Démocratie sociale française : mais qu’est ce qui a foiré (et qui…) et comment sortir de l’ornière ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Réunion entre la Première ministre Elisabeth Borne et l'intersyndicale à Matignon.
Réunion entre la Première ministre Elisabeth Borne et l'intersyndicale à Matignon.
©BERTRAND GUAY / POOL / AFP

Réunion à Matignon

L’échec de la rencontre entre Elisabeth Borne et l’intersyndicale met en lumière un gâchis très français : la déliquescence du dialogue social et du paritarisme qui étaient pourtant au fondement de l’Etat providence conçu en 1945.

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Auteur du rapport de l'institut Montaigne : "Les Français au travail : aller au-delà des idées reçues" publié en 2023. 

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Atlantico : Comment expliquer l’échec du paritarisme et surtout à quel moment a-t-il arrêté de fonctionner ? 

Bertrand Martinot : Pour répondre à cette question, il faut bien séparer la question des retraites, qui polarise l’attention aujourd’hui, du dialogue social « classique » à ses différents niveaux : interprofessionnels, branches et entreprises. Sur le sujet des retraites, on sait depuis le début qu’il n’y aura pas d’accord ni entre les partenaires sociaux entre eux, ni entre le gouvernement et les syndicats. Pourquoi ? Tout simplement parce que les syndicats suivent leur base, qui, comme l’immense majorité des actifs, refuse catégoriquement cette réforme. Le dialogue est donc impossible, mais ce n’est pas pathologique, c’est tout à fait normal. Ce blocage ne témoigne donc pas d’un échec du paritarisme, c’est juste que la dialogue avec l’Etat était impossible dans ces conditions. Il y a eu une voie de passage en 2014 au moment de a loi Touraine avec la CFDT, qui était d’accord avec l’augmentation de la durée de cotisation. . Sauf que là le gouvernement est allé un cran plus loin et accéléré la réforme Touraine – qui fait les trois quarts du chemin-, tout en en remettant une couche avec le relèvement de l’âge minimum qui est un point de fixation pour les Français en général.

Le deuxième niveau concerne le paritarisme au sens propre, c'est-à-dire la capacité des organisations patronales et syndicales à se mettre d’accord et à gérer les caisses comme l’Unedic, la formation professionnelle et d’Agirc-Arrco, par exemple. De ce point de vue, le paritarisme était une spécificité française et les partenaires sociaux avaient un rôle éminent. La force du paritarisme était que l’État reprenait religieusement dans la loi les accords nationaux interprofessionnels. Sauf que l’Etat a de fait repris la main sur plusieurs sujets autrefois au cœur du paritarisme interprofessionnel. Il l’a complètement repris sur l’assurance chômage, régie à présent par décret. Sur la formation professionnelle, l’État laisse la main aux branches professionnelles mais a en partie étatisé le système via France compétence. Sur les retraites complémentaires, il délègue son pouvoir aux partenaires sociaux mais ces derniers sont bien obligés de s’aligner sur les réformes du régime de base décidées par l’Etat. Notons que sur la formation professionnelle et l’assurance chômage, si l’Etat a repris la main c’est parce que les partenaires sociaux ont été incapables, au niveau interprofessionnel de produire des réformes majeures répondant aux exigences d’un meilleur fonctionnement du marché du travail. Sur les réformes successives en matière de contrats de travail, l’État a aussi repris la main, de la rupture conventionnelle de Nicolas Sarkaozy aux ordonnances Macron-Pénicaud et la barémisation des indemnités pour licenciement illégal.

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En revanche, et on le voit moins car cet aspect est moins médiatisé, le paritarisme est bien présent dans les branches et les entreprises. Dans ces dernières, cela n’a jamais aussi bien marché et on a jamais autant négocié, y compris, et c’est nouveau, dans les PME et même TPE avec la montée en puissance du référendum d’entreprise. Dans les branches, le constat est plus inégal : certaines sont très prolifiques et créatives, d’autres beaucoup moins. Mais dans de nombreuses branches, le dialogue social est plutôt actif. 

L’économie n’est pas homogène, raison pour laquelle je crois plutôt aux accord locaux, logique portée par la loi El-Khomri et les ordonnances Macron-Pénicaud d’inversion de la hiérarchie des normes. La branche professionnelle reste le niveau de droit commun, notamment pour parler des sujets de pénibilité, de formation professionnelle, d’alternance, de prospective des métiers ou encore d’emploi des séniors, sujet qu’il faudrait traiter sérieusement, et ne pourra pas l’être au niveau national et interprofessionnel. Sur tous ces sujets, , les partenaires sociaux ont un rôle essentiel vrai rôle à jouer. 

