Combien de Français une réforme de l’assurance chômage pourrait-elle vraiment ramener à l’emploi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement Attal travaille en ce moment à sa prochaine réforme sur l'assurance chômage.
Le gouvernement Attal travaille en ce moment à sa prochaine réforme sur l'assurance chômage.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Réforme

La motivation de Gabriel Attal repose certes sur l’idée de faire des économies dans un cadre budgétaire contraint mais plus encore sur celle que la hausse du taux d’emploi améliorerait les finances publiques.

Bruno Coquet

Bruno Coquet

Bruno Coquet est docteur en Economie, Président de UNO - Etudes & Conseil.

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Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Co-auteur notamment, avec Franck Morel, de "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016). 

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Atlantico : Le gouvernement travaille en ce moment à sa prochaine réforme. Il s’agit cette fois de transformer l’assurance chômage, à l’aide d’un tour de vis sur les indemnisations notamment. L’idée étant de ramener le taux de chômage aux alentours de 5% contre 7,4% aujourd’hui. Combien de français une telle transformation peut-elle ramener à l’emploi ?

Bruno Coquet : Réduire les droits à l’assurance-chômage, rappelons-le, ne crée pas d'emploi. C’est quelque-chose que l’on peut dire de façon certaine. On peut, cependant, légitimement penser que cela favorise un retour à l’emploi. Le défaut d’indemnisation au-delà d’une certaine durée, peut pousser les uns et les autres à accepter n’importe quel emploi, faute de revenus. Cependant, ce n’est pas toujours une situation très favorable pour notre économie : certaines personnes potentiellement très qualifiées sont amenées à accepter vite des emplois sous qualifiés, ce qui détruit leur capital humain. Ce faisant, ils prennent d’ailleurs la place d’autres travailleurs au capital humain moins élevé et qui auraient pu occuper l’emploi en question, mais qui restent chômeurs. On déclenche donc, à partir d’un certain moment, des effets pervers. Les sortants d’indemnisation, en acceptant n’importe quel emploi, perdent leur capital humain et diminuent la productivité globale. 

Il faut aussi rappeler qu’il y a au sein de l’assurance-chômage un effet d’éligibilité. Si l’on est bien couvert, on accepte ce que l’on appelle des emplois risqués dans la littérature économique. Je parle d’emplois courts, moins bien rémunérés. Abaisser les droits, comme le prévoit visiblement l’exécutif, diminue l’incitation à accepter ce type d’emplois.

Comprenons-nous bien : les droits, en France, sont moins élevés qu’ils ne sont chers. C’est-à-dire que chaque salarié paie par an près d’un mois de salaire net en cotisations. Nous avons l’assurance-chômage la plus chère du monde : elle l’est deux fois plus qu’ailleurs, en moyenne. Nous avons entamé plusieurs réformes de réduction de ces droits, sans jamais réduire les cotisations. En termes d’assurance, c’est donc un gros problème : si les gens acceptent de payer cher, c’est qu’ils estiment le risque important. Le chômage produit des effets extrêmement négatifs, contre lesquels on cherche à s’assurer. Or, les diminutions de droits réalisées depuis 2017 n’ont pas correspondu à des baisses de contributions. Si l’on regarde l’équilibre cotisations-prestations, il n’a jamais été déficitaire depuis 1997.

Les salariés paient donc trop cher par rapport à ce qu’ils recevront potentiellement comme droit en cas de chômage. Je ne dirais pas, dès lors, que notre système était particulièrement généreux : il était surtout adapté à la situation, aux risques tels que les assurés les vivent. C’est sans doute moins le cas depuis les réductions de droits successives survenues depuis 2017. On peut supposer, néanmoins, qu’elles n’ont pas produit beaucoup d’effet puisqu’il y avait alors des emplois disponibles. Le moment où l’on procède à une telle réforme a du sens. Le marché du travail se retourne en ce moment. Un certain nombre de chômeurs auront besoin de droits plus longs pour retrouver un emploi qui correspond à leurs compétences.

Réduire les droits sans réduire les cotisations, c’est priver les salariés de leur capacité de s’auto-assurer s’ils estiment qu’ils en ont besoin en contrepartie de la baisse de droits. Le risque ne change pas, mais la protection change. 

