Covid-19 : quand les réactions des dirigeants face au virus, jugées incohérentes, amplifient la méfiance du peuple envers eux<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Olivier Véran lors d'une visite au coeur d'un hôpital parisien au début de la crise sanitaire.
Emmanuel Macron et Olivier Véran lors d'une visite au coeur d'un hôpital parisien au début de la crise sanitaire.
©Ludovic Marin / AFP / POOL

Bonnes feuilles

Céline Pina publie « Ces biens essentiels » aux éditions Bouquins. La crise sanitaire a révélé ce que nous refusions de voir : la fragilité de nos sociétés, de nos institutions et de nos idéaux. Céline Pina pourfend dans cet ouvrage l'idée réductrice des « biens essentiels » imposée par l'Etat face à la crise sanitaire. Elle montre en quoi l'accès à la culture pendant les périodes de crises reste un enjeu vital. Extrait 1/2.

Céline Pina

Céline Pina

Née en 1970, diplômée de sciences politiques, Céline Pina a été adjointe au maire de Jouy-le-Moutier dans le Val d'Oise jusqu'en 2012 et conseillère régionale Ile-de France jusqu'en décembre 2015, suppléante du député de la Xème circonscription du Val d'Oise.

Elle s'intéresse particulièrement aux questions touchant à la laïcité, à l'égalité, au droit des femmes, à la santé et aux finances sociales et a des affinités particulières pour le travail d'Hannah Arendt.

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Le virus, l’incertitude dans laquelle il nous plonge, les peurs ataviques qu’il réveille constitue une véritable épreuve pour un pouvoir en pleine crise de légitimité. Les contraintes que génère la situation sanitaire sont lourdes. Ce qui peut faciliter leur acceptation est le sentiment qu’elles sont adaptées et réfléchies. Si la réponse gouvernementale apparaît cohérente, alors les efforts seront soutenus, même si le résultat espéré n’est pas au rendez-vous. Le fait de comprendre la stratégie aide au respect des consignes. Le fait qu’un gouvernement fasse le choix de réserver les masques aux soignants en temps de pénurie peut être parfaitement compris quand la nécessité en est clairement affirmée. En revanche avoir tenté d’échapper à ses responsabilités en laissant entendre que les Français seraient incapables de porter correctement le masque réunit dans la même phrase, et cela tient du prodige, un mensonge éhonté, un mépris social affirmé et un message inaudible.

Le problème est qu’une telle erreur de communication ne peut pas être mise sur le compte de la panique face à l’accélération des contaminations. Elle est simplement révélatrice de l’adulescence de ce pouvoir, de son immaturité. Elle correspond aux erreurs accumulées lors de la crise des Gilets jaunes où le mépris de classe d’une partie des membres du gouvernement et des dirigeants d’En Marche n’a pas été pour rien dans l’explosion sociale. À l’époque, c’est Benjamin Griveaux qui avait mis le feu aux poudres en évoquant une France qui «fume des clopes et roule au diesel», indigne du XXIe siècle. Cette déclaration s’inscrivait dans la ligne de celle du président de la République. Celui-ci n’avait lui-même pu s’empêcher d’exprimer la mauvaise opinion qu’il avait des Français, traités de fainéants, de Gaulois réfractaires, jusqu’à distinguer lors d’une prise de parole mémorable « les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien». La communication désastreuse sur les masques et quelques perles de la porte-parole du gouvernement d’alors n’ont fait qu’enfoncer le clou. Ainsi on a pu entendre Sibeth N’Diaye expliquer lors du premier confinement : «Nous n’entendons pas demander à un enseignant qui aujourd’hui ne travaille pas parce que l’école est fermée, de traverser toute la France pour aller cueillir des gariguettes.» Le problème est que les enseignants étaient alors chargés d’organiser la continuité pédagogique et de mettre en place des cours à distance. Dire qu’ils ne travaillaient pas était faux et inutilement blessant.

