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L'Europe en crise : sommes-nous menacés d'une nouvelle Guerre de Trente ans ?
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Destin

L' Histoire enseigne que les crises économiques européennes se sont toujours accompagnées de crises militaires. Alors que depuis 2008 l'Europe patine dans un marasme financier, les acquis démocratiques de l'après deuxième guerre mondiale sont-ils menacés ? Et si la Suisse et sa richesse devenaient une proie ? Première partie d'une mini-série en 3 épisodes.

Bernard Wicht

Bernard Wicht

Bernard Wicht est privat-docent à l'Institut d’études politiques et internationales, au sein de l'Université de Lausanne.

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Voici une série de réflexions menées en 2010 par Bernard Wicht – Privat-docent à l’Université de Lausanne et spécialiste de questions stratégiques – autour du lien conjoncturel qui pourrait exister entre la méga-crise financière que traverse actuellement l’Union européenne et un hypothétique conflit en Europe, en l’occurrence comment un conflit serait-il susceptible d’apporter une contribution majeure à la résorption du marasme actuel ? 

Compte tenu du marasme financier dans l’Union européenne (UE) et de l’impressionnante dette publique des principaux Etats membres (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie), il semblerait qu’une des solutions pour reconstituer une base minimale de crédit permettant d’éviter la banqueroute généralisée et l’effondrement complet, consisterait en une confiscation complète de toute la fortune privée en Europe. Cette méthode avait été utilisée par Franklin D. Roosevelt en 1933 pour juguler la crise de 1929 aux USA : bénéficiant des appuis politico-militaires nécessaires, Roosevelt met les scellés (au sens propre) sur tous les coffres privés, précisément afin de reconstituer une base de crédit suffisante pour relancer la « machine » américaine.

Dans les conditions actuelles, cette technique « à la Roosevelt » pourrait être une possibilités pour permettre à l’UE, et à ses principaux Etats membres en particulier, de relancer la machine !

Pour la Suisse (principale détentrice de la fortune privée en Europe), un tel scénario (qui a déjà commencé avec les pressions sur le secret bancaire) pourrait déboucher sur une adhésion forcée à l’UE. Autrement dit, une mise sous tutelle « à la grecque ou à l’islandaise », non pas en raison de nos dettes, mais en raison de nos créances, de notre richesse financière. Au passage, ceci expliquerait mes réactions « épidermiques » aux récentes propositions de démembrement de la Suisse faites par feu Kadhafi.

Etant donné la « faiblesse » de nos élites politiques et militaires, une telle mise sous tutelle ne devrait pas rencontrer d’opposition de leur part ; l’achat des gouvernants par des titres, des honneurs et des privilèges est une méthode largement employée au cours de l’histoire (d’où notamment la formule, « l’Etat moderne a transformé le chevalier en courtisan », ou encore l’expression « noblesse de robe » qui vient précisément de là).

Maintenant, il faut se demander si les gestionnaires de cette fortune privée auront la même réaction que les élites politiques et militaires : les milieux économico-financiers de notre pays (qui configurent effectivement la politique suisse) auront-ils la même compréhension face aux « besoins » de l’UE ? … la même aisance à lâcher le fromage … !

En cas de réaction décidée de ce côté là, le scénario pourrait prendre alors une tournure moins civile, avec une mise sous tutelle se doublant d’une stratégie d’Etat failli (criminalisation de l’ordre juridique suisse, mise en accusation du pays au niveau international, provocations, mise en scène d’émeutes – le G8 a bien montré que nous n’étions pas très résilients face à ce type d’actions téléguidées).

A ce stade, de mon point de vue, une option militaire contre la Suisse devient vraisemblable : raid opératif, etc. Et c’est là qu’il faut se rappeler que la guerre de Trente Ans a démarré par ce type d’opérations (Guerre de Cologne, Défenestration de Prague, Révolte de Bohême), l’Empire cherchant à reprendre par la force le contrôle des zones en train de lui échapper. Et si cette guerre a duré 30 ans, c’est parce que les Etats n’avaient pas les moyens de la conduire et que, par conséquent, ce sont les entrepreneurs militaires (Wallenstein, Weimar, etc.) qui vont gérer cette guerre en fonction de leurs besoins et de ceux de leurs armées, la finance internationale de l’époque (l’or du Nouveau Monde) finançant le conflit. A mes yeux, tout ceci m’apparaît étrangement familier !

C’est la faculté de « résorption de la crise » offerte par le conflit qui constituerait le lien de cause à effet mentionné en introduction.

Si l’on reprend la division tripartite du temps historique proposée par Fernand Braudel (événementiel / conjoncturel / structurel), alors il faut considérer que crise économique et crise militaire sont en interaction non pas au niveau événementiel mais conjoncturel, c’est-à-dire à un niveau échappant généralement à notre observation immédiate. En effet, aussi bien l’actualité internationale que notre vie quotidienne se déroulent (du moins le pensons-nous) au gré de la chronologie des événements (campagne électorale, crise boursière, éruption volcanique, débat sur la burqa, etc.) : c’est cet environnement « habituel » qui conditionne nos observations, nos pronostics et, en définitive, notre jugement des choses. Or Braudel nous rappelle que les événements ne sont que poussière et ne prennent sens que lorsqu’on les replace dans les rythmes de la longue durée et les cycles de la conjoncture. Nous y voilà ! 

