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La nouvelle Constitution égyptienne aux mains des Frères musulmans : un mal nécessaire
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Bras de fer

Ce dimanche, l'Egypte découvrait la liste des 50 parlementaires et 50 personnalités chargés de travailler à la rédaction de la future Constitution. Boycotté par les libéraux, ce comité est déjà dénoncé aussi bien par ces derniers que par les salafistes, unanimes pour dénoncer la mainmise des Frères musulmans. Le pays resté bloqué par les tergiversations de politiciens soucieux de ne pas céder de terrain.

Sophie Pommier

Sophie Pommier

Sophie Pommier est chargée de cours à l'IEP-Paris et directrice du cabinet de consultant MEROE.

Experte confirmée en géopolitique du monde arabe et du Moyen Orient, elle est notamment spécialiste de l'Egypte.

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Atlantico : La liste des parlementaires et des personnalités qui composera la commission constituante égyptienne est publiée. Quelles premières observations faites-vous sur ceux qui devront rédiger la nouvelle Constitution ?

Sophie Pommier : Il y a une dominante islamiste qui reste parfaitement logique. D’autant plus que les libéraux semblent s’orienter vers un boycott decette commission. Le problème de l’Egypte aujourd’hui, c’est que son calendrier politique a été très mal planifié. En annonçant un comité constituant dans la foulée des élections législatives, on laisse entendre implicitement que ce comité sera une émanation du résultat de ces élections. Les Egyptiens ont perdu un an : il n’était pas nécessaire d’attendre aussi longtemps.

Il est légitime, dans ce cadre, que les islamistes qui ont gagné les élections s’attendent à avoir une majorité au sein du comité constituant. Les contestations que cela entraîne sont le fait du flou artistique que les militaires ont laissé s’installer. Les règles du jeu n’ayant jamais été clairement définies, la scène politique est envahie par une véritable foire d’empoigne.

A titre de comparaison, en Tunisie, une assemblée constituante a été immédiatement mise en place en octobre 2011. Directement élue par voie démocratique, elle est le reflet direct du choix du peuple, qui a voté pour choisir les personnalités qui rédigeront sa Constitution. En Egypte, cela n’a pas été aussi clair. Il y a eu une déclaration constitutionnelle provisoire puis des articles supra-constitutionnels : il était évident qu’il y aurait des complications dans le choix de la commission constituante.

Dans la continuité, les Egyptiens vont bientôt devoir élire un président dont on ignore quels seront ses pouvoirs. Les militaires gèrent la situation politique du pays au jour le jour. Le problème, c’est que tout cela est conflictuel et prend du temps. Or du temps, il n’y en a pas tellement car la situation économique continue de se dégrader. Pendant que certains se disputent sur les pourcentages de libéraux ou d’islamistes qui doivent siéger dans ce comité, personne ne travaille à trouver une solution politique et un modèle économique pour faire face aux problèmes de l’Egypte. Le gouvernement, sachant qu’il n’a pas vocation à durer, achète de son côté la paix sociale en grevant le budget du pays.

L’Egypte risque de faire face à un grand mouvement social qui pourrait balayer toute la sphère politique : les Egyptiens souffrent et ne parviennent pas à s’en sortir. Tant qu’il n’y aura pas un paysage politique clarifié et un gouvernement présent dans la durée, le pays continuera d’aller à vau l’eau.

Cette Constitution est-elle un gros enjeu ?

En Egypte, une Constitution, cela ne veut pas dire grand-chose. Sous les différents régimes, différentes Constitutions ont été rédigées, intégrant en partie les préceptes de la charia qui restait la principale source d’inspiration du droit. Cela ne devrait pas changer. Les Frères musulmans devraient à priori être favorables à la prise en compte des libertés des minorités, des droits des citoyens ou encore de la liberté de culte. Les Frères n’iront sans doute pas beaucoup plus loin que ce qu’il y avait avant.

Les anciennes Constitutions évoquaient déjà le multipartisme et la liberté des médias mais dans la réalité tous ces droits étaient bafoués. Que ce soit écrit, c’est bien, encore faut-il veiller à l’application des principes affichés.

