un événement émotionnel fort, médiatique, nous remémorant le traumatisme passé (accident, viol, attentat…).

Le problème reste la mémorisation de ces images et vidéos, qui peuvent hanter, je vais y revenir.

Le simple fait de voir de telles horreurs en France va-t-il avoir des conséquences aussi graves sur le plan de la santé mentale que le choc, le stress et l’inquiétude de la population israélienne depuis le 7 octobre ? 

Pascal Neveu : Les chiffres sortis des derniers sondages montrent l’inquiétude non seulement de la « communauté » juive en France, mais également des Français chrétiens et des jeunes. Je connais personnellement 5 amis qui ont reçu sur leurs portes d’appartement parisien des tags anti juifs ! Et 1 avec tentative de départ de feu ! Ce qui veut dire que dans l’immeuble on sait qu’ils sont juifs et que cela est communiqué par les voisins, car il faut des codes d’immeuble ! On revient aux années obscures, pour ne pas dire nazies, face à une montée réelle et actuelle de l’extrême droite, antisémite en France ! 

Je ne sais absolument pas qui dans mon immeuble personnel et professionnel est juif, tout comme musulman, orthodoxe, catholique, protestant…et je m’en moque ! Mais les personnes de confession juive retirent dorénavant leur Mezouzah !

J’avoue même avoir découvert que des amis sont juifs, malgré leur nom… car j’ai humainement en face de moi des personnes de coeur... alors qu’antisionisme et antisémitisme font légion dans notre beau pays et dans le Monde.

Les modérateurs des réseaux sociaux qui contrôlent et suppriment les vidéos horribles des massacres du Hamas ne sont-ils pas confrontés également à une extrême détresse psychologique face à l’accumulation du visionnage de tant d’horreurs ?

Pascal Neveu : Il y a 10 ans je rendais une note auprès d’un service du Tribunal de La Haye où une équipe de 8 personnes visionnait toute la journée des vidéos abominables, afin d’identifier la source, la véracité des faits et faire remonter les informations auprès des services de renseignement mais aussi statuer quant au crime de guerre et identifier les criminels qui seront pourchassés et jugés devant le Tribunal Pénal International.

J’ai moi-même vu des vidéos ou photos, mais loin de toutes ces heures de visionnage non stop. Déjà la photo de la tête de Samuel Paty avait perturbé mon sommeil… alors imaginez ces personnes… toutes divorcées, avec des troubles du sommeil, des cauchemars, en plein épuisement professionnel, des comportements paranoïdes… ne bénéficiant d’aucune supervision psy afin d’évacuer toutes ces horreurs, restant professionnels, visionnant, revisionnant dans les moindres détails.  Le cerveau et le psychisme en sont fortement impactés.

Je passe les zones cérébrales activées… Nous sommes sur une forte activation.

Et c’est là où la guerre émotionnelle, la guerre des images se joue, et ces terroristes extrêmement bien formés veulent gagner par tous les biais possibles cette guerre.

Les conséquences des attentats de 2015 (le Bataclan, les terrasses, Charlie Hebdo, le Stade de France, le Thalys) étaient-elles les mêmes en France sur le plan de la santé mentale des Français et de l’opinion publique ?  

Pascal Neveu : Tout comme nous nous rappelons là où nous étions et ce que nous faisions le 11 septembre 2011, nous nous rappelons tous des différents attentats de 2015, fortement médiatisés notamment sur les chaînes d’infos publiques, images des traques et des secours en direct. J’étais sur le terrain lors de la nuit du Bataclan. J’ai suivi les forces de l’ordre, les soutiens logistiques pompiers et j’ai accompagné par la suite en thérapie plusieurs survivants de cette affreuse et abominable nuit du 13 novembre, sur les 3 lieux : 130 morts et 413 blessés hospitalisés dont 99 en situation d’urgence absolue. 

Ce fameux vendredi, je sortais d’un colloque où une personne nous posait étrangement cette question « Comment identifier un terroriste ? ». A part répondre que la DGSI en surveille de potentiels… c’est, hélas, comme tout criminel, après passage à l’acte que la stupeur nous étreint face à l horreur commise. Même si nos forces de l’ordre ont, depuis, perfectionné la détection et la neutralisation de certains individus.

Les survivants de ces attentats que j’ai pu accompagner psychologiquement, outre les blessés physiquement à vie, restent impactés psychologiquement à vie.

Ils conservent en mémoire sensorielle ce jour où ils ont survécu. Même si plusieurs sont retournés sur les lieux lors du concert de réouverture, on sans appréhension. 

Pardonnez que je n’entre pas dans les détails très morbides, même si par la suite, à travers différentes techniques (notamment l’hypnothérapie) nous parvenons à canaliser, suite à la surcharge émotionnelle de cette mort qui vous tombe dessus. Et 2 questions : celle du survivant (« pourquoi moi vivant, alors qu’ils étaient tous morts à mes côtés ? »), celle du héros (« la grande faucheuse ne m’a pas eu… et je suis parvenu à aider 1-2 personnes à s’échapper »)… Pour ceux qui ont approché la mort, c’est un questionnement à vie, et des changements de vie. Pour les proches, ces questions sont quasi identiques, existentielles, voire métaphysiques pour certains. 

Combien de juifs rescapés des camps se sont suicidés après la Shoah ? 6 millions de juifs assassinés, plusieurs milliers se suicidant, et encore actuellement des enfants, petits-enfants qui viennent en consultation pour différentes raisons :

- crises d’angoisse

- peur panique suite aux guerres et attentats

- troubles du sommeil

- désir de vengeance

- devoir de mémoire

Je me permettrai de terminer par une réflexion qui peut sembler sortir du cadre « psy », mais pourtant. Un « peuple élu » a été dernièrement atrocement mutilé et bafoué dans son honneur. Israël n’apparaît plus comme le pays le plus sécurisé au Monde.  Un autre peuple, emprisonné par le Hamas, a commis des atrocités jamais vues (même sous Daesh) auprès d’une population qui n’a rien demandé, des enfants, des femmes. 

Ces deux peuples, en tout cas leurs dirigeants, qui se haïssent et ne désirent que leurs destructions réciproques n’ont-ils pas de cœur, mais un ego et un fanatisme religieux ?

Si vous relisez Freud (diantre... il était juif)… Malaise dans la Civilisation et Malaise dans la Culture annonçaient la Seconde Guerre mondiale. Rien n’est tout blanc et noir… Mais les civils n’ont pas à payer les frais de psychopathes politiques et militaires.

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