Atlantico : Angela Merkel va quitter la chancellerie après seize années passées à sa tête. Malgré une popularité élevée de son ancienne championne, le parti de la chancelière est en difficulté et il est arrivé difficilement à trouver un accord pour présenter un candidat, Armin Laschet. De l’autre côté, le parti des Verts s’est choisi Annalena Baerbock pour bousculer tant d’années d’hégémonie de la CDU au poste. La sélection des candidats jouera-t-elle un rôle important sur l’avenir de ces élections ?
Edouard Husson : Angela Merkel est le problème n°1 de la CDU. Je sais que beaucoup d’observateurs français ne veulent pas l’entendre. Mais il s’agit du plus mauvais Chancelier de l’histoire de la République Fédérale. Non pas qu’elle n’ait été une manoeuvrière redoutable - formée en Allemagne communiste ! - mais pour quoi faire? Elle a trahi toutes les raisons d’être de la CDU: la capacité à réformer (l’Allemagne vit encore des réformes Schröder); le souci des équilibres budgétaires au sein de l’Union Européenne; l’industrie nucléaire; le patriotisme allemand et le contrôle de l’immigration; les libertés publiques - avec la discussion, en ce moment, au Bundestag, d’une loi qui abolit les prérogatives des Länder en matière de santé. Vera Lengsfeld, ancienne opposante au régime de RDA (à la différence de Madame Merkel), et qui connaît bien la Chancelière, pense que cette dernière n’a jamais vu dans la CDU qu’un instrument pour conquérir le pouvoir et mettre en oeuvre une autre politique que celle de la démocratie chrétienne. Pour comprendre ce que veut dire Madame Lengsfeld, rappelons-nous Mitterrand faisant le choix d’arriver au pouvoir par la gauche pour lui imposer petit à petit une politique identique à celle de Valéry Giscard d’Estaing et Raymond Barre. Eh bien, Madame Merkel a imposé à la CDU et la CSU une politique qui est celle des Verts. Il se murmure à Berlin que la Chancelière verrait bien Annalena Baerbock lui succéder.
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En fait, il va falloir que la CDU se défasse du merkelisme. Paradoxalement, pense Vera Lengsfeld, Armin Laschet est mieux équipé car il fera alliance avec Friedrich Merz, qu’il a battu d’une courte tête, l’homme qu’Angela Merkel a toujours détesté car il représente ce qui reste de lien de la CDU avec les années Kohl, quand le parti était encore à droite.
Dans le cas d’une victoire de la CDU, assistera-t-on à un changement de politique ou resterait-on dans la même configuration que sous Merkel ? A l’inverse, quelles seraient les conséquences d’une chancellerie verte ?
Il n’est pas encore sûr que la CDU arrive en tête. La gestion catastrophique, par Angela Merkel, des nouvelles urgences sanitaires dues aux mutants du COVID 19 a fait perdre environ cinq à huit points au parti dans les sondages. Je vois que tous les journaux français répètent que la CDU est à 28% dans les sondages; elle est plutôt à 25%. Et les Verts ne sont plus très loin. S’ils dépassaient la CDU, ce serait leur tête de liste le candidat naturel à la Chancellerie. En fait, tout va dépendre de la capacité de Laschet à s’affirmer comme un chef d’équipe. S’il est capable de faire travailler ensemble Merz, Söder le Bavarois, Annegret Kramp-Karrenbauer ( qui fut un an présidente du parti) mais aussi de se concilier la désormais Bruxelloise Ursula von der Leyen, il montrera qu’il est prêt à gouverner. Car le prochain Chancelier devra présider une coalition, éventuellement à trois partis dont deux (CDU et Verts ou bien SPD et Verts) seront de force relativement proche. Angela Merkel est connue pour avoir récupéré à son compte toutes les bonnes idées de son partenaire de coalition (le SPD, sauf entre 2009 et 2013 où ce fut le FDP libéral). Ce sera impossible pour le prochain Chancelier, qu’il s’appelle Armin Laschet ou Annalena Baerbock. Même si l’on peut redouter le retour (après les années 1998-2005) des Verts au pouvoir, Madame Baerbock serait une Chancelière obligée au compromis permanent. L’ère des grands Chanceliers s’est terminée avec Schröder. Mais Madame Merkel avait gardé la stature apparente, à défaut qu’il y ait du contenu. C’est bel et bien terminé. Cela va poser d’ailleurs un gros problème aux présidents français habitués à avoir des Chanceliers forts.
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Cette élection risque-t-elle de peser sur l’Europe et notamment sur la France ?
D’un côté, on peut redouter le conformisme progressiste de la future équipe allemande, sauf si Armin Laschet et Friedrich Merz obtenaient, avec l’aide de Markus Söder, une victoire suffisamment large et modéraient convenablement l’influence écologiste. D’un autre côté, le gouvernement allemand va devenir un lieu de compromis permanents. Berlin devra composer avec les Länder. Les Allemands de Bruxelles compliqueront encore le jeu. Le rythme des décisions allemandes et donc européennes va devenir de plus en plus lent. La France doit effectuer une révolution complète de sa vision des relations franco-allemandes. La relation privilégiée avec le Chancelier, c’est fini. Il va falloir cultiver les chefs de partis, les Ministres-présidents de Länder, les factions bruxelloise. Il va surtout falloir apprendre à finir par un accord avec l’Allemagne, une fois constituée une coalition propre aux intérêts français. Au lieu de commencer par une discussion avec Berlin et considérer que le reste de l’Union suivra.
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