Double peine : après l’agression, la solitude des victimes abandonnées à elles-mêmes<!-- --> | Atlantico.fr
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Judikael Hirel publie « Concorde rouge Dans la peau d'une victime d'agression » aux éditions Le Cherche Midi.
Judikael Hirel publie « Concorde rouge Dans la peau d'une victime d'agression » aux éditions Le Cherche Midi.
©MARTIN BUREAU / AFP

Bonnes feuilles

Judikael Hirel publie « Concorde rouge Dans la peau d'une victime d'agression » aux éditions Le Cherche Midi. Un soir de novembre, à la station de métro Concorde. Un homme agresse une femme. Judikael Hirel intervient pour la défendre. Quelques minutes plus tard, il affronte un déluge de coups, portés avec une violence et un acharnement inouïs. Aujourd'hui, son visage ne tient que grâce à une cinquantaine de plaques de titane fixées sous sa peau. Le journaliste Judikael Hirel livre un témoignage saisissant sur sa nouvelle vie : celle de victime. Extrait 2/2.

Judikael Hirel

Judikael Hirel

Judikael Hirel est journaliste. Spécialisé dans l’horlogerie, il a écrit pour Le Point et travaille aujourd’hui au sein de la rédaction du Figaro. Il a publié « Concorde rouge » aux éditions du Cherche Midi en 2023.

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« Il faut que tout change, pour que rien ne change », lit-on dans Le Guépard. Arrivée de Jean Castex à sa tête ou non, la RATP doit être de cet avis. Où était-elle, la Régie parisienne, quand cette jeune femme a été agressée devant moi dans un couloir du métro parisien? Nulle part. Où a-t‑elle été quand j’ai failli mourir dans l’un de ses couloirs? Nulle part. Et après notre agression à tous deux, après que l’un comme l’autre avons porté plainte? Aux abonnés absents, tout simplement. Silence radio total, néant absolu. Nada. Pas un mot, pas un appel. Pourtant, juste après être avoir repris conscience, deux agents de la RATP m’avaient demandé mon nom et mon numéro de téléphone. Je ne me souviens même plus, à vrai dire, si j’ai été capable de leur répondre à ce moment-là, mais je me rappelle avoir pensé que ce n’était vraiment pas le moment. Et, surtout des années plus tard, je me demande encore pourquoi ils me les ont demandées, ces informations. Où diable a-t‑il fini, ce rapport d’agression? Un parmi des centaines chaque jour, des milliers d’autres chaque mois. Dans quel tiroir poussiéreux que nul n’ouvrira jamais? Un de plus, un de moins quelle importance, au fond? La vie des uns n’est que la paperasse des autres. Dans quel sous-dossier informatique ont fini ces quelques lignes signalant qu’un homme de race blanche, la quarantaine, avait été agressé et assommé station Concorde par un autre homme, jeune, caucasien, non identifié et ayant pris la fuite?

« Tout événement constaté ou signalé sur le réseau fait l’objet d’une traçabilité dans les systèmes d’information de la RATP. Il est d’usage de demander les coordonnées des personnes victimes ou témoins d’agression », m’a-t‑on seulement répondu lorsque j’ai posé la question, sur un ton sobrement administratif. En tout cas, ce qui m’a frappé le plus, c’est le silence total de la RATP depuis ma mésaventure. Vous passez des années à prendre le métro tous les jours. Vous achetez des tickets par centaines, puis un abonnement mensuel par prélèvement automatique. Vous accédez à un espace payant, censé être réglementé, sécurisé, surveillé, au sein duquel on peut même vous mettre une amende pour avoir pris un couloir dans le mauvais sens. Mais si vous avez le malheur de vous faire agresser, personne ne vous contactera, jamais. Désolé. Vous n’existez soudain plus. On se croirait presque dans un Mission impossible avec Tom Cruise : si vous vous faites prendre, la Régie autonome des transports parisiens niera avoir eu connaissance de votre existence, et déclinera toute responsabilité. « Lorsqu’une personne est blessée sur le réseau, les agents préviennent les secours pour une prise en charge de la victime, m’ont récemment expliqué ses communicants. La RATP dispose également d’une cellule d’assistance aux victimes. Cette cellule apporte son soutien aux personnes victimes d’un événement traumatisant sur son réseau. » Si vous le dites… Étonnamment, je n’en avais jamais entendu parler jusque-là, et j’ai beau faire le test de temps en temps, à un guichet ou auprès d’un contrôleur, personne ne connaît cette cellule si secrète. Je ne sais toujours pas où et comment les contacter, ni combien ce service est censé compter d’agents… Mais, étant donné la vague d’agressions qui déferle sur les usagers des transports en commun franciliens, je ne doute pas que ce doit être une équipe conséquente au budget sanctuarisé. Non?

