Crise financière en vue ? La responsable de la supervision des banques européennes alerte sur de nombreux risques<!-- --> | Atlantico.fr
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Plusieurs risques ont été ciblés : augmentation de l'insolvabilité, risques géopolitiques accrus, bouleversement pour industries à fortes intensités énergétiques.
Plusieurs risques ont été ciblés : augmentation de l'insolvabilité, risques géopolitiques accrus, bouleversement pour industries à fortes intensités énergétiques.
©Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

Alerte

La Banque centrale européenne a établi une série de risques sur l'économie.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : La Banque centrale européenne a établi une série de risques sur l'économie : augmentation de l'insolvabilité, risques géopolitiques accrus, bouleversement pour industries à fortes intensités énergétiques. Quelle est la réalité de ces risques ?

Don Diego De La Vega : La BCE est une institution assez extraordinaire parce que c'est une institution qui a beaucoup de pouvoir, qui a un très haut niveau d'indépendance malgré son grand pouvoir. C'est déjà une contradiction. Et c'est une institution... Alors là, pour le coup, elle n'est pas extraordinaire. Elle est comme toutes les autres institutions, c'est-à-dire que si il y a quelque chose de mal qui arrive, c'est jamais de sa faute. Et s'il y a quelque chose de bien qui arrive, c'est toujours en lien avec son action. Donc, il y a un certain nombre de risques pour l'économie européenne. C'est même plus que des risques. Ce sont des choses qui se sont déjà matérialisées, notamment l'absence totale de croissance depuis maintenant 16 ans, l'absence de gains de productivité depuis 6 ans, etc. Ce sont des choses qui se sont déjà matérialisées. Et évidemment, la BCE s'empresse de dire que ce n'est pas du tout de notre faute. Ce sont des facteurs structurels. Ce sont des choses qui ne dépendent absolument pas de notre politique monétaire, bien entendu. Et il y a des risques qu'on arrive à documenter, des choses qui commencent un peu à émerger, des difficultés, etc. On n'en manque pas. Mais ce n'est jamais lié à la BCE et à son action. Par exemple, on a une inversion de la courbe des taux, une inversion de la pente de la courbe des taux d'intérêt, un phénomène majeur depuis bientôt 2 ans. C'est quelque chose de très puissant, de très significatif, d'assez rare, de très embêtant, notamment pour la santé des banques. Mais ça dit aussi quelque chose de la santé de l'économie, etc. C'est très lié au fait que la BCE a mis ses taux d'intérêt beaucoup trop hauts et le marché n'a pas suivi. Donc il y a un bras de fer entre les marchés financiers et la BCE. Et bien la BCE nous dit, non mais ça, c'est pas du tout un problème. Donc elle va identifier un certain nombre de risques qui ne sont pas du tout liés à elle. Des histoires de chaînes de valeurs en Asie, des histoires de gaz russe, des histoires de développement, du réchauffement climatique, enfin tout un ensemble de facteurs non monétaires. Et les risques les plus documentés, les plus avérés, les plus évidents et qui dépendent directement de sa politique, ils ne sont même pas dans la liste. Ça c'est typique d'une institution qui fait ce qu'elle veut, qui n'est pas assez régulée, qui n'est pas assez en concurrence, qui n'est pas assez monitorée ou challengée. Parce que quand vous sortez des énormités pareilles, normalement ça doit titiller. Un acteur de marché, il sait que depuis 18 mois, le gros risque de l'économie européenne, c'est un risque de taux d'intérêt. C'est un risque de taux d'intérêt trop élevé. Qui pose problème pour les défauts des entreprises, pour le remboursement potentiel des entreprises, etc. Et ça c'est quand même un peu lié à l'action de la BCE. 

Le banquier central met en garde contre des temps difficile. Somme-nous à l'aube d'une crise financière ? Quel est le principal risque qui peut nous y faire plonger ? 

