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BCE : pourquoi le retour annoncé à une politique monétaire “normale” pourrait bien n’être qu’une illusion
©Reuters

Ajustements

Les gouverneurs de la Banque centrale européenne se réunissent aujourd'hui afin de discuter de l'évolution de la politique monétaire de la zone euro. Le programme d'assouplissement quantitatif pourrait s'arrêter.

Maxime Sbaihi

Maxime Sbaihi

Maxime Sbaihi est économiste, directeur général du think-tank GenerationLibre.

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Atlantico : Le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne se réunit ce jeudi 26 octobre, dans l'optique d'un ajustement de la politique monétaire de la zone euro, et une probable réduction du programme d'assouplissement quantitatif qui est encore fixé à 60 milliards d'euros par mois de rachats d'actifs. Que peut-on attendre de cette réunion ? Existe-t-il des tensions internes entre les différents gouverneurs sur la marche à suivre ?

Maxime Sbaihi : Les membres de la BCE n'ont pas caché leur volonté de procéder à un tel ajustement et donc la question n'est pas de savoir s'ils vont annoncer une réduction du rythme des achats d'actifs ce jeudi mais bien comment ils vont procéder. Il faut garder en tête que le programme d'assouplissement quantitatif continue de grossir tous les mois et a même franchi cet été le cap des deux mille milliards d'euros depuis son lancement en 2015. La BCE a déjà réduit en avril le rythme mensuel de ces achats de 80 milliards d'euros à 60. Nous pensons qu'elle va les réduire davantage, à 40 à partir de janvier. Au-delà de la taille il y a une autre dimension toute aussi importante: combien de temps le programme va-t-il encore durer? Au moins six mois encore.

Il faut relever ici la grande convergence de vue au sein de la BCE. C'est nouveau. Finies les déclarations fracassantes des 'faucons' qui questionnaient le bien-fondé et l'efficacité même du programme. Plus personne ne demande sa fin immédiate, et tous parlent d'une sortie graduelle. Cela va faciliter la tâche de Mario Draghi qui doit comme d'habitude faire de son mieux pour trouver une ligne consensuelle entre les 25 gouverneurs. Ces derniers vont devoir se mettre d'accord sur les modalités exactes de la réduction des achats. Il se peut qu'ils décident de partir sur un format de réduction un peu plus long, de 9 mois à un rythme d'achat de 30 milliards par exemple. Si l'économie ne faiblit pas d'ici-là, la BCE devrait être assez confiante pour terminer ses achats à la fin de l'année 2018, après avoir procédé à une nouvelle réduction de leur rythme.

Le programme devrait donc continuer de grossir en 2018 mais beaucoup moins vite. En d'autres termes, la BCE va appuyer de moins en moins fort sur l'accélérateur monétaire avant de lever le pied. La pédale de frein elle n'est pas prête de bouger puisque les taux directeurs resteront probablement inchangés jusqu'en 2019, au moins.

Alors que l'institut Markit a pu souligner, ce 24 octobre, la bonne tenue de l'économie européenne, peut-on considérer la volonté de la BCE de "revenir à la normale" comme étant justifiée ? Quels sont les risques de voir la BCE agir prématurément ? N'y a-t-il pas un risque d'effrayer les agents économiques avec un retour à la normale trop brutal ?

L'économie de la zone euro a évité la déflation et a désormais le vent en poupe. Grace aux 7 millions d'emplois créés depuis 2013, le taux de chômage est retombé a 9.1%, son plus bas depuis 2009. Le PIB de la zone euro est bien parti pour croitre de 2.2% cette année, c'est-à-dire sa meilleure performance depuis 2007.

Même si l'inflation, son mandate unique, reste faible, la BCE ne peut pas rester impassible devant tous ces signaux. La politique monétaire c'est un peu comme le ball-trap: pour atteindre la cible mouvante, il faut anticiper sa trajectoire et donc viser avec un coup d'avance. Le ralentissement du programme d'assouplissement quantitatif est à mettre dans ce contexte. La BCE anticipe un renforcement très progressif de l'inflation et effectue donc un recalibrage de sa politique monétaire. C'est un véritable acte d'équilibriste pour Mario Draghi car si la BCE bouge trop tôt elle risque de freiner la reprise et si elle ajuste trop tard elle risque de manquer sa cible. Par ailleurs les marchés financiers s'étant habitués à une surabondance de liquidité, elle doit procéder sans les affoler ni être complaisants avec eux. L'épisode du "taper tantrum" de 2013 quand les marchés s'étaient mis à paniquer à la simple évocation par la Fed d'un ralentissement de ses achats montre toute la complexité de l'exercice.

La BCE va donc vouloir garder une totale flexibilité en évitant de mettre une date de fin sur son programme et en ajustant ses paramètres au fur et à mesure des nouvelles données économiques. Elle va avancer de manière prudente: d'abord réduire ses achats, puis les arrêter, les réinvestir, et enfin se retirer petit à petit du marché. C'est un processus long et périlleux.

Que peut-on attendre à plus longue échéance ? Quelles sont les leçons à tirer des pays qui ont suivi la même politique dite "expansionniste", mais antérieurement aux actions de la BCE ? Un véritable retour à la "normale" n'est-il pas illusoire ?

Le problème c'est qu'il n'y a pas d'antécédent historique. La BCE n'a jamais fait ça, elle ne peut donc pas chercher dans sa propre histoire des repères pour un "retour à la normale". Par contre, elle peut jeter un coup d'œil sur les autres banques centrales et notamment celles qui l'ont précédé dans cette voie. La Fed a commencé son programme d'assouplissement quantitatif en 2008, a arrêté ses achats en 2014 et vient à peine d'annoncer qu'elle allait commencer à réduire la taille de son bilan en cessant de réinvestir ses achats. La comparaison s'arrête là, car les cycles et les structures économiques ne sont pas les mêmes des deux côtés de l'Atlantique. La zone euro étant une économie beaucoup plus bancarisée que les Etats-Unis, la politique monétaire n'y agit pas de la même manière.

En fait, les banques centrales sont en train de réaliser que ce fameux retour à la normale est une illusion. Les politiques monétaires non-conventionnelles comme les taux négatifs et les programmes d'assouplissement quantitatif sont devenues le "new normal". Ces politiques n'ont de non-conventionnel plus que le nom, elles sont en fait devenues conventionnelles quand on voit leur taille et leur durée. L'époque où la politique monétaire consistait à jouer avec le levier des taux est révolue. Les choses se sont compliquées et la boite à outils s'est diversifiée. En vérité, les banques centrales sont un peu perdues face à un nouvel environnement économique de faible productivité et inflation. Le cœur du problème c'est que cette dernière ne réagit plus à la croissance comme avant. La mondialisation, les nouvelles technologies, le vieillissement démographique sont autant de facteurs responsables que les banques centrales doivent désormais prendre davantage en compte. Ce qui complique la tâche c'est que leurs influences sont contradictoires et difficiles à mesurer. C'est pourquoi Mario Draghi va probablement répéter jeudi durant sa conférence de presse que la patience est une vertu en politique monétaire.

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