Vous évoquez la question de la reprise en main par l’État. À quel moment a-t-elle eu lieu ? Y-a-t-il eu un point de bascule ? 

Cela remonte assez loin. Selon moi, on peut faire remonter cette prise en main à Martine Aubry et la mise en place des 35 heures. C’est la première fois qu’une réforme aussi importante sansa passer par le dialogue social. Lionel Jospin était parfaitement légitime à la mener et il a fait ce pourquoi les Français l’avaient élu, même si elle a eu des effets délétères. Cette décision a été imposée par l’Etat sans la moindre négociation entre partenaires sociaux. Par la suite, la plupart des lois importantes (sur le contrat de travail, les critères de représentativité des partenaires sociaux, l’assurance chômage et, plus récemment, l’apprentissage) se sont faites de cette manière, avec concertation entre l’Etat et les partenaires sociaux, bien sûr, mais sans accord national interprofessionnel en bonne et due forme Les 35 heures sont donc pour moi l’épisode fondateur du fait que l’État a la main sur toutes les questions fondamentales en rapport avec le code du travail. 

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Comment expliquer que les syndicats n’arrivent plus à conclure des accords interprofessionnels ? 

Les syndicats ont perdu une partie de leur pouvoir à partir des années 1990, quand le code du travail et les évolutions du marché du travail ont cessé d’aller toujours dans le sens de plus de protection (c’est le cas avec les contrats de travail, l’assurance chômage, la protection en cas de licenciement collectif …). À partir du début des années 2000 et, disons après les 35 heures, le mouvement général a consisté plutôt à aller, quels que soient les gouvernements, vers des des mesures de flexibilisation du marché du travail. Il n’est pas très étonnant que les syndicats aient eu plus de difficultés à trouver des terrains d’accord dans ce contexte. . 

La question de la représentativité des syndicats se pose-t-elle aussi ? 

Personne ne remet en cause la légitimité de certains partis à avoir des dizaines de milliers d’élus alors même qu’ils n’ont quasiment plus d’adhérents ! lUn syndicat est bien sûr d’autant plus fort qu’il a des adhérents, mais sa force est aussi basée sur une certaine posture, une certaine image, une doctrine, une histoire.. Ce qui compte, c’est qu’ils restent connectés avec le monde du travail, pas qu’ils aient des millions d’adhérents. De ce point de vue, la sur-représentation, dans certaines confédérations, de responsables syndicaux issus du secteur public me paraît plus problématique pour la représentativité et la bonne connection avec le monde du travail que la faiblesse du nombre d’adhérents en lui-même. 

Notre système créé en 1945 est-il toujours aussi adapté aux enjeux contemporains ? 

Le système créé en 1945 reposait sur une croissance économique de 5% par an, une croissance démographique inédite et l’assurance que chaque  génération future aurait des salaires et une protection sociale plus élevés que la pré édente. Tel était le socle du compromis de 1945. Nous sommes désormais dans un univers opposé, avec une faible croissance, une productivité en berne, une démographie faible … Tout a changé. On peut expliquer l’évolution des relations sociales et des tensions sur le fait qu’il n’y a plus de gains de productivité : quand les gains de productivité annuels sont de 0,5 % par an (ce que l’on constate depuis le début des annés 2000 en moyenne), il y a peu d’espace pour négocier une baisse de la durée du travail, des hausses de rémunérations et un supplément de protection sociale. Il ne reste donc plus beaucoup de grain à moudre pour négocier. Il est donc beaucoup plus difficile de parvenir à des accords, que ce soit entre les partenaires sociaux entre eux ou entre l’Etat et les partenaires sociaux. 

Dans quelle mesure y-a-t-il une pente naturelle de l’État à vouloir tout contrôler et s’approprier ? 

Sans corps intermédiaires puissants comme contre-pouvoirs, la pente naturelle de l’État en France consiste à s’approprier un maximum de choses. C’est une tendance lourde dans notre Histoire, qui était déjà parfaitement analysée par l’immense Alexis de Tocqueville. De ce point de vue, la droite et la gauche ont génétiquement le même programme et cherchent à s’étendre à tous les sujets possibles. Le seul moment où l'État recule en France, c’est quand il rencontre une résistance populaire ou des corps intermédiaires. Regardez lorsque Mitterrand a retiré sa loi en 1984 sur l’école privée. Il y a eu des millions de personnes dans la rue, qui ne souhaitaient pas étatiser un système privé. Malheureusement, et même si la société française n’est pas amorphe, elle a parfois du mal à résister aux sirènes de l’interventionnisme public tous azimuts car nous sommes collectivement  drogués à la dépense publique.

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