Difficile à dire. Et la personne qui vous donnerait une raison, une date et un chiffre, ce serait probablement quelqu'un qui se moquerait du monde, parce que si on a une date et un chiffre, dans ce cas-là, on peut shorter un certain nombre d'établissements bancaires et faire des fortunes. Or, il y a très peu de gens qui arrivent à faire fortune en shortant des organismes bancaires. Donc, personne ne sait si la crise financière, c'est dans 3 mois ou 3 ans. La seule chose qu'on sait, c'est qu'il y aura une crise. On ne peut pas savoir par où elle va arriver et comment et surtout quand. Mais il peut et même il doit y avoir régulièrement des crises. Pourquoi ? Parce que le secteur financier, par définition, il a un levier 10. C'est-à-dire que les fonds propres sont très petits par rapport aux engagements. Donc, quand vous avez un levier 10, ça veut dire que les bonnes années sont des très bonnes années et les mauvaises années peuvent éventuellement être des très très mauvaises années. C'est-à-dire que vous avez des phénomènes de spirale. Ce sont des secteurs qui sont levierisés. Ce sont donc des secteurs qui sont moutonniers. Donc, ce sont des secteurs qui quelque part sont cycliques. Ce sont des secteurs où il n'y a pas assez de réserves. Il n'y a pas assez de capital. Il n'y a pas assez de fonds propres. C'est certain.

Le secteur est très systémique. Une banque universelle, elle a deux tiers de ses revenus qui viennent du seigneuriage. C'est-à-dire qu'ils viennent de sa transformation. Et quand vous avez une pente de la courbe des taux qui est inversée, clairement, le message, c'est que la crise financière peut arriver n'importe quand. Effectivement, en ce moment, avec une pente de la courbe des taux inversée, des établissements bancaires peuvent faire faillite. Mais lesquels ? On ne sait pas bien parce qu'il n'y a pas beaucoup de transparence dans ce secteur. Est-ce que ça peut arriver par les dérivés ? Est-ce que ça peut arriver par des choses qu'on n'a pas bien vues, qu'on n'a pas bien calculées ? Et on ne sait pas quand, on ne sait pas par où ça va arriver. On sait que ça va arriver parce qu'on a deux siècles d'exemples de crise financière qui reviennent régulièrement. Et fondamentalement, on sait que ça revient régulièrement parce que c'est le propre de ce secteur que de fonctionner avec un levier 10. Et quand vous avez un levier 10, quand vous êtes dans un système de réserve fractionnaire, quand vous n'avez pas des fonds propres suffisants pour couvrir, vous avez forcément de temps en temps des banqueronnes. Vous avez forcément de temps en temps des petits acteurs qui sont en banqueroute et ça provoque des banqueroutes en série parce que tout secteur est complètement lié. Les gens d'une banque sont contrepartis d'une autre banque qui elle-même est contrepartie d'une autre banque, nécessairement. Le secteur étant ce qu'il est, il y aura forcément toujours des crises. Ça, on le sait. Et c'est pour ça qu'on a une obligation de supervision de ce secteur. Et malheureusement, cette supervision, au lieu de la confier à des gens sérieux, on a décidé de la confier aux banquiers centrales qui se retrouvent, du coup, jugés partis. C'est pas de bol. La Banque centrale nous a dit « je prends la responsabilité de la supervision mais ne vous inquiétez pas, il y a une muraille de Chine entre le saint des saints, ma politique monétaire et les histoires de supervision qui sont traitées à part par des équipes à part. Et évidemment, on sait bien que cette muraille de Chine est constellée de trous. On s'en doutait et c'est confirmé régulièrement. On sait qu'il y aura des problèmes et la question c'est est-ce que les autorités réagiront assez vite ? Est-ce qu'elles réagiront assez bien ? Est-ce qu'elles y réagiront pas en surréagissant parfois, parce que des fois, elles font des chèques au secteur privé en socialisant des pertes et en privatisant les gains ? On ne sait pas. C'est au cas par cas. Mais la crise bancaire, notamment en zone euro, reviendra. Le seul moyen de l'éviter, c'est de tuer dans l'œuf l'effet de levier du secteur. Et ça, c'est pas ce qu'on a choisi de faire puisque fondamentalement, depuis fort longtemps, on a choisi un autre modèle. Un modèle de réserve fractionnaire où il y a cette fragilité intrinsèque du secteur.