Bertrand Martinot : Commençons par rappeler qu’il y a déjà eu deux réformes d’ampleurs menées sur la question de l’assurance-chômage. Elles ont été menées en 2021 puis en 2023 et ont toutes les deux jouées sur les durées d'éligibilité ainsi que sur les durées maximales d’indemnisations. La réforme de 2021, qui avait été annoncée en 2019 mais qui n’est entrée en vigueur qu’après le Covid comportait aussi la modification du salaire journalier de référence, laquelle a fait baisser assez fortement le niveau des indemnisations pour les chômeurs récurrents. On parle ici, rappelons-le, de réformes structurelles que la plupart des économistes appelaient de leurs vœux. L’assurance-chômage était alors injuste : à nombre d'heures données, selon que vous aviez tout fait d’une traite ou que vous ayez enchaîné les épisodes, vous n’aviez pas le droit à la même indemnisation. Tout ceci a été uniformisé. Dès lors, il apparaît pertinent de dire que toutes ces réformes étaient tout à fait souhaitables.

Ceci étant dit, il faut bien rappeler que nous ne savons pas grand-chose, en l’état, de ce que projette Bruno Le Maire concernant une potentielle nouvelle réforme de l’assurance chômage. Ce que l’on sait, néanmoins, c’est que les deux précédentes réformes que nous évoquions n’ont pas fait l’objet de la moindre évaluation.  Il importe potentiellement de rappeler que l’objectif des 5% que se fixe le gouvernement ne correspond à rien de précis : en général, et c’est le cas en Allemagne, aux Pays-Bas ou ailleurs, on chiffre le plein-emploi à 3% de chômage, pas à 5% Force est de constater qu’à 7,4%, nous en sommes encore loin. Pour nous en rapprocher, il faudrait jouer sur tout un tas de leviers, dont l’assurance-chômage qui, je le rappelle, a déjà été réformée. Désormais, elle correspond un peu plus aux normes européennes, quand bien même elle reste tout de même plus généreuse que la moyenne.

Rappelons que notre économie étant étouffée par la désindustrialisation et le poids des réglementations, il peut paraître difficile d’en arriver au plein emploi simplement en jouant sur les modalités que nous avons évoquées. Sans connaître en détail les transformations souhaitées par Bruno Le Maire, il est aussi difficile de dire combien de Français nous pourrions théoriquement ramener à l’emploi. Ce qui est sûr, c’est que l’idée générale d’un durcissement n’est pas mauvaise, mais qu’elle ne sera pas suffisante pour répondre à cette problématique. Il faudra mener des réformes plus globales, consistant notamment à faire prévaloir le travail sur l’inactivité. Le travail demeure surtaxé en France.

Que sait-on aujourd’hui du nombre de chômeurs et du nombre d’emplois disponibles ?

Bruno Coquet : Le nombre de chômeurs indemnisés par l’Unédic est estimé à environ 2 500 000. Les inscrits à Pôle emploi (de catégorie A, qui ne travaillent pas, ou de catégorie B-C qui travaillent un peu, sinon beaucoup) sont estimés entre 3 et 6 millions selon les catégories concernées. Bien sûr, il faut aussi évoquer le chômage BIT, qui plafonne légèrement en dessous des 3 millions. Bien sûr on ne peut pas additionner ces populations, qui sont pour l’essentiel constituées des mêmes personnes.

On sait cependant que, parmi les inscrits à Pôle Emploi susceptibles de travailler, les 2 500 000 indemnisés par l’Unédic représentent environ 40% du total. 60% des chômeurs ne sont pas indemnisés par les règles de l’assurance chômage et ne sont donc pas directement sensibles à une réduction des droits.

Une partie des 40% que nous évoquons pourrait théoriquement être sensible à une modification des règles. Cela fait beaucoup de conditionnel. Il faudrait d’abord, en vue de réaliser une réforme pertinente, identifier précisément le problème que nous cherchons à corriger. S’il s’agit de pousser les chômeurs vers l’emploi, il convient donc de se poser la question suivante : a-t-on été en mesure d’identifier des chômeurs qui ne retournent pas à l’emploi suffisamment vite ? Pas particulièrement. Nous ne disposons pas des données précises nécessaires à ce sujet. Peut-être, évidemment, peut-on trouver quelques milliers de personnes qui « profitent » indument du système. Mais dans ce cas-là faut-il sanctionner tout le monde en raison d’un pourcentage de fraudeurs que les contrôles imposés à tous ne parviennent pas à identifier ? C’est une gestion sous-optimale d’un système d’assurance. Mieux vaut identifier les individus concernés et les sanctionner.