Le vrai enjeu, ce qui devrait effectivement changer avec les nouvelles constitutions, c’est l’équilibre des pouvoirs. Il y avait jusqu’ici une dérive des différents régimes vers un système présidentiel de plus en plus fort. Les révoltes arabes sont pour partie une crise du leadership... Il va falloir établir de nouveaux équilibres entre le gouvernement, le parlement et l’armée.

Tout le bruit qui est fait autour des islamistes cache la grande question en Egypte : quelle est et quelle doit-être la place de l’armée ? Les militaires vont-ils devoir lâcher une partie de leurs prérogatives économiques ? Vont-ils avoir un droit de regard sur leur budget ? C’est là que se trouve le vrai enjeu qui doit être pris en compte par la Constitution. Je ne suis pas convaincue que le fait d’être, ou non, islamiste, influe sur le regard que peuvent avoir les membres de cette commission sur le rôle et la place de l’armée.

N’était-il pas possible, pour les libéraux égyptiens, de contenir d’une manière ou d’une autre le raz-de-marée islamiste ?

Ce raz-de-marée est cohérent avec le résultat des élections législatives. Cela ne fait peut-être pas plaisir, ni aux libéraux, ni aux Occidentaux, mais les islamistes ont largement remporté ces élections. Il est donc normal qu’ils soient dominants au sein du comité constituant.

Il est néanmoins important que les autres partis soient représentés. C’est pour cette raison que la politique de la chaise vide, pratiquée par les libéraux, n’est pas judicieuse. Il va falloir, au sein de cette commission, négocier point par point le contenu de la nouvelle Constitution. En étant absent, on ne garde que la voie de la rue pour exprimer son désaccord. Or à un moment il faut savoir sortir du temps révolutionnaire et reconstruire. Les libéraux ont perdu les élections, c’est un fait. Ils doivent « limiter les dégâts » avec les moyens politiques qui leur sont donnés, faire leur autocritique (on en est loin) et se préparer pour proposer une alternance. Mais ils ont beaucoup de mal à passer à cette étape et présentent en cela les mêmes faiblesses qui leur ont toujours coûté cher.

Au sein des mouvements islamistes largement représentés au sein de la commission constituante, les salafistes eux-mêmes dénoncent un hold-up des Frères musulmans. Ont-ils eux aussi des raisons de s’inquiéter ?

Ils ont mis la main sur 20% des sièges, leur présence au Comité est conforme. Cela montre bien que tout le monde trouve des raisons de se plaindre de la situation. C’est d’ailleurs là que risque de se manifester la principale ligne de fracture politique en Egypte : entre les islamistes eux-mêmes. Le grand rapport de force de demain sera entre les Frères musulmans et les salafistes.

Que les Frères musulmans soient plus nombreux que les salafistes me parait plutôt préférable. N’oublions pas que, si les salafistes ont fait une percée à laquelle on ne s’attendait pas, ils n’ont malgré tout pas remporté les élections.

On trouve enfin au sein de cette commission, une toute petite minorité de six femmes et six chrétiens. Auront-ils, malgré leur faible nombre, les moyens d’influer sur la future Constitution ?

Ils ne sont pas assez, c’est certain. Dans tous les cas, pour des raisons pragmatiques, les Frères musulmans devront prendre en considération les revendications des femmes et des minorités au sein du pays. En matière de droit de ces minorités et de femmes, ils ont tout intérêt à ne pas adopter de posture trop radicale, comme le font les salafistes.

Même s’ils ne sont pas nombreux, il est important d’avoir quelques représentants des femmes et des coptes au sein de cette assemblée. Ils pourront faire valoir leurs points de vue et mobiliser l’opinion. En tout état de cause, la politique de la chaise vide n’est certainement pas la bonne.

A l’heure actuelle, les Egyptiens ne peuvent plus se permettre le luxe de parlementer pendant des mois. L’économie dégringole. Il faut que ce pays soit conduit. Les Frères ont remporté les élections, c’est donc à eux de prendre les commandes et de montrer ce dont ils sont capables. Il sera toujours temps de faire le bilan ensuite.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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