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Interdiction des vitres teintées, une mesure intenable : qui jugera à vue d’œil si la lumière filtre à moins de 70% ?
©REUTERS/Dado Ruvic

Histoire de carreaux

Alors qu'un récent décret publié au Journal Officiel règlemente strictement l'usage de vitres teintées à l'avant des véhicules, une telle mesure n'est pas sans poser un certain nombre de questions, tant techniques que juridiques.

Sébastien Vidal

Sébastien Vidal

Sébastien Vidal est avocat au barreau de Montpellier. Après des études d’ingénieur et un diplôme de l’Ecole Centrale (Lyon), une licence d’économie et un Master de droit des affaires, il a travaillé pendant plus de dix ans pour des cabinets de conseil en stratégie et fusions-acquisitions (notamment des "Big 4"). Il a également été conseil de direction d’un grand établissement public avant de prendre la direction d’un fonds d’amorçage dédié aux entreprises innovantes. Enfin, il intervient comme enseignant en droit auprès d’une école de commerce de premier plan, accréditée par l’AACSB. C’est fort de cette expérience de terrain qu’il a intégré le barreau.

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Atlantico : Un décret récemment publié au Journal officiel et relatif à des modifications du code de la route prévoit de réglementer strictement l'emploi de vitres teintées à l'avant des véhicules. Ce texte ne serait-il pas difficile à appliquer d'un point de vue purement technique ?

Sébastien Vidal : Sur le plan technique, le texte appelle plusieurs remarques (qui rejoignent des questions d’ordre juridique d’ailleurs) :

- Que vont faire les propriétaires de véhicules déjà équipés de vitres teintées ? On ne parle pas que des films colorés, mais également des vitres teintées dans la masse. Démonter ?

- Comment vont faire les acheteurs de véhicules ayant été réceptionnés dans un autre pays de l’Union européenne où il est légal d’avoir des vitres teintées : changer les vitres au passage de la frontière (cela vaut également pour les simples touristes) ?

- Alors que selon les normes européennes, les mesures de transmission de la lumière se font en laboratoire, l’agent verbalisateur sera-t-il équipé pour vérifier que celle-ci serait inférieure à 70% ?

Au-delà de l'aspect technique, quels sont les points juridiques qui posent problème dans ce décret ?

Les question techniques rejoignent les questions de droit.

Ainsi sur la mesure de la "transparence", n’est-on pas en proie à des verbalisations arbitraires, discrétionnaires ?

D’ailleurs, la façon dont le décret est rédigé ne prohibe pas explicitement les vitres teintées à l’avant : il prévoit juste qu’on ne peut pas verbaliser si la transmission de lumière est supérieure à 70%. Pas qu’on doit verbaliser si elle est inférieure. Là encore, il y a une notion d’arbitraire. De même, la différence de traitement entre ceux qui auraient des vitres "teintées dans la masse", et ceux qui apposeraient des films colorés, qui eux sont strictement interdits. Il y a une forme de discrimination.

Il y a aussi des personnes déjà équipées : le décret crée une règle technique avec un effet rétroactif. Or, un décret est un acte administratif : il ne peut donc pas en principe produire des effets rétroactifs. On interdit de facto l’utilisation de véhicules dont la réception est conforme. Et on empêche en pratique leur revente d’occasion.

Au rang des questions de droit se pose également le respect de la vie privée (droit fondamental) : la Cour de cassation considère qu’une automobile est un lieu privé, et pas un espace public : il faudrait donc que la mesure soit nécessaire pour être justifiée. Les arguments de sécurité routière ne résistent pas à l’analyse ; par exemple le contrôle des ceintures : elles sont aussi obligatoires à l’arrière, donc, sauf à renoncer à contrôler les passagers arrières, la mesure n’a pas de sens. De même pour le contrôle de la criminalité : l’absence de vitres teintées n’aide en rien. Cette analyse est d’ailleurs celle qu’avait eue la Cour de Justice de l’Union européenne lorsque le Portugal avait envisagé l’interdiction des films colorés.

On en vient donc au droit européen : le frein à la commercialisation de ces films colorés, mais également au commerce des véhicules équipés, constitue a priori des Mesures d’Effet Equivalent à des Restrictions Quantitatives (MEERQ), prohibées par les traités (analyse retenue par la Cour dans l’affaire concernant le Portugal). On peut également y voir une forme de Taxe d’Effet Equivalent, également prohibée par les traités.

Encore sur le volet européen, il ne ressort pas des visas du décret que la Commission ait été informée du projet. Or, il crée de facto une règle technique qui fait en principe l’objet d’une consultation de la Commission. C’est d’ailleurs un point qui avait été considéré comme un manquement dans le cas du Portugal déjà évoqué.

En plus du droit, il faut prendre en compte l’opportunité : on parle de motifs de sécurité routière ou de lutte contre la criminalité sans apporter de preuve objective de l’intérêt de la mesure. En revanche, les avantages apportés par de tels équipements (résistance aux effractions, diminution de l’utilisation de la climatisation dans les régions chaudes - et il y en a en France, en métropole, mais aussi dans les DOM-TOM, où les vitres teintées sont fort appréciables -, donc de la consommation, réduction de l’éblouissement, etc.)

Un recours gracieux en abrogation de ce décret a été déposé. Quelles sont ses chances d'aboutir selon vous ?

Il faut faire preuve de beaucoup d’humilité, même quand on est sûr de son analyse.

Le recours gracieux doit amener l’administration à réfléchir aux arguments juridiques soulevés. Mais le Gouvernement peut aussi bien ne pas répondre, ce qui équivaudrait à un rejet et contraindrait à une saisine du Conseil d’Etat pour tenter de faire abroger le décret par les juges. L’idéal serait que le Gouvernement dialogue avec les professionnels et les usagers, sans idéologie, pour trouver une solution qui satisfasse tout le monde.

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