Quels effets néfastes l'augmentation des taux d'intérêt par la BCE peut avoir ? 

Il y a une partie qui est voulue. Pour monter les taux d'intérêt, c'est que vous voulez ralentir l'économie de façon à ce qu'on ait un mouvement de désinflation, un mouvement de stop d'inflation. Il y a une partie, qui est peut-être légitime. Peut-être qu'à un moment, on a cru que l'inflation ne redescendrait pas si on ne montait pas les taux d'intérêt. Peut-être qu'à un moment, on a pensé, quand on était à 0,96 sur l'euro dollar, qu'il fallait mettre un prix fou, ne serait-ce que pour l'orgueil, etc. Mais il y a une partie, c'est véritablement, alors ce n'est même pas de l'orgueil, il y a une partie, c'est littéralement hors-sujet. Penser qu'on est passé de 9% d'inflation à 3% uniquement parce qu'on a monté les taux d'intérêt, ça c'est vraiment de la pensée magique. Et donc ça, c'est beaucoup plus critiquable. Et sur cette partie-là, je me focalise parce qu'elle me paraît très majoritaire. La BCE elle-même, dans un occasional paper, nous a dit récemment que ce qui avait provoqué le choc inflationniste, c'était plutôt des facteurs d'offres que des facteurs de demandes. Des facteurs exogènes et temporaires plus que des facteurs liés à la politique monétaire et qui pourraient guérir par une politique monétaire plus restrictive. Et donc ça, c'est un vrai vrai problème. Quand en plus on le fait, ce durcissement monétaire, de façon aussi précipitée et sans l'accord des marchés, puisque l'inversion de la pente de la courbe des taux nous indique que c'est pas la pensée des marchés, c'est clairement un gros problème. Quand en plus de ça, au même moment, on avait déjà tous les ingrédients pour que le crédit stoppe et que l'immobilier rentre en crise, on a une conjonction, c'est le premier facteur, qui interroge. Et c'est pas le principal risque aujourd'hui pour l'Union Européenne, évidemment, parce que c'est une charge d'intérêt considérable, notamment pour l'Italie, mais pas seulement pour l'Italie. Et puis il y a d'autres canaux. C'est-à-dire que par exemple, quand vous mettez des taux d'intérêt trop hauts par rapport à l'économie, en gros on a quasiment pas de croissance économique en Europe depuis avril-mai 2022, or les taux d'intérêt sont passés entre-temps de moins de 0 à 3% ou 4%. Quand vous êtes dans ce schéma-là, si vous allez vraiment trop loin dans les taux d'intérêt, ça induit que votre monnaie va être trop chère. Et le mix entre des taux d'intérêt trop élevés et une monnaie trop chère, un taux de change de l'euro trop fort, ça crée un énorme surplomb monétaire. Ça crée une énorme pression baissière. Ça crée une énorme pression de contraction. Et donc là, actuellement, toutes les entreprises commencent à se demander est-ce qu'on ne va pas devoir travailler sur la masse salariale dans les années à venir ? Comment va-t-on faire pour down-sizer ? Et c'est un mouvement qui de toute façon était enclenché, pour d'autres raisons, notamment en Allemagne. Mais c'est vrai que là maintenant, on a un encouragement à la japonisation qui est fabuleux. Et ça, c'est même plus qu'un gros risque. C'est une énorme épaisse demande. Tout ça pour accélérer peut-être de quelques semaines un résultat de baisse du CPI officiel, d'inflation officielle, qui de toute façon ne dépendait pas véritablement de facteurs à la main de l'investissement. C'est une victoire à la pyrrhus qu'on est en train d'obtenir sur l'inflation. Et à côté de ça, on est en train de rentrer dans une nouvelle décennie perdue pour la croissance. 

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