Grand écart idéologique : les jeunes femmes et les jeunes hommes ne voient plus du tout le monde de la même manière <!-- --> | Atlantico.fr
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Des participants à une manifestation contre les violences faites aux femmes.
Des participants à une manifestation contre les violences faites aux femmes.
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Fractures intergénérationnelles

Selon les résultats d'études citées par le Financial Times et d'après une publication du Pew Research Center, les adolescentes ne partagent plus les mêmes opinions que les jeunes hommes qui se tournent davantage vers une idéologie plus conservatrice.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Atlantico : Selon les résultats d'une enquête du Pew Research Center et d’études citées par le Financial Times, les jeunes hommes et les jeunes femmes ne pensent plus de la même façon, notamment en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis ainsi qu'en Corée du Sud. Les femmes tendent à nourrir des idées libérales quand les hommes penchent davantage vers une idéologie plus conservatrice. Comment est-ce que l'on explique ce phénomène selon vous ?

Virginie Martin : D'après les études, il semblerait que le phénomène MeToo soit absolument crucial. Les premières campagnes ont été menées en 2006 mais le mouvement a vraiment été connu en 2017 après l’affaire Weinstein. A partir de là, il y a vraiment une libération de la parole et donc un espace autorisant à dire collectivement ce qui était individualisé, vécu de manière séparée et individuelle jusqu’à présent. Face à un viol, du sexisme en entreprise, des écarts de salaires, des violences sexuelles et sexistes, les femmes avaient tendance à intérioriser cela dans un chemin individuel. Le fait d’avoir un salaire très bas était un phénomène collectif, sociétal. Cela change tout. La dimension collective et donc politique participe à ce changement majeur. La question des violences sexuelles et sexistes, à partir vraiment de l’affaire Weinstein et du mouvement MeToo, est devenue un problème de société et plus un problème individuel. Les femmes se sont vraiment emparées de quelque chose. Mais cela couvait en réalité. Il y a eu tant de violences sexuelles, d’inégalités, de différences salariales dans des pays comme la Corée du Sud, où la tradition est extrêmement forte, mais également en Europe, comme en France notamment. Il y a eu une agrégation de tous ces problèmes. Les femmes se sont réveillées collectivement, ont expliqué que ce n'est plus possible, que cette société patriarcale n’était plus acceptable car elle leur faisait du mal. Il s’agit d’un véritable réveil, d’une prise de conscience, d’une logique d'empowerment. Les femmes souhaitent être respectées et bénéficier d’un salaire équitable. Les idées plus libérales, plus progressistes vont dans ce sens.

En France, les femmes ont obtenu le droit de vote en 1944. Elles votaient de manière identique à leur mari, sous l’influence du clergé. Elles partageaient des valeurs un peu traditionalistes, conservatrices, pour la bonne marche du foyer au regard des valeurs religieuses, morales, éthiques. Dans les années 40 - 50, les femmes ne votaient pas de manière émancipée par rapport à leur mari. Par le passé, les opinions politiques des femmes étaient très influencées par leur père, leur mari et le clergé.

Dans les résultats de l'étude, on voit bien qu'il y a eu une énorme émancipation. Les femmes ne suivent plus les hommes, elles tracent leur propre chemin. Avec mai 68, l'IVG, la pilule, cela se concrétise véritablement à la présidentielle de 1981. Le vote des femmes s'émancipe réellement. Elles commencent à adopter des valeurs dites de gauche.

Au regard des résultats de l’étude, comment expliquer que les femmes se tournent de plus en plus vers des opinions plus libérales et les hommes vers des opinions plus conservatrices ?

Pour beaucoup de femmes, il y a eu une forme de libération de la parole, comme un effet de cliquet. Ces difficultés n’étaient plus intériorisées. Il y a eu comme un avant et un après. Cela s’est vite politisé et organisé via des associations. Il y a même eu une radicalisation des mouvements. Les hommes n'étaient pas préparés à cela. Cela a été un tremblement de terre inattendu pour eux. Chaque femme, dans son for intérieur, attendait ce réveil mondial. Mais les hommes n'attendaient rien puisque la situation leur était évidemment favorable.

On assiste chez eux à un mouvement de résistance. Mais l’étude démontre qu’ils peuvent être perdus, notamment chez les plus jeunes.

Beaucoup d’hommes ont peur de partager leurs places avec des femmes. Il y a eu le partage des places en politique en France, avec les lois sur la parité.

Les femmes peuvent désormais avoir aussi de vrais salaires qui leur permettent d'être complètement indépendantes. Travailler avec des salaires équivalents à ceux des hommes apporte un vent de liberté. Mais les plus forts écarts de salaires concernent les différences pour les hauts revenus.  

Les hommes sont de plus en plus inquiets au sein des entreprises pour leurs postes dans la hiérarchie face à des femmes.

Est-ce que de cette inquiétude-là naît la tentation conservatrice de certains ?

Bien entendu. Il y a aussi une tentation conservatrice plus globale concernant les rôles à la maison ou pour le partage des tâches pour les questions domestiques. Est-ce que les femmes vont encore vouloir faire des enfants ? Est-ce qu'elles vont faire des enfants à 40 - 45 ans ?

La parité, même en politique, est donc un symbole très fort. Cela permet de démocratiser et de banaliser le pouvoir au féminin. Cela fait reculer la dépendance économique et permet même de partager les tâches domestiques.

Les populations concernées par ces attitudes sont globalement assez jeunes, entre 18 et 29 ans. Est-ce qu'il faut penser que c'est une rupture qui est aussi d'ordre générationnel ? Qu'est-ce que cela peut annoncer pour la suite ?

Il y a un gap générationnel. Toutes les femmes ne sont pas nées avec MeToo. Tout ce phénomène radical concerne plutôt les plus jeunes. Mais depuis près de 20 ou 30 ans, les femmes réussissent mieux dans les études. Elles sont ministres depuis longtemps. Les lois sur la parité sont anciennes. Il s’agit d’un phénomène qui s'inscrit dans une continuité, après Mai 1968, après Simone Veil. La jeune génération s'empare de ces thématiques, se radicalise, se politise, se collectivise. Il y a une vraie dynamique. Les femmes américaines avaient notamment plébiscité Hillary Clinton face à Donald Trump.

Quelles sont les conséquences politiques, selon vous, d'une telle divergence d'opinion entre les deux genres ? Qu'est-ce que cela veut dire de la façon dont on va construire l'union dans le pays ?

La situation est complexe. Nous sommes dans une espèce de segmentation politique comme on segmente des parts de marché en marketing. Cela peut être très compliqué de faire société. Les femmes ne reviendront plus jamais en arrière.

Les hommes doivent faire un pas. Il va y avoir des chocs culturels. On le voit dans les études en question. Cela va être difficile pour les hommes de faire un pas ou de tendre la main quand ils deviennent tous plus conservateurs.

Cela devient « difficile » de faire un pas lorsque vous avez une jeunesse masculine qui, de plus en plus, se tourne vers des opinions conservatrices.

Le risque est d’évoluer vers des sociétés hyper segmentées. Or, notre société est beaucoup plus complexe, notamment même au sein des modèles traditionnels ou conservateurs.

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