Bertrand Martinot : En moyenne, on compte entre 300 000 et 400 000 emplois disponibles environ, en France. C’est très loin d’être assez pour absorber l’intégralité des demandeurs d’emplois. Cela ne suffira évidemment pas à nous ramener au plein emploi. IL ne faut pas croire que, parce qu’il demeure des emplois vacants, il suffirait dès lors de prendre des chômeurs et de les forcer à accepter de telles missions pour en arriver au plein-emploi. Nous n’en sommes pas là aujourd’hui. On compte, rappelons-le, entre 2 600 000 et 3 000 000 de chômeurs, dont tous ne sont pas indemnisés en France. Nous ne sommes pas du tout au plein emploi. Même en diminuant le nombre d’emplois vacants, qui est par ailleurs en train de régresser, cela ne suffira pas.

Le problème vient également du fait que la croissance a énormément ralenti. Elle est nulle, aujourd’hui et dès lors, il n’est pas étonnant que le chômage reste à un niveau élevé. 

Il ne s’agit pas, pourtant, de sous-estimer la place des emplois vacants. Je ne pense pas avoir besoin de le préciser, mais il ne se passe pas une seule rencontre avec un dirigeant d’entreprise ou un DRH sans que ceux-ci ne me parlent de leur difficulté de recrutement. C’est un phénomène réel, mais même en admettant que tous les emplois à pourvoir soient soudainement pourvus, il resterait un très grand nombre de chômeurs en France. Le chômage, en grande partie, est conjoncturel aujourd’hui.

Peut-on créer des emplois simplement en imposant une nécessité de reprendre le travail ? Cela suffit-il à dépasser les pénuries de main-d'œuvre des secteurs en situations complexes ?

Bruno Coquet : La première question à se poser est la suivante : pourquoi des chômeurs non indemnisés, qui constituent la majorité des profils, n’acceptent pas les emplois non pourvus dont on parle ici. Plusieurs hypothèses peuvent l’expliquer. Peut-être ne sont-ils pas assez formés, peut-être que les conditions d’emplois (et de salaires) ne conviennent pas, ou alors y a-t-il des alternatives. Ce sont des éléments auxquels il faudrait répondre d’entrée de jeu.

Une fois ceci fait, on peut effectivement partir en quête des fraudeurs, qu’il est facile d’identifier tant chez France Travail qu’auprès de l’assurance-chômage. Le problème de fond étant que nous n’avons pas de diagnostic sur ces questions pour le moment. Mais il est vrai qu’il n’y en a pas besoin si l’objectif est de réaliser des économies sur l’assurance chômage pour abonder le budget de l’État.

Bertrand Martinot : Non. Renforcer le contrôle des demandeurs d’emploi est une bonne chose, mais sauf cas spécifiques, cela ne permet pas de créer des emplois. C’est l’occasion de remplir un certain nombre de postes vacants mais si l’entreprise n’a pas besoin de quelqu’un, elle ne recrutera personne de plus. Cela peut jouer, mais seulement à la marge. Il ne suffit pas de produire une pression extraordinaire sur les chômeurs pour les pousser au travail. Il faudra en passer par une réflexion de fond sur le travail : baisser les coûts du travail, moins taxer ce dernier, déréglementer une partie de notre économie et faciliter la création d'activités constituent certaines des priorités en la matière.

Il n’est guère étonnant de voir le sujet arriver aujourd’hui sur la table : l’exécutif cherche à mieux contrôler ses finances publiques et il apparaît légitime d’affirmer que l’assurance chômage ne doit évidemment pas être épargner. Il n’y a pas de raison de la sanctuariser. Ceci étant dit, il faut dans ce cas placer tous les sujets sur la table. Je pense aussi aux excès concernant l’assurance maladie, les 20 milliards d’aides au logement dont on peut dire que l’efficacité est douteuse, la question des retraites…

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