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Coronavirus : l’anxiété modifie les comportements politiques
©Mathieu CUGNOT / POOL / AFP

Impact dans les urnes ?

Voilà ce que nous dit la recherche (et ce qu’on peut en déduire pour les mois à venir).

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. 

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Roland Cayrol

Roland Cayrol

Roland Cayrol est directeur de recherche associé au CEVIPOF. il est membre du Conseil de surveillance de l'institut de sondage CSA. 

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Atlantico.fr : Quel est l'impact de l'anxiété sur les prises de décisions politiques en France à l'heure du Covid 19 ?

Roland Cayrol : L'anxiété est à l'évidence au cœur du drame du coronavirus. Les Français craignent pour eux-mêmes, pour leurs aînés et pour leurs enfants. On sent leur angoisse quand, tout en même temps, ils en ont assez du confinement, mais aussi ils redoutent la sortie du confinement. Ils aimeraient bien que les écoles puissent fonctionner à nouveau, mais le plus souvent ils hésitent à y renvoyer leurs enfants. Ils souhaitent une reprise du travail et des transports en commun, mais ils appréhendent les risques que cela va représenter pour eux. Cette crainte diffuse d'un virus inconnu est liée au fait que nous vivons dans des sociétés qui acceptent de moins en moins l'idée de la maladie, de la mort. La grippe de Hong Kong a fait 31.000 morts en France en 1969, et pour la plupart des morts jeunes. Quels médias en parlaient-ils quotidiennement à l'époque ? Aucun ! Aujourd'hui, en revanche, nous vivons un état d'anxiété généralisée, qui se nourrit en permanence des paroles d'experts, de l'information continue, d'Internet, des réseaux sociaux. 

Dans ces conditions, le rôle du pouvoir est d'abord conçu par les citoyens comme devant être "protecteur" – ce n'est pas un hasard si ce mot est devenu l'alpha et l'omega des décideurs politiques. Ils ont compris cette demande citoyenne massive.

Les dirigeants politiques, eux, n'ont pas le droit de céder personnellement à l'anxiété, ils doivent donner le sentiment qu'ils maîtrisent la situation, alors même qu'ils sont dans le pur pragmatisme, face à une situation jamais connue. Le rôle du Président est de fixer le cap, de décider des dates et des actions. Chaque fois qu'il a parlé, sa courbe de popularité s'est redressée. Mais la crise sanitaire continue, et on voit les erreurs, les ratés, les incohérences apparentes du pouvoir. Cela renforce l'anxiété, c'est terrible pour la confiance dans les dirigeants

Luc Rouban : L’anxiété générée par la crise sanitaire est double. Il y a celle des gouvernants qui voient les routines décisionnelles voler en éclats alors que la pression médiatique se fait forte pour obtenir des réponses rapides et concrètes à des enjeux de santé publique. Il leur faut alors reconstruire en urgence un mécanisme de décision concentré autour du pouvoir exécutif à la fois dans l’espoir de mieux coordonner les bureaucraties mais aussi dans celui de ne parler que d’une seule voix, qui est en France celle du président de la République. Ce dernier s’est revêtu très vite d’une image de chef de guerre laissant à Édouard Philippe la tâche redoutable de résoudre les problèmes quotidiens générés par une administration en miettes dont chaque structure cherche à protéger ses prérogatives, son domaine de compétence et son rang social. Le problème, en France, et que l’on ne retrouve pas en Allemagne ou au Royaume-Uni, tient à la faiblesse du Parlement verrouillé par la majorité présidentielle où seuls peuvent être entendus des discours de protestation de l’opposition qui n’ont eu aucune portée jusqu’à présent. C’est ce que l’on a encore vu lors du discours du Premier ministre du 28 avril sur la politique de déconfinement. L’anxiété appelle la concentration du pouvoir, qui est déjà forte, et accroît en France la crise démocratique. L’anxiété des citoyens, quant à elle, se nourrit des déclarations parfaitement contradictoires sur la politique sanitaire. L’exemple du port du masque en offre un exemple flagrant : un jour il est inutile voire contre-productif, un autre il devient indispensable. Les errements de la communication mais aussi l’incohérence des politiques gouvernementales génèrent une anxiété (c’est-à-dire une peur sans objet précis qui en permette le contrôle) qui a pour conséquence une perte de confiance dans les institutions : à qui se vouer ? La dernière vague du Baromètre de la confiance du Cevipof, menée en avril au cœur de la crise sanitaire, montre que le niveau de confiance dans les sources d'information sur la situation sanitaire passe de 91% lorsqu’il s’agit des médecins à 68% lorsqu’il s’agit des experts scientifiques puis à 42% lorsqu’il s’agit du seul gouvernement. Par comparaison, la confiance placée dans les informations fournies par le gouvernement est de 67% en Allemagne et de 71% au Royaume-Uni. Evidemment, le réflexe de protection est également là qui profite à l’exécutif. Mais en France Emmanuel Macron a bien moins capitalisé la confiance dans ce contexte que Boris Johnson ou Angela Merkel. Il passe, entre février et avril 2020, de 33% à 37% de confiance alors que le second passe de 44% à 68% et la troisième de 47% à 58%. L’anxiété, du moins en France, a plus nourri le doute sur les institutions alors qu’elle en conforte la légitimité en Allemagne et au Royaume-Uni.

Les réactions face à cette pandémie sont-elles comparables à celles suscitées par les événements terroristes qui ont touché la France en 2015 ? Peut-on y trouver des indices sur les décisions politiques à venir ? 

