Battre à mort pour une contrariété : comment enrayer la spirale de violence qui s’est installée ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Une gerbe de fleurs affichée sur la porte de l'immeuble où vivait un homme de 46 ans tué lors des Fêtes de Bayonne.
Une gerbe de fleurs affichée sur la porte de l'immeuble où vivait un homme de 46 ans tué lors des Fêtes de Bayonne.
© GAIZKA IROZ / AFP

La France Orange Mécanique

Un homme de 46 ans, lors des Fêtes de Bayonne, a été roué de coups par des jeunes à qui il avait demandé d'arrêter d'uriner sur la porte de son domicile. Il est mort des suites de ses blessures. Ces agressions dites "gratuits" semblent se multiplier.

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

Voir la bio »

Maurice Berger

Le Docteur Maurice Berger est pédopsychiatre, ancien professeur associé de psychologie de l’enfant Université Lyon 2, responsable du diplôme universitaire « Expertise légale en pédopsychiatrie et psychologie clinique de l’enfant ». Il a publié en 2019 Sur la violence gratuite en France: Adolescents hyper-violents, témoignages et analyse (éditions de l'Artilleur). 

 

Voir la bio »

Atlantico : Un homme de 46 ans, lors des Fêtes de Bayonne, a été roué de coups par des jeunes à qui il avait demandé d'arrêter d'uriner sur la porte de son domicile. Il est mort des suites de ses blessures. Comment en est-on arrivé à cette violence, qui semble à la fois quasi quotidienne et gratuite ?

Maurice Berger : Plutôt que de reprendre les causes de la violence gratuite que j’ai déjà décrites dans plusieurs ouvrages, je voudrais souligner ce que montre cet événement dramatique. Dans cette situation, typique, au sens où elle est quasi quotidienne, la future victime « ose » demander à des personnes d’arrêter d’uriner sur la porte de son domicile.  Ceci constitue pour certaines personnes violentes un « crime de lèse-narcissisme », selon l’expression du psychiatre Daniel Zagury. L’agresseur considère qu’on lui manque de « respect », donc le gêneur doit être humilié, rabaissé, c’est-à-dire éliminé. La répétition de telles agressions mortelles montre qu’il ne s’agit pas de faits divers, mais que plus aucun citoyen n’est totalement en sécurité dans l’espace public.

La suite, on la connait. Les faits seront qualifiés de coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner, car on évoque habituellement un homicide volontaire que si la mort est provoquée par une arme à feu, une arme blanche, un bâton, etc. Il serait donc indispensable que les poings et les pieds puissent être qualifiés d’armes par destination (ou considérés comme des armes...). Les mains sont d’abord faites pour saisir des objets, porter des aliments à sa bouche, se protéger, etc. ; les pieds sont faits pour marcher, fuir ; mais tous deux peuvent devenir des armes redoutables.

À Lire Aussi

A Nice, les dealers organisent une fête pour les enfants…

Puis l’agresseur sera condamné à une peine notablement inférieure au maximum prévu par le Code pénal, cette peine sera ensuite aménagée par le juge d’application des peines, puis réduite, puis aménagée avec un bracelet électronique, etc. Il serait d’ailleurs intéressant de disposer des chiffres permettant de constater l’écart entre les peines prononcées comme « fermes » et celles effectivement effectuées en France. Puis la victime tombera dans l’oubli, comme les victimes précédentes.

Gérald Pandelon : Notre justice pénale est relativement clémente avec des délinquants chevronnés qui, toutes choses égales par ailleurs, s'en sortent mieux que des honnêtes gens pour lesquels, à la moindre incartade, la présomption d'innocence ne trouve pas à s'appliquer. Autrement dit, on assiste à un certain esprit de notre temps, infiniment plus clément envers les "Sauvageons", selon l'expression forgée par M. Jean-Pierre Chevènement il y a plus de 20 ans, qu'envers des notables ou des personnes disposant tout simplement d'un statut (policier, élu, avocat, etc.) ; en d'autres termes un esprit du temps qui est en réalité privé d'Esprit... En effet, qu'on l'accepte ou le déplore, une certaine justice pénale a été pendant des années relativement indulgente ou laxiste envers un personnel pénal, toujours le même, qu'il aurait fallu très sévèrement réprimer.