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Autre fait surréaliste : savez-vous que la Régie des transports parisiens ne conserve pas assez longtemps les images de ce qui se passe dans les couloirs dont elle a la responsabilité pour que quiconque puisse s’en servir? Cela aura d’ailleurs été la première des nombreuses mauvaises surprises de mon parcours victimaire. Il ne vient absolument pas à l’idée de la RATP de conserver à sa propre initiative les images d’une agression dans ses rames ou ses couloirs. Même quand ses agents l’ont constatée en personne. Pourquoi ne pas le faire ? Ce serait sans doute trop logique, trop évident, trop simple. Serait-ce une question d’obsolescence technologique, d’absence de PC centralisé ? À cause de caméras trop anciennes et trop limitées? Du fait d’une incapacité à stocker et préserver tant de données de façon sécurisée, étant donné le nombre d’agressions ayant lieu chaque année dans les transports en commun parisiens, haut lieu s’il en est de l’agressivité urbaine et de la violence gratuite ? Dans un premier temps, il m’a notamment été dit qu’on ne garde pas plus de deux ou trois jours les images d’une agression par souci de respect de la vie privée. Non pas celle des victimes, mais bien celle des agresseurs! Dormez en paix, citoyens, on veille sur vous… Se retrancher derrière la loi et la CNIL pour protéger encore moins ses propres usagers, avouez qu’il faut quand même être doté d’un sérieux culot pour imaginer que cela satisfasse les victimes. Le plus étonnant est sans doute qu’au fil des décennies, et malgré la succession de hauts fonctionnaires à la tête de la Régie des transports parisiens, nul ne s’est jamais soucié de changer cela. Quand on voit la déferlante de lois plus ou moins essentielles, et plus ou moins appliquées, votées chaque année à l’Assemblée nationale, on se demande pourquoi nos représentants ne peuvent pas prendre quelques minutes pour voter une disposition simple : que les images soient conservées d’office et mises à la disposition des victimes, de la police et de la justice quand une agression est constatée. Si je n’obtenais que cela dans ce qui me reste à vivre, alors je serais en paix et j’estimerais que ma propre agression aura été utile pour d’autres victimes. Mais peut-être faut-il justement avoir été victime d’une agression pour y penser? Ce qui ne risque pas d’être le cas de nos élus, puisqu’ils ne prennent pas les transports en commun. Moralité, en tout cas : mieux vaut ne pas être dans le coma, et encore moins mort sous les coups d’un inconnu dans un couloir de métro. Car si vous ne portez pas plainte assez vite, sous quarante-huit heures, jamais la police n’aura l’occasion de réquisitionner les images pour qu’elles soient, enfin, sauvegardées. Dommage, même si elles se révéleront inexploitables la plupart du temps, je le crains. Ce scandale digital, il aura fallu la quasi-invasion du Stade de France par des « Anglais », lors de la finale parisienne de Ligue des Champions, en mai 2022, pour que tout un chacun le découvre. Je n’ai pas l’impression, une fois l’émotion retombée, que quoi que ce soit ait changé par la suite. Mais le problème ne serait-il pas plus technique que juridique, en réalité ? En effet, tout récemment, les services de communication de la Régie parisienne ont fini par répondre à quelques questions, avec une retenue très politiquement correcte. « La RATP dispose de plus de 51000 caméras de vidéo protection dont 15 000 dans nos seuls espaces », m’a-t-on ainsi expliqué (par écrit). « L’accès et la conservation des images de vidéoprotection sont encadrés par la loi, selon le Code de la sécurité intérieure, qui prévoit une durée de conservation de trente jours maximum. Pour des raisons de capacité de stockage, nous ne pouvons aller au-delà de 72 heures. Le dispositif de vidéoprotection dans les gares et station enregistre donc les images en continu pendant 72 heures. En l’absence de réquisition judiciaire, elles sont écrasées automatiquement par les nouveaux enregistrements. La RATP est rompue à ces procédures puisque l’entreprise traite plus de 7 000 réquisitions par an. »

