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Excès de laïcité : l'Allemagne s'interroge sur l'interdiction de la circoncision
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Débat religieux

La circoncision fait l'objet d'une vaste polémique en Allemagne, depuis la décision du Tribunal de grande instance de Cologne d'interdire cette pratique religieuse sous peine de poursuites pénales.

Thierry Rambaud

Thierry Rambaud

"Thierry Rambaud est professeur de droit public à l'Université Paris Descartes et à Sciences Po (Paris). Ancien membre de la Commission de réflexion juridique sur les rapports entre les pouvoirs publics et les cultes (Ministère de l'Intérieur), il est également expert auprès du Conseil de l'Europe. 

Il a rédigé une étude à paraître en novembre-décembre 2017 sur la notion de politique publique de gestion du religieux. Il a également engagé un programme de recherche sur les liens entre droit public, theologie et droit canonique dans la littérature juridique allemande au XXème siècle dont la première étape va paraître aux États-Unis (en lien avec l'université Notre-Dame)."

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C’est en Allemagne, pays où l’histoire contemporaine du judaïsme est si particulière qu’est intervenue une décision du Tribunal de grande instance de Cologne le 26 juin 2012 au sujet de la circoncision qui concerne, on le rappellera, les très jeunes enfants juifs et musulmans[1].

Cette décision a provoqué de vastes remous dans un État où pourtant, pour des raisons à la fois historiques et juridiques, la liberté de religieuse est généralement dans l’ensemble bien garantie.

Le Conseil central des juifs d'Allemagne a ainsi vivement réagi à cette décision judiciaire, estimant qu'il s'agissait d'une intervention gravissime et sans précédent dans les prérogatives des communautés religieuses". "La circoncision des nouveaux-nés garçons est un élément essentiel de la religion juive et est pratiquée depuis des milliers d'années partout dans le monde", a même insisté le président du Conseil, Dieter Graumann. En revanche, les partisans de la solution adoptée par le tribunal évoquent la reconnaissance qui était nécessaire d’une base juridique pour les interventions médicales en matière de circoncisions.

Cette décision récente intervient dans un double contexte propre à l’histoire allemande :

- celle de l’expérience tragique de l’extermination de millions juifs par le régime national-socialiste durant la seconde guerre mondiale ;

- celle de la régulation du fait religieux dans le champ public et social dont il importe rapidement de rappeler le sens général qui n’est pas toujours bien connu.

En 2004, une des questions les plus controversées lors de l’élaboration du projet de « Constitution européenne » au sein de la Convention pour l’avenir de l’Europe fut celle de la référence à l’héritage chrétien de l’Europe. Les autorités françaises avaient clairement manifesté leur refus d’une telle mention. La position française suscita une incompréhension manifeste en Allemagne, pays dans lequel la religion occupe une place certaine dans la vie publique et sociale.

Cette incompréhension entre la France et l’Allemagne renvoie à deux conceptions divergentes de la religion dans l’espace public.

Pour bien en saisir la portée, il importe de rappeler que la doctrine identifie en général trois modèle de relations entre les cultes et l’Etat dans l’Europe communautaire[2] :

  • le modèle des Églises d’Etat (Angleterre, Danemark, Finlande),

    • les régimes de séparation dits « stricts » (France, Pays-Bas, Irlande) ,

      • les régimes dits de « séparation-coopération » (Allemagne, Belgique, Autriche, Espagne, Italie…).

        La dernière catégorie est souvent mal comprise des juristes français qui, habitués à raisonner dans le cadre de la laïcité, tendent à assimiler « séparation » et « loi de 1905 », « séparation » et « sphère privée ». La séparation des cultes et de l’Etat impliquerait le recours nécessaire au droit privé et à l’interdiction des subventions cultuelles. Or, une analyse de la littérature juridique étrangère, notamment allemande[3], autrichienne et belge, témoigne de l’utilisation du terme de « séparation » pour qualifier des régimes cultuels qui recourent au droit public comme au droit conventionnel.

        A cet égard, le modèle allemand constitue un instrument tout à fait pertinent, car il concilie la reconnaissance d’un régime de séparation avec la mise en place d’institutions de droit public qui, en tant que telles, ne violent pas le principe de neutralité de l’Etat. Dans le cadre d’un Etat neutre, il respecte la liberté de conscience et de religion des individus et des communautés religieuses.

C’est donc dans ce contexte qu’intervient le jugement du tribunal d’instance de Cologne sur la circoncision qui a estimé que "le corps d'un enfant était modifié durablement et de manière irréparable par la circoncision". "Cette modification est contraire à l'intérêt de l'enfant qui doit décider plus tard par lui-même de son appartenance religieuse", précise ce jugement qui n'interdit néanmoins pas cet acte à des fins médicales. Selon le tribunal, le droit de l’enfant à son intégrité physique prime, par voie de conséquence, le droit des parents de décider des pratiques religieuses pouvant être réalisées sur un jeune enfant. Contestable sur le plan de la conciliation concrète réalisée en matière de droits fondamentaux, cette décision risque en outre de remettre en cause une pratique religieuse, concernant les 200 000 juifs et les 4 millions de musulmans résidant en Allemagne, établie depuis des siècles.

Saisi, le Comité d’éthique allemand a émis un avis, le 23 août dernier, selon lequel : "Le compromis suivant s'est dessiné : la circoncision doit être autorisée mais à condition qu'il y ait eu une information des parents, qu'ils soient tous les deux d'accord, qu'il y ait un traitement de la douleur et que la circoncision soit conduite par un spécialiste ». On a ici un juste équilibre : la pratique en cause relève bien du champ de protection de l’article 4 de la Loi fondamentale relatif à la liberté religieuse et doit être à cet égard protégée, mais elle doit être conciliée avec le respect d’un certain nombre de conditions qui sont : l’information adéquate des parents, leur accord explicite, le traitement suffisant de la douleur et la conduite de la circoncision par un spécialiste, afin d’en éviter les conséquences intempestives.

Vigilant sur le respect des garanties de la Loi fondamentale, le Comité d’éthique fait prévaloir le droit à la liberté de religion qui implique celui de pratiquer certains actes dans le respect de limites bien identifiées. C’est dans ce sens que devrait se prononcer prochainement le Parlement allemand par un projet de loi appelé de ses vœux par une résolution parlementaire, votée à une large majorité par le Bundestag, le 20 juillet dernier.



[1] La justice allemande avait été saisie du cas d'un médecin généraliste de Cologne qui avait circoncis un petit garçon de 4 ans à la demande de ses parents musulmans. Or, quelques jours après l'intervention, l'enfant avait dû être admis aux urgences en raison de saignements. Le parquet de la ville avait alors engagé des poursuites contre le médecin. Ce dernier avait été relaxé en première instance puis en appel, le tribunal arguant du fait qu'à l'époque des faits il n'était pas en mesure de déterminer s'il agissait illégalement.

En l’espèce, le tribunal a estimé que l’ablation volontaire du prépuce constituait des « coups et blessures » pouvant donner lieu à des poursuites pénales.

[2] G. Robbers, Rapport final d’Etat et Eglise dans l’Union européenne », Nomos Verlagsesellschaft, Baden-Baden, p 349 et s.

[3] A. von Campenhausen, Staatskirchenrecht, Munich, Verlag C.H. Beck, 1996, pp 393-400.

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