Ce laxisme relatif a permis la diffusion d'un sentiment d'impunité chez les délinquants. Prenons l'exemple des émeutiers qui ont saccagé et pillé la plupart de nos grandes villes, ils ont pour la plupart agit à visage découvert. Lorsque l'autorité de la loi est à ce point contestée voire pas intégrée comme pouvant permettre une sanction, comment voulez-vous que ne se propage pas une violence de plus en plus endémique ? Une autre difficulté qui n'est jamais réellement soulevée par nos actuels gouvernants est celle de l'immigration. En effet, qu'on l'accepte ou le déplore, les auteurs des principales incivilités étaient à l'évidence encore d'origine extra-communautaire, que ces derniers aient ou non la nationalité française cela ne modifie pas la difficulté. Il est de plus en plus insupportable de toujours vouloir nier les évidences. Et si l'objectif de ceux qui se livrent et se sont toujours livrés à ce non-dit permanent était de juguler toute forme de racisme dans notre pays, ce tabou a généré une frustration dans la population qui ne pouvait que constater que ce qu'elle voyait était la réalité, il a abouti à un effet inverse en créant un abcès de fixation qui a favorisé la croissance d'un vote alternatif. Plus fondamentalement encore, ce qui est de plus rejeté par les électeurs qui sont tentés par le RN de M. Bardella ou Reconquête de M. Zemmour, c'est cette culture du mensonge et corrélativement une quête de vérité, celle qui correspond à la réalité vécue au quotidien par un nombre croissant de citoyens. Pour le dire encore différemment, comment voulez-vous ne pas faire le jeu de mouvements nationaux-populistes lorsque des policiers dont les carrières furent irréprochables sont immédiatement incarcérés alors que des assassins non policiers voient, de Bayonne à Franconville, leur sort amélioré ?

À Lire Aussi

Vous ne connaissez certainement pas le quartier de La Madeleine : moi si car j’habite pas loin

Quand des gens ne semblent plus maîtriser leurs instincts est-il encore possible d'agir ?  Y a-t-il des solutions simples pouvant être mises en place ?

Maurice Berger : Dans mon livre « Faire face à la violence en France » (L’artilleur, 2021), j’ai montré comment beaucoup de mesures pouvaient être mises en place dès l’enfance, puis au cours de la scolarité. Il s’agit d’un ensemble, et prendre des mesures éparpillées n’aboutirait qu’à un patchwork inefficace. Mais à quoi bon les citer à nouveau puisque le gouvernement actuel se contente au mieux de s’indigner ponctuellement, et d’évoquer le concept de décivilisation, inexact car la plupart des agresseurs n’ont jamais été civilisés dans leur enfance. La réalité est que le pouvoir a décidé de ne pas se saisir de ce problème fondamental.

Concernant la situation décrite ci-dessus, elle illustre le danger qui plane sur chacun de nous. Je ne connais pas l’âge, l’histoire individuelle et la personnalité des agresseurs. Etant donné le nombre de personnes prêtes à déverser leur violence sur autrui au moindre prétexte, on ne peut que conseiller au citoyen « normal » de baisser les yeux, d’accepter d’être humilié, de laisser passer quelqu’un devant lui dans la queue à un magasin, de ne pas klaxonner si un conducteur lui refuse une priorité, de laisser uriner sur son palier, et pourquoi pas, de ne pas sortir après 22h, etc… En gros, apprendre à « s’hypercontrôler » face au risque d’individus qui trouvent normal de perdre leur contrôle. Voilà à quoi nous réduit le statu quo politique actuel.

