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Brexit : comment la négociation relative à l'union douanière tourne au cauchemar pour Theresa May​
©Thomas KIENZLE / AFP

Politique

Suite aux discussions interministérielles concernant la question de la définition de la nouvelle union douanière qui définira les relations entre Royaume Uni et Union européenne, le gouvernement britannique s'est montré particulièrement divisé, plaçant Theresa May dans une situation difficile.

Michael Bret

Michael Bret

Michaël Bret est économiste, président de Partitus. Il a travaillé ces dernières années pour le Collège de France, l'Institute for Fiscal Studies de Londres, BNP Paribas à Hongkong, l'OCDE et AXA Investment Managers. Il enseigne à Sciences Po et à l’Inalco.

Son compte Twitter : https://twitter.com/m_bret

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Suite aux discussions interministérielles concernant la question de la définition de la nouvelle union douanière qui définira les relations entre Royaume Uni et Union européenne, le gouvernement britannique s'est montré particulièrement divisé, plaçant Theresa May dans une situation difficile. En quoi cette question pourrait-elle menacer directement Theresa May, notamment sous l'impulsion des 60 députés du groupe ERG, menés par Jacob Rees-Mogg ?

Michael Bret : Il aura fallu 2 jours au nouveau Ministre de l’Intérieur ("Home Secretary") pour lancer son premier camouflet à la face de la Première ministre Theresa May. Sajid Javid, eurosceptique modéré ayant voté contre le Brexit, et censé donc conserver l'équilibre savamment entretenu au sein même du gouvernement entre partisans de la sortie de l'Union (les "Brexiters") et du partisans du maintien (les "Remainers"), s'est finalement rallié aux euro-phobes les plus radicaux pour miner encore plus le capital politique d\une Theresa May qui l'avait promu 48 heures plus tôt. C'est même du pire recoin de l'échiquier politique que Theresa May a dû essuyer cette nouvelle attaque : le nouvel allié de Jacob Rees-Mogg est un rescapé politique dont le renvoi annoncé de son poste de secrétaire d'État aux collectivités territoriales n'avait été évité qu'à cause de l'échec retentissant de la stratégie de Theresa May, lorsque celle-ci avait convoqué les élections anticipées du 8 juin dernier. Trop faible alors pour renvoyer Javid, elle l’a donc promu lundi afin de s'opposer sur le dossier de l'immigration aux plus euro-phobes des membres du gouvernement. Tout au contraire, Javid vient renforcer, à l'occasion des discussions sur l'union douanière, les rangs des piliers du gouvernement qui frondent de plus en plus ouvertement depuis juillet 2016 : Boris Johnson, Liam Fox, David Davis, et Michael Gove depuis 2017.

Quelles sont les options encore sur la table ? Quelles peuvent être les conséquences de cette volonté apparente de se diriger vers une solution de hard-Brexit, qui semble être aujourdhui la plus probable, sur la réaction de l'Union européenne ? 

Michael Bret : Le Secrétaire au Brexit, David Davis, après avoir menacé mardi de démissionner si l'option présentée par May de "Partenariat douanier" n'était pas retirée, a déclaré mercredi que les deux options restaient sur la table : celle de la Première ministre et celle de la "Facilitation maximale" ou max-fac. La différence essentielle est que dans le premier cas, sorte de modèle hybride d'union douanière et de marché presque unique, le Royaume-Uni collecterait les doits de douane européens au nom de Bruxelles pour les importations extra-européennes arrivant sur le sol britannique. Tout l'intérêt de cette solution est de résoudre le triangle d'impossibilité : non appartenance au marché unique, ligne rouge des partisans du hard-Brexit, absence totale de friction à la frontière nord-irlandaise, condition sine qua non de respect de l'accord de Belfast ("Good Friday agreement") qui représente encore le seul garant sérieux que la question irlandaise ne se ré-enflamme pas, et absence de frontière "dans la mer d'Irlande" entre Irlande du Nord et l'île de Grande-Bretagne, ligne rouge des alliés minoritaires nord-irlandais. La deuxième option, le "max-fac" repose sur l'idée que les nouvelles technologies permettraient de mettre en place une frontière invisible préservant la circulation fluide des marchandises et des Irlandais mais préserveraient une totale souveraineté des douanes de la Couronne. Les spécialistes s'accordent depuis longtemps que cette option resemble à des plans sur la comète, aux coûts et délais d'implémentation inconnus. Les négociateurs européens et les modérés britanniques parlaient déjà de "wishful thinking" en août dernier (un équivalent britannique de la méthode Coué) [https://www.politico.eu/article/invisible-irish-border-wont-work-says-former-minister/], mais la proposition est toujours celle favorisée par les souverainistes. Il est surtout intéressant de noter que le nœud de l'affrontement entre les deux options concerne plus, du moins pour l'instant, la manière de lever les taxes douanières que l'alignement réglementaire sur les standards européens, qui était le point de focalisation des hard-Brexiters pour lesquels il symbolisait la véritable reprise de souveraineté vis-à-vis de Bruxelles.

Quelles pourraient être les conséquences politiques d'un affaiblissement de la position de Theresa May ? A qui profite véritablement la situation ? 

Michael Bret : La fraction du gouvernement qui pousse pour un hard-Brexit ne semble pourtant pas encore vouloir renverser la Première Ministre. Ils préfèrent en profiter pour pousser chaque fois plus fortement leur agenda, au rythme des ultimatums adressés à May depuis les différents groupes de parlementaires. Le dernier en date, le 4 décembre, avait été des plus humiliants pour la Première Ministre. Les députés du DUP d'Irlande du Nord avaient désavoué unilatéralement les engagements que Theresa May venaient de prendre face au président de la Commission, Jean-Claude Juncker, la forçant sortir d'un déjeuner de négociation pour prendre un appel téléphonique avec leur cheffe de file Arlene Foster. Elle a dû revenir à la table des négociations avec une position opposée sur les solutions acceptables pour la question de la frontière nord-irlandaise. À la surprise générale, le gouvernement May n'avait alors pas été renversé par Boris Johnson qui avait semblé préférer conforter sa posture d'homme fort dans un gouvernement faible. Aujourd'hui, avec celle nouvelle péripétie à Westminster, le rapport de force évolue encore plus défavorablement au sein du gouvernement, mais la stratégie générale pourrait bien ne pas être encore révisée. Le feuilleton pourrait encore durer et les négociateurs européens ne savent plus s’ils doivent espérer voir la fin de cette instabilité toujours plus grande ou devoir reprendre les négociations avec un nouvel interlocuteur.

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