On a pourtant senti, lors du deuxième confinement, la volonté d’Emmanuel Macron de lutter contre ce travers. La posture n’était pas naturelle et frôlait parfois l’obséquiosité, mais s’imposer cette discipline était une nécessité. Hélas, il est difficile de tenir ses bonnes résolutions et de ne pas céder sous la pression quand on adopte certains comportements non par adhésion mais par opportunisme. Le coup de colère du président à Saclay, le 21 janvier 2021, a démontré que le chef d’État avait du mal à faire passer les impératifs de sa fonction avant son ressentiment personnel. Il a ruiné une intervention pourtant très importante sur les dispositifs en faveur des étudiants isolés et démunis, en étant incapable de se retenir de verbaliser son dédain pour nos concitoyens, assimilés à « une nation de soixante-six millions de procureurs». Et cela seulement parce que ses propres compatriotes constatent, chiffres et moqueries internationales à l’appui, l’incohérence de ses choix dans la gestion de l’épidémie et surtout dans la stratégie vaccinale du pouvoir.

Ainsi, après avoir expliqué à tous les citoyens que la vaccination était notre plus bel espoir et notre porte de sortie de la crise, voilà que la France s’avère le pays le plus lent à vacciner. Au 27 décembre 2020, alors que les États-Unis avaient vacciné un million de personnes, Israël 650000, le Royaume-Uni, 600000, que l’Allemagne approchait les 18000, en France, nous n’avions encore vacciné que Mauricette. Et quelques 70 autres personnes. Le décalage des chiffres était si important qu’il en devenait grotesque. En cause, des processus délirants et inadaptés, dont un guide de vaccination de quarante-cinq pages à destination des EHPAD et une méthode de recueillement des consentements, alliant complexité et inefficacité. Un choix stratégique exécrable qui s’est immédiatement traduit par un démarrage plus que laborieux de la campagne de vaccination avant même que ne se pose le problème de la disponibilité des doses. Face aux demandes d’explication, le ministre de la Santé a fait ce que ce gouvernement fait toujours et qui ne cesse de l’affaiblir : user à la fois du déni et du mépris.

Le déni, c’est ce «j’assume », le premier réflexe du gouvernement même quand il devrait savoir faire profil bas. Ceci rappelle la réaction de l’ami ivre mort à qui on confisque les clés pour lui éviter de prendre sa voiture et qui chancelant et à moitié debout réussit à éructer le même «j’assume ». Le mépris, c’est d’essayer de faire passer la vessie de l’erreur pour la lanterne de la précaution. C’est Olivier Véran qui s’est vu obligé de dire, suite aux interpellations de l’opposition, qu’il ne fallait pas confondre « vitesse et précipitation». Faute d’une quelconque vitesse, nous n’étions guère menacés par la précipitation. Le coup de colère de Macron, mis en scène par les médias, recadrant son ministre était à ce titre nécessaire tant la défense d’une stratégie aussi incompréhensible que peu intuitive aurait été coûteuse politiquement. Une fois de plus, là où l’on attendait de la réactivité, on a eu la preuve flagrante de la lourdeur bureaucratique, là où l’engagement et l’audace pouvaient changer la donne, on n’a eu que frilosité et ouverture de parapluie. Or l’évolution du rapport des Français à la vaccination montre bien qu’une fois la décision prise, on doit s’y engager sans réserve. Le désir d’éliminer la menace du Covid, en l’absence d’effets secondaires importants alors que des millions de personnes sont vaccinées à travers le monde, et la volonté de se protéger et de protéger les autres ont fait basculer la majorité des Français en faveur de la vaccination, pas la distribution d’un guide de quarante-cinq pages.

