Post-Covid, rien de nouveau
Cette triple épidémie que la France aurait pu maîtriser si le gouvernement avait investi sur l’aération et la purification de l’air
La France est confrontée depuis plusieurs mois à la circulation simultanée du Covid, de la bronchiolite et de la grippe. Alors que les gestes barrières ont démontré leur efficacité face au coronavirus, les pouvoirs publics n’ont toujours pas déployé de mesures efficaces sur la purification de l’air.
Atlantico : Sur le plateau de Ccesoir, vous avez souligné le manque d’action face à une « triple épidémie respiratoire ». Comment expliquer la situation actuelle ?
Christian Lehmann : Nous sommes face à l’effondrement de notre système de santé et nous avons effectivement, actuellement, une triple épidémie respiratoire. Mon constat, c’est celui de quelqu’un qui a suivi attentivement les années de Covid. Monjournal de pandémie, dans Libération, n’aurait pas pu exister sans Twitter et l’agora que permet cette plateforme, malgré ses excès.
Comment en sommes-nous arrivés là ? A mon sens, il y a eu un moment charnière, la conférence de Didier Raoult du 26 février 2020 où il révèle que le Covid sera très facile à traiter grâce à la chloroquine, un médicament peu cher et très accessible. Sur le moment, j’en ressens un immense soulagement. Mais assez rapidement, avec d’autres je me rends compte qu’il y a plusieurs motifs d’alerte et notamment car il affirme que ce médicament n’a aucune toxicité, ce qui est faux. C’est un médicament qui présente une toxicité cardiaque majeure en cas de surdosage, et qui est souvent utilisé dans les tentatives de suicide médicamenteuses. Interpellé par des urgentistes, des réanimateurs, des cardiologues inquiets du risque d’automédication dans un contexte d’anxiété, Didier Raoult a refusé de reconnaitre ses erreurs, passant simplement de la chloroquine à l’hydroxychloroquine sans même jamais admettre avoir switché de molécule. Et son discours percute chez ceux qui ont envie de croire qu’il y a une solution simple. Je me suis rendu compte assez rapidement, devant ce tour de passe-passe accompagné d’un dénigrement méprisant de ceux qui avaient lancé l’alerte, que nous avions en face de nous un mandarin narcissique qui ne reculerait devant rien, et que le prix à payer en vies humaines serait considérable. Et pourtant, deux mois plus tard, Emmanuel Macron lui rendra visite en avril 2020, l’installant durablement dans le paysage médiatique.
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En mars 2020, le gouvernement décide de maintenir les élections, s’appuyant sur les déclarations du Professeur Delfraissy, président du Conseil Scientifique, expliquant qu’il n’y avait pas de risque plus important en allant voter au premier tour des municipales qu’en allant faire ses courses. Et deux jours plus tard, on annonçait le confinement. Mon travail depuis trois ans, notamment, dans les colonnes de Libération, c’est de faire comprendre la crise Covid sans avaliser ce type de mensonge. C’est de l’éducation sanitaire. Et cela implique de décortiquer aussi bien le discours des anti-vax que les éléments de langage fallacieux du gouvernement. Un gouvernement qui a longtemps nié l’aérosolisation alors même que des études internationales en démontraient assez tôt l’importance. Ainsi le gouvernement a dit que les masques en population générale ne servaient à rien… pour cacher le fait qu’on avait dilapidé le stock pandémique. Et parallèlement, Emmanuel Macron s’appuyait sur l’hygiéniste suisse Didier Pittet, qui ne jurait que par le gel hydroalcoolique, et moquait ceux qui parlaient de transmission aérosol. Le gouvernement a souvent menti par omission, et n’a pas reconnu ses erreurs, erreurs qui ont amené une portion non négligeable de la population à porter crédit aux discours conspirationnistes.
Et cette conjonction nous a mené à la situation actuelle, une triple épidémie à virus respiratoire, et un déni politique majeur. Le gouvernement a bien compris qu’il ne pouvait pas faire « en même temps » deux choses qu’il considère impopulaires : réinstaurer le port du masque dans les lieux clos pour des objectifs de santé publique, et mener la réforme des retraites, pour des objectifs purement politiques. Et parce que le gouvernement ne préconise pas suffisamment le port du masque en lieu clos et dans les transports, une partie de la population, suiviste, se dit que ça ne sert à rien, que si c’était vraiment utile, le gouvernement le réinstaurerait. De même, Emmanuel Macron avait promis en avril 2022, dans un discours de campagne, que s’il était réélu il y aurait un énorme effort de fait sur l’aération et la qualité de l’air, mais rien n’a été fait.