La RATP sait donc bien mettre et remettre en avant ses 51000 caméras de surveillance et les patrouilles de son millier d’agents de sécurité. Mais pas en stocker durablement les images. Dans les faits, c’est donc une remise à plat totale, tant technique qu’humaine, de la surveillance dans les transports en commun franciliens à laquelle il faudra réfléchir. À commencer par le fait de revoir la capacité de stockage des images, et la qualité d’enregistrement, à la hauteur du progrès technique : peut-on encore, à l’heure de Netflix, ne pas disposer d’assez d’espace pour conserver des images d’agression, et ne pas les avoir en haute résolution afin de faciliter une éventuelle identification? Effectifs, équipements vidéo, liaison en temps réel, archivage, service d’aide aux victimes… Le fiasco en sous-sol est total, au vu du bilan. Tout est soit à créer, soit à repenser afin que chacun travaille avec tous, en temps réel. Une des solutions, partielles, à l’angoisse des passagers, faute d’être en mesure de réduire le nombre de délinquants, pourrait être le déploiement d’une vidéosurveillance efficace. Je dis bien efficace, afin de véritablement dissuader les agresseurs éventuels. Dans le long couloir de la station Concorde où j’ai failli laisser ma vie, j’ai pu voir, et apprendre par la suite, à quel point les caméras installées n’étaient en fait que décoratives, incapables de saisir des images de qualité, sous un bon angle, afin d’identifier vite et bien un suspect. Le moindre smartphone aurait obtenu un meilleur résultat… Et encore, si tant est que certaines des caméras de surveillance ne soient pas factices, allez savoir… À Londres, ville où l’on se trouve sous vidéosurveillance à chaque pas que l’on fait, que ce soit dans le métro ou dans les rues, mon agresseur n’aurait sans doute pas fait cinq minutes dans un couloir, surtout ivre et avec une bouteille à la main. Là-bas, de telles images ont notamment aidé à localiser rapidement des auteurs d’attentats, en remontant le temps et leurs déplacements. Quoi de plus simple et efficace, au fond? Certes, on peut toujours en craindre un mauvais usage en termes de respect de la vie privée si cette omnisurveillance tombait en de mauvaises mains. Mais en démocratie, et en cas d’agression, de viol, voire d’attentat, de tels moyens de surveillance font gagner un temps précieux aux enquêteurs, contribuant ainsi à préserver la vie de futures victimes.

En quelques années d’usage intensif du métro parisien, j’ai bien sûr croisé par-ci par-là les agents de sécurité de la RATP. Et pas seulement à veiller sur des barrages de contrôleurs, le soir, dans les couloirs des lignes les plus fréquentées. Mais pas si souvent que cela, au fond, même si je n’emprunte peut-être pas au quotidien les lignes et les stations les plus dangereuses. Pour autant, il faut bien être sincère : ils ne brillent pas non plus par leur présence. Mais à qui la faute ? N’y aurait-il pas justement de nombreuses embauches à faire en la matière ? Sans aucun doute. Le GPSR, que l’on voit arborer l’inscription « Sûreté RATP » dans le dos de ses uniformes, est chargé de « protéger, assister et sécuriser tant les voyageurs que le personnel sur l’ensemble des réseaux bus, métro, RER et tramways gérés par l’entreprise ». Avec 1,48 milliard de voyages par an dans le métro, cela représente plus de 4 millions de voyages via le métro parisien chaque jour. Soit en moyenne près de 48  personnes prenant le métro chaque seconde à Paris et en Île-de-France. Seul hic  : pour assurer la sécurité de cette foule innombrable d’usagers, le GPSR de la RATP compte à peine un millier d’agents et une centaine d’équipes.

Extrait du livre de Judikael Hirel, « Concorde rouge Dans la peau d'une victime d'agression », aux éditions Le Cherche Midi

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