Le sentiment d’une confusion dans la réponse du gouvernement, comme son incapacité à rendre des comptes, même quand la réalité et les chiffres témoignent d’erreurs manifestes, alimente la défiance des Français. Lesquels perçoivent bien que, loin d’apprendre de ses fautes, le pouvoir cherche avant tout à se protéger. Prendre toutes les décisions en Conseil de défense en est le signe manifeste. En effet, le fait d’imposer le secret défense sur les échanges et la façon dont les décisions sont prises, donne l’impression que le gouvernement fait davantage ce choix pour gérer son risque pénal que pour favoriser efficacité et réactivité face à l’épidémie. Quand Emmanuel Macron désigne les Français comme « soixante-six millions de procureurs », il trahit sa difficulté à considérer ceux qui l’ont élu comme aptes à réfléchir, alors même que la démocratie repose sur la capacité de jugement du citoyen. Il prouve aussi sa tendance à mettre en cause les responsabilités des autres pour ne pas reconnaître la sienne. Les « soixante-six millions de procureurs» sont ainsi rendus responsables de la mauvaise réponse du pays à l’agression du Covid. Loin de se regrouper par simple réflexe de survie derrière leurs représentants et surtout le premier d’entre eux, voilà que ceux-ci sont susceptibles de porter un regard critique sur l’action de leurs dirigeants, lesquels le ressentent comme une marque d’hostilité.

Il faut dire que si la société s’est «ensauvagée», le monde politique n’a pas échappé, lui non plus à cette dérive. Au point, comme le relevait Matthias Fekl, ancien ministre de l’Intérieur, dans le numéro du Un daté du 2 septembre 2020, que « se faire élire, aujourd’hui, est trop souvent la voie la plus directe et la plus sûre vers la détestation.» En filigrane, la question posée par l’ancien ministre est simple :

«Peut-on encore gouverner ? » Il est vrai que les témoignages s’accumulent sur la difficulté d’être élu. Nous avons connu, lors de la crise des Gilets jaunes, une tentative de prise d’assaut du ministère de Benjamin Griveaux, porte-parole à l’époque. De la même façon que les États-Unis ont vu le Capitole envahi par la foule le jour de la certification des résultats de l’élection présidentielle. On ne peut que constater la détérioration des relations entre élus et citoyens, mais déplorer aussi que les élus ne s’interrogent pas davantage sur leur part de responsabilité dans ces mouvements. Pourtant une piste pourrait les inspirer, le premier d’entre nous a d’ailleurs eu cette intuition dans un de ses discours à la nation, mais la citation, hélas, n’était là que pour se rattacher artificiellement à un esprit que l’on aime à invoquer mais que l’on répugne à faire vivre.

Souvenez-vous, nous étions le 13 avril 2020, et Emmanuel Macron, qui devait annoncer la prolongation du confinement, a terminé son allocution en promettant : «Nous aurons des jours meilleurs, nous retrouverons les jours heureux.» La référence aux « jours heureux» était loin d’être neutre, elle renvoyait au titre originel du programme du Conseil national de la Résistance. Or celui-ci portait l’idée d’une économie appuyée sur un service public fort et une volonté de renaissance nationale d’autant plus grande qu’elle émanait d’un pays occupé et privé de souveraineté. Il y avait derrière ce programme une réaffirmation de l’idéal de nation et le désir de traduire en action concrète un pacte de refondation du pays qui est exactement contraire à la culture politique d’Emmanuel Macron. Ou plutôt de sa pénurie dans ce domaine. Le problème est que si le manager de la start-up France a pour responsabilité de s’occuper des fournitures, des fluides et des locaux ; le président de la nation France, lui, a le devoir de mobiliser les citoyens, de leur proposer un horizon, un projet et un chemin de sortie de crise. Pour cela encore faut-il qu’il en ait la conviction, les capacités et qu’il sache trouver les mots. Hélas, les mots du pouvoir sont rarement adaptés à la situation et provoquent souvent plus de dégâts que de bien. Prenons le cas de la question des «biens essentiels». Ce terme bien mal choisi est révélateur d’un pouvoir qui ne distingue pas instinct de survie et patrimoine humain, pour finir par se crisper dans un autoritarisme contreproductif parce que son raisonnement est incompris et incompréhensible.

Extrait du livre de Céline Pina, « Ces biens essentiels », publié aux éditions Bouquins.

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