Roland Cayrol : C'est très différent. Dans les deux cas, il y a bien sûr de l'anxiété. Celle née de la conscience d'une menace extérieure, qui pourrait toucher personnellement chacun d'entre nous. Mais je comparerais notre situation d'opinion à celle décrite par des sociologues américains : dans le cas du terrorisme, les réactions ne dépendent guère des choix partisans. Qu'on soit de gauche, de droite ou d'ailleurs, on réagit avec les mêmes craintes et les mêmes espoirs face au danger. Avec cette seule différence chez nous que les supporters de l'extrême-droite en 2015 voyaient beaucoup plus comme une "solution" au terrorisme, la fermeture des frontières aux immigrés.

Face à la gestion de la crise sanitaire par le pouvoir politique, en revanche, en France comme aux Etats-Unis, la confiance envers les dirigeants est très liée aux choix partisans antérieurs des citoyens. Ceux qui appréciaient déjà Macron (ou Trump) sont nettement plus positifs lorsqu'ils évaluent leur gestion de la crise, alors que les partisans des oppositions sont nettement plus critiques.

Et l'on continue à croire nettement plus à son parti préféré, quel qu'il soit, pour faire des propositions pour "l'après-crise". Ce qui d'ailleurs peut faire douter quant à cette idée qu'en politique, rien demain ne serait plus jamais comme avant le coronavirus !

La politisation de l'anxiété est beaucoup plus forte avec le coronavirus qu'elle ne l'a été pour le terrorisme.

Luc Rouban : Les réactions face à la pandémie ne sont pas du même ordre que celles provoquées par les attaques terroristes de 2015. Ces dernières avaient suscité une indignation générale qui avait réuni l’immense majorité des Français touchés dans leur culture républicaine et voyant réapparaître le spectre de l’hystérie religieuse et ses conséquences criminelles. Dans la crise sanitaire, on observe une fracture sociale importante entre les catégories supérieures et les catégories populaires. Le danger n’est pas le même pour tous et la probabilité d’être contaminé n’est pas distribuée de matière aléatoire comme c’est le cas pour un attentat aveugle. Les membres des catégories socioprofessionnelles modestes, bien plus exposés au risque sanitaire, comme le sont les employés de commerce, les chauffeurs-livreurs, sont bien plus saisis par la peur et la colère. Le sentiment d’une inégalité entre Français dans les politiques gouvernementales s’est répandu. À  la question « Les citoyens ont-ils été tous traités à égalité par les politiques gouvernementales relatives au Coronavirus ?», seuls 53% des enquêtés français répondent par l’affirmative contre 67% en Allemagne et 80% au Royaume-Uni. La crise sanitaire a été donc vécue très différemment selon sa position sociale, ses ressources, sa capacité de faire du télé-travail, de se protéger et la probabilité de se retrouver au chômage dans quelques mois. Cette fracture sociale se projette sur le terrain politique car elle pose directement la question de l’avenir du macronisme, pris au défaut de la cuirasse, à savoir l’idée qu’il a toujours vendue d’être plus efficace car plus proche du terrain que les idéologies et les partis du « vieux monde ». Or ce dernier est bien revenu. C’est le monde de l’histoire et de son cortège de tragédies qui ne touchent pas tous les Français de la même manière. Le clivage gauche-droite est en train de réapparaître pour deux raisons. La première est le contraste fort entre les petits salariés, soignants ou autres, qui se seront sacrifiés, et les membres des catégories dirigeantes bien à l’abri dans leur villa. La seconde est que des choix devront être faits sur le plan budgétaire et fiscal qui iront soit dans le sens d’une réduction drastique des dépenses publiques soit dans celui d’un renforcement de la fiscalité sur les plus fortunés.

Dans une période comme celle ci, comment le pouvoir politique en place et l’opposition peuvent-ils se poser des questions constructives ? (question de la deuxième vague par exemple).

Luc Rouban : Dans l’état actuel de la démocratie en France, je ne vois pas comment un dialogue constructif peut s’établir. Une fois passé le moment de stupeur et de confinement, la question va se poser de savoir comment gérer la crise économique, l’avenir du secteur hospitalier en particulier et des services publics en général, les enjeux sanitaires et environnementaux, les relations avec l’Union européenne dont on a vu les limites d’action, autant de questions sur lesquelles un consensus semble bien impossible. Les enjeux politiques d’avenir sont énormes. Les Français attendent surtout le retour de l’État. Le baromètre de la confiance politique montre que cette demande touche non pas seulement le contrôle des frontières sur le plan migratoire comme sur le plan économique, mais aussi le retour d’hommes et de femmes d’État sachant rassurer et ne pas se lancer dans des politiques aventureuses. Un boulevard s’ouvre pour le retour d’une droite gaullienne et sociale ayant tourné le dos aux délires de la mondialisation néolibérale et ayant le sens des territoires et des réalités vécues sur le terrain. On ne voit pas ce que les leaders de cette droite auraient à gagner dans une convergence avec le macronisme. Il en va de même à gauche, bien que cette dernière, dans toutes ses composantes, reste à la fois divisée et minoritaire dans l’opinion à l’heure actuelle. La politique macronienne du « c’est moi ou la catastrophe populiste » a pu fonctionner jusqu’ici mais il n’est pas certain qu’elle puisse longtemps perdurer. Entre la rêverie hors sol et les aventures d’un Frexit porté par le Rassemblement national, les électeurs auront peut-être d’autres choix.

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