Gérald Pandelon : Ce qui devrait être simplifié c'est la procédure d'expulsion des personnes qui ne méritent plus d'être maintenues sur notre territoire en raison de leur forfait. Il faudrait que nos textes dépénalisent également un certain nombre de propos qui peuvent ou pourraient apparaître comme discriminatoires. A telle enseigne que l'on est en droit de considérer qu'on ne peut plus rien dire dans notre pays sans être taxés de raciste et l'ironie de l'histoire c'est que cette omertà sur la pensée serait le symptôme d'une démocratie aboutie fondée sur les libertés et droits de l'homme ! Autrement dit, une parole confisquée par le pouvoir serait la preuve paradoxale de notre santé démocratique ! En réalité, à l'épreuve des faits, c'est le contraire qui est vrai. En effet, ce n'est en rien raciste ni discriminatoire de constater que ce sont toujours les mêmes populations qui sont à l'origine des incivilités dans notre pays car si tous les étrangers ne sont pas délinquants, force est d'admettre que la plupart des délinquants sont étrangers. Ce constat est-il discriminant ? En aucun cas, il constitue tout simplement la vérité.

À Lire Aussi

Toulouse : une mineure de 17 ans a été écrouée pour avoir défiguré une jeune femme avec un tesson de bouteille

Que peuvent encore la société et les institutions ? Surtout, comment enrayer la spirale de violence qui s’est installée ?

Gérald Pandelon : Il faudrait, d'une part, cesser l'immigration, d'autre part, durcir encore davantage nos lois pénales à l'encontre des délinquants récidivistes. De plus, un étranger se rendant coupable d'une infraction pénale devrait être immédiatement expulsé. Il faut, en effet, modifier en profondeur notre paradigme délinquantiel en rejetant cette tendance à l'excuse absolutoire. Je précise qu'il convient d'être sévère envers ceux qui sont déjà inscrits dans un parcours délinquantiel, c'est dire dont les casiers sont souvent porteurs de plusieurs condamnations, et non à l'encontre de primodélinquants non étrangers qui devraient à l'inverse être plus facilement accessibles au pardon. En revanche, les voyous qui ne disposent pas de documents en règle sur le territoire français devraient être expulsés, il en va aujourd'hui de l'unité de notre nation. Dans cette perspective, les consulats des pays dont ces individus sont ressortissants devraient avoir l'obligation de délivrer les fameux laissez-passer consulaires. Comment peut-on accepter que des consuls étrangers en France puissent faire échec à une politique d'immigration qui se verrait ambitieuse ? N'est-ce pas là déjà une forme d'ingérence de ces Etats dans l'idée même de notre souveraineté ?

Nous vivons une crise du lien social qui se manifeste par une revendication de plus en plus croissante de droits et corrélativement de moins en moins de devoirs. Autrement dit, le droit est premier, le devoir est second. Or, c'est précisément ce paradigme qu'il faudrait inverser. Et ce n'est pas avec nos actuels gouvernants que ce modèle pourra être repensé car tout simplement ils n'y ont aucun intérêt. Les émeutiers, les Black blocs et autres nervis sont les alliés objectifs de notre classe politique. En effet, face à cette anarchie croissante, le réflexe naturel est de vouloir davantage conserver un pouvoir en place que de s'engager dans des aventures politiques qui pourraient générer encore davantage de désordre. Autrement dit, "un tiens vaut mieux que deux tu l'auras", les citoyens préférant conserver l'utile plutôt que de tenter le sublime, privilégiant des médiocres opportunistes à des brillants sujets, se repliant sur le conservatisme que sur une soif légitime de renouveau. Le problème c'est que les totalitarismes du XX ème siècle ont prospéré sur cette absence de courage.