Le lien entre crise économique et crise militaire, s’il apparaît régulièrement dans l’histoire des Temps Modernes, ne fait cependant pas l’objet d’une théorie claire et précise. Il y a controverse : si on considère généralement que guerre et économie sont liées (surplus nécessaire à nourrir le conflit), il n’existe pas en revanche d’explications précises mettant en lumière la relation de cause à effet entre crise économique et militaire. Pourtant l’histoire des Temps Modernes semble dire que ce lien existe : la crise économique de la fin du XVIIIe s. (celle de la première révolution industrielle) trouve sa résolution dans les guerres napoléoniennes; la grande Dépression de la fin du XIXe s. trouve la sienne dans la Première Guerre mondiale; enfin la crise de 1929 débouche sur 1939. Les historiens marxistes en ont d’ailleurs fait leur dogme : pour eux toute évolution du capitalisme est porteuse de guerre. 

Certes comparaison n’est pas raison. Toutefois cet éclairage du passé récent tend à indiquer qu’au niveau conjoncturel (donc difficilement détectable à nos yeux), le lien entre crise économique et militaire s’explique notamment parce que la guerre permet de « liquider » les déséquilibres en tout genre provoqués par la crise économique, et redonner ainsi une nouvelle stabilité à l’économie-monde (pour reprendre la formule de Braudel). Dans cette perspective conjoncturelle, les événements ne joueraient pas de rôle déterminant ; ils seraient des révélateurs, ou au plus des déclencheurs. On peut donc avancer provisoirement qu’à l’échelle conjoncturelle, c’est la faculté de « résorption de la crise » offerte par le conflit qui constituerait le lien de cause à effet susmentionné. En l’état et faute de mieux, ceci nous servira d’hypothèse de travail.

Si l’on adapte maintenant cette grille d’analyse extrêmement rudimentaire à la situation actuelle de l’Union européenne (UE) et de la zone Euro, il faut donc se demander en priorité, non pas quel pourrait être l’événement déclencheur, mais bel et bien quel pourrait être en l’occurrence le lien conjoncturel entre la méga-crise financière actuelle et un hypothétique conflit en Europe ? Comment un conflit serait-il susceptible d’apporter une contribution majeure à la résorption du marasme actuel ? Car l’Europe n’est plus à l’âge industriel ; il ne suffit plus de relancer la production (pour couvrir les besoins militaires générés par le conflit) pour résorber la situation. La crise actuelle est avant tout financière et c’est la finance globale qui doit pouvoir trouver son exutoire. Quel est-il ? 

En Europe, la place financière qui donne le ton n’est pas tant Wall Street que la City de Londres en lien avec les paradis fiscaux des îles anglo-normandes et des îles Caïman. C’est d’ailleurs dans ces paradis fiscaux que l’on a déposé tous les produits financiers infectés (subprimes etc.) suite au sauvetage de plusieurs grandes banques européennes (dont UBS). On est donc en droit de conjecturer que c’est la place financière londonienne qui a besoin de se résorber du point de vue conjoncturel. 

A partir de là, comment un conflit peut-il contribuer à cette résorption ? Autrement dit, comment un conflit peut-il amorcer la pompe de la finance globale (basée à Londres) dans les conditions actuelles, à savoir non la relance de la production industrielle mais la réactivation des flux financiers ? A nouveau le modèle de la Guerre de Trente Ans offre une clef de lecture intéressante : le financement d’importants contingents de mercenaires. Délire d’historien… ?! Regardons la chose d’un peu plus près.

La place financière londonienne (je dis bien la place financière, et non le gouvernement) a une longue tradition d’emploi de sociétés militaires privées (SMP) pour « faciliter » ses opérations à travers le monde. C’est d’ailleurs une des raisons du succès des SMP anglaises dans la déstabilisation de l’ex-Zaïre face au fiasco des mercenaires engagés par le Quai d’Orsay. Aujourd’hui la plupart de ces SMP londoniennes sont en sommeil, attendant que l’on fasse appel à leurs services ; cette situation s’explique parce que ces SMP font généralement partie d’une ou plusieurs holdings rassemblant des sociétés commerciales actives dans divers secteurs apparemment sans lien les uns avec les autres : transport aérien, exploitation minière, placement financier, chaîne hôtelière, etc. Cette structuration en holding offre une flexibilité et une souplesse commerciale très intéressante : les services d’une SMP n’ont ainsi pas besoin d’être rémunérés en cash mais peuvent l’être sous forme de prestations accordées à une des autres sociétés membres du holding concerné. (p. ex. la Grèce pourtant à court de numéraire pourrait engager ainsi de nombreux contractors en proposant en paiement la mise à disposition des infrastructures touristiques de certaines de ses îles)

Pour revenir au lien crise économique-crise militaire, il suffit pour amorcer la pompe, dans notre cas de figure, qu’apparaisse une demande suffisante de contractors pour différentes tâches de sécurité, de rétablissement de l’ordre et de la paix au niveau européen. Souvenons-nous l’impressionnant « appel d’air » créé dans ce domaine par la guerre en Irak : près de 60’000 contractors engagés en l’espace de quelques mois générant des contrats pour plusieurs centaines de milliards de US $. Imaginons ce qu’un tel scénario pourrait produire non plus à l’échelle d’un seul pays mais d’un continent ! Il y là largement de quoi relancer la finance londonienne, et le vivier de contractors existe en particulier si l’on inclut les bassins de recrutement de la Russie, de l’Ukraine, de la Bielorussie et de la Serbie. 

(Lire la suite ici, en cliquant sur ce lien...)

Cet article a été publié préalablement sur le blog alupus.

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