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Nous avons donc une triple épidémie, dont une pandémie avec un agent viral qui même en l’absence de forme grave peut se révéler dangereux à long terme et peut impacter le système immunitaire et nous rendre plus fragile face à d’autres maladies comme la grippe ou le streptocoque, etc. Nous avons laissé une pandémie se développer en population générale et les défenses immunitaires s’abaisser. C’est une faute majeure.
C’est donc un refus d’agir plutôt qu’une impuissance à le faire ?
L’inaction est un choix politique parce que la santé publique est utilisée par les politiques pour dérouler un langage techno, afin de donner l’impression qu’on s’intéresse au sujet, sans véritablement agir. Il y a une forme de théorisation de l’inaction. Quand nous avons confronté Agnès Buzyn sur le plateau de Ccesoir, elle nous a expliqué que la situation actuelle était le fruit de décisions prises depuis 40 ans et qu’il fallait au moins 10 ans pour former des médecins, que le monde avait vieilli et que le problème était mondial, etc. En gros, il n’y avait rien à faire, qu’à s’habituer à un accès aux soins dégradé. Comme si tout ceci était immuable, gravé dans le marbre, et ne découlait pas avant tout de choix économiques, de choix politiques. Tout ceci théorise leur inaction. Nous sommes passés de politiques à des boutiquiers. J’en veux énormément aux politiques pour leur manque de courage et leur inaction.
Vous avez expliqué pourquoi il n’était pas populaire de rétablir les masques, mais des mesures comme l’aération ou la purification de l’air, avoir des capteurs de CO2 – comme celui que vous avez montré à Ccesoir -, ont beaucoup moins de coût politique, pourquoi le gouvernement n’y a-t-il pas recours ?
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D’abord, parce que cela a un coût financier.Ensuite, parce que cela nous met face au constat que nous travaillons dans des environnements dégradés. Nombre d’enseignants travaillent dans des environnements dégradés. Si on commençait à mettre des capteurs, on s’en rendrait compte immédiatement. Dans l’Education nationale, l’inaction sanitaire et le mensonge ont été l’apanage de l’ère Blanquer. Le gouvernement a menti sur l’aérosolisation pendant des mois, cela a conduit à un retard sur les masques et à ce qu’il n’y ait aucune velléité de mettre en place des programmes de qualité de l’air, comme on a pu le faire avec la qualité de l’eau à la fin du 19ème siècle. Nous avons des débats qui sont dignes de la mise en place de l’eau potable à Londres.
Pourtant, le capteur est un outil simpliste et peu cher, environ 50 € pour le modèle que j’ai. Bien sûr, le capteur ne détecte pas la présence de particules de Covid mais seulement la quantité de CO2 dans une pièce, ce qui est représentatif du renouvellement de l’air. Le CO2 est normalement présent dans l’air et émis lors de la respiration. Lorsque dans une pièce sa valeur dépasse celle de l’air pur (410 ppm), cela signifie que l’air de la pièce a déjà été au moins en partie respiré. Si des personnes sont infectées, lors de la respiration elles excrètent des particules virales qui s’accumulent dans la pièce en cas de renouvellement de l’air insuffisant. Mesurer le CO2 permet de suivre ce renouvellement et d’aérer dès que l’air est trop confiné (-800 ppm). Au-delà, il faut aérer. Tant qu’on reste en dessous de 800 ppm, on considère que l'inoculat de Covid devrait être trop faible pour déclencher la maladie. Plus ça monte ( et dans le TGV ce matin-là, cela a pu atteindre 1700 ppm dans un train bondé où personne ne portait le masque), plus le risque d’être infecté existe si quelqu’un autour de vous est infecté. Si j’ai pris un capteur sur le plateau de Ccesoir, c’est pour faire passer le message que si je suis soucieux des libertés individuelles, je considère que cela ne doit pas se faire au détriment de la protection des personnes fragiles. Si la qualité de l’air avait été dégradée, j’aurais mis un masque. Il ne s’agit pas d’être dans l’enfermisme ou la restriction de liberté, simplement de prendre des risques calculés.
Mais ce qui est flagrant, c’est qu’après 3 ans de pandémie, le capteur de CO2 n’est toujours pas un objet familier, y compris pour les journalistes sur le plateau. Pourtant, c’est quelque chose que l’on peut se payer et qui a une forte valeur éducative. Mais les politiques ne cherchent qu’à donner l’impression de faire le job, à faire semblant de se soucier de la santé de la population. Parce que si les gens se rendaient compte de la qualité de l’air qu’ils respirent dans certains lieux clos, ils demanderaient aux politiques de mettre en place un vrai programme d’amélioration de la qualité de l’air en intérieur.
Pour découvrir plus d’informations sur l’aération et les capteurs, retrouvez le site nousaerons.fr
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