À Lire Aussi

Fêtes de Bayonne : une manifestation est organisée ce vendredi pour dire "Non à la violence" après la mort d'un homme agressé et quatre plaintes pour viol

Maurice Berger : La violence, c’est lorsque la parole ne fait pas tiers, y compris la parole du magistrat, et il est alors nécessaire de faire appel à la force, une force proportionnée, ici sous la forme de l’incarcération qui a comme premier but d’empêcher un sujet dangereux d’agir. Mais il existe actuellement une délégitimation de l’usage de la force de l’Etat, et de la force en général, et celui qui l’utilise bascule immédiatement dans l’ère du soupçon. 

La plupart des agresseurs qui commettent des actes dramatiques n’ont pas rencontré antérieurement cette force qui constitue une butée leur signifiant que leurs délits étaient graves. « Même si je fais quelque chose de grave, je sais que je n’irai pas en prison », me déclarent certains mineurs violents. Ce qui extrêmement inquiétant, c’est que le corps humain est aussi désacralisé dans les tribunaux français. En tant que médecin, je constate que la gravité de l’atteinte à l’intégrité physique est insuffisamment prise en compte par la justice alors que le corps, parce qu’il ne se répare pas, devrait être sanctuarisé. Nous avons actuellement une justice trop souvent apénale, et un gouvernement antipénal, selon les expressions de Francis Casorla et de Dominique-Henri Matagrin dans le n° 18 de la Revue Française de Criminologie et de Droit Pénal.

Pour revenir au drame de Bayonne, mon hypothèse est que seule pourrait peut-être retenir le geste fatal, la certitude pour l’auteur d’être condamné à 30 ans de prison sans réduction de peine, peine prévue pour un homicide volontaire ; l’individualisation de la peine, pour le moment incontournable, ne pouvant porter que sur 10% de ce chiffre. A la condition aussi que de telles condamnations fassent l’objet de publicité dans les médias, dans les bâtiments publics, sur divers réseaux sociaux, accompagnée du nom et de la photo de l’agresseur pour l’incarner, et qu’un nombre suffisant de telles peines soient prononcées pour que chacun puisse penser très brièvement à ce qu’il risque avant le déchaînement barbare. Mais quel magistrat et quel politique croit encore à l’exemplarité de la peine ?

À Lire Aussi

Emeutes urbaines : Gérald Darmanin demande un « suivi » des personnes à l'origine d’actions violentes

C’est donc toute la politique pénale qui est à reconsidérer, avec une réécriture du Code du pénal, y compris du Code pénal des mineurs dont certains articles sont imprégnés d’une idéologie hors réalité. Le principe général devrait être que toute atteinte à l’intégrité physique d’autrui au-delà d’un seuil minime fixé par la loi (deux jours d’Incapacité Totale de Travail, par exemple) devrait entrainer au moins une courte peine de prison. Pour les mineurs, ce n’est  qu’après ce temps d’incarcération que le travail éducatif serait mis en route, avec un placement en Centre éducatif si nécessaire, car l’abord éducatif n’est souvent pas pris au sérieux par certains mineurs sans cette période préalable d’incarcération, qui devrait être accompagnée d’un temps important de sursis, véritable épée de Damoclès. Comme l’a indiqué la procureure générale de Paris en 2020, « La délinquance du quotidien est actuellement une délinquance dure et violent (…) qui impose parfois la mise à l’écart de la société » (Paul Gonzales, « Les parquets alertent sur la violence de la délinquance », Figaro vox, 27-10-2020)

Rappelons que si la prison n’est pas une solution miraculeuse pour tous les individus violents, elle n’est pas non plus l’école du crime, contrairement au poncif rabâché sans preuve : 70 % des personnes incarcérées ne récidivent pas dans l’année qui suit leur sortie de prison.

À Lire Aussi

Emeutes après la mort de Nahel : « Les jeunes n’ont pas peur de la police, l’Etat est beaucoup trop mou et faible », selon le rappeur Booba

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !