8 Mai : célébrer la victoire contre le nazisme nous permet-il de comprendre le monde d’aujourd’hui ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Histoire
Emmanuel Macron s'adresse aux officiers militaires à l'Arc de Triomphe dans le cadre des cérémonies marquant la victoire des Alliés contre l'Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale, le 8 mai 2022.
Emmanuel Macron s'adresse aux officiers militaires à l'Arc de Triomphe dans le cadre des cérémonies marquant la victoire des Alliés contre l'Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale, le 8 mai 2022.
© LUDOVIC MARIN / AFP

Leçons de l'histoire

Si les commémorations historiques sont toujours essentielles en termes de mémoire, de quelles leçons contemporaines l’Histoire de la Deuxième Guerre mondiale est-elle encore porteuse ?

Dimitri  Casali

Dimitri Casali

Dimitri Casali est Historien, spécialiste du 1er Empire et ancien professeur d’Histoire en ZEP, il collabore régulièrement avec la presse écrite, la radio et la télévision. Il est auteur d’une quarantaine d’ouvrages notamment : La France Napoléonienne (Albin Michel 2021), le Grand Procès de l’Histoire de France, lauréat du prix des écrivains combattants 2020 (Robert Laffont 2019), du Nouveau Manuel d’Histoire préface de J-P Chevènement (La Martinière 2016), de l'Altermanuel d'Histoire de France (Perrin), lauréat du prix du Guesclin 2011 ; l'Histoire de France Interdite (Lattès 2012). Par ailleurs, il est le compositeur du « Napoléon l’Opéra rock » et de l’« l’Histoire de France l’Opéra rock », spectacles musicaux historiques et éducatifs.

Voir la bio »
André Kaspi

André Kaspi

André Kaspi, est agrégé d'histoire, spécialiste de l'histoire des États-Unis. Il a été professeur d'histoire de l'Amérique du Nord à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur du Centre de recherches d'histoire nord-américaine (CRHNA). Il a présidé notamment le comité pour l'histoire du CNRS.

 

Voir la bio »

Atlantico : Le 8 Mai, nous célébrons la victoire contre l’Allemagne nazie. Cette célébration a-t-elle encore un sens aujourd’hui ?

André Kaspi : Cette célébration a encore du sens effectivement. Le nazisme ne nous menace plus mais il est important de rappeler ce qu’il s’est passé il y a près de 80 ans. L’histoire est bien présente.

En tant qu’historien, je ne peux pas vous dire que l’histoire ne compte pour rien. Nous sommes tous marqués par la Seconde Guerre mondiale, même si nous n’appartenons pas à la génération qui a vécu ces événements, ne serait-ce que par sa représentation à travers le cinéma ou la littérature.

Lorsque les enfants à l’école ou les lycéens sont conduits, lors de voyages scolaires, dans les camps de concentration ou dans un camp d’extermination comme Auschwitz, ils sont plongés dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Il est important de leur rappeler les tragédies et les excès par lesquels nous sommes menacés. Ce qu'il s’est passé il y a 80 ans pourrait recommencer ou a déjà recommencé sous d’autres cieux.

L’histoire reste donc présente. L’histoire pèse sur nos épaules.  

Le 8 Mai commémore la capitulation des armées allemandes, après une guerre mondiale qui a fait plus de 60 millions de victimes. L'Allemagne nazie, le Japon impérialiste et leurs alliés portent la plus lourde des responsabilités.

Il a fallu que les Etats-Unis, les démocraties (parmi lesquelles le Royaume-Uni et la France combattante) mènent un combat acharné aux côtés de l'Union soviétique pour abattre le monstre qui tentait de dominer la planète.

À Lire Aussi

70 ans après la victoire sur les nazis en Europe, quelle est désormais la clé de voûte de notre vision du monde ?

Aujourd'hui, d'autres dangers font peser sur le monde libre de lourdes menaces.

Il est bon de rappeler ce que furent les combats et les sacrifices de nos grands-parents pour tâcher d'éviter les erreurs d'hier - des erreurs qui ont entraîné les tragédies des années 1939-1945. En ce sens, la commémoration du 8 Mai - que le président Giscard d'Estaing a supprimée, et que le président François Mitterrand a rétablie - nous rappelle qu'il faut affronter les menaces qui pèsent sur notre monde, défendre les valeurs de la démocratie partout où elles sont remises en question. Il faut sans réserve ne pas renouveler les erreurs d'hier et d'avant-hier, les compromissions des uns et des autres, combattre partout les extrêmes pour empêcher de nouvelles tragédies.

Dimitri Casali : Il faut plus que jamais célébrer le 8 Mai ! 78 ans après cette guerre qui fit entre 52 et 60 millions de morts, ces commémorations sont très importantes pour les jeunes générations. Il faut donc absolument célébrer le 8 Mai 1945. Cela est d’autant plus important que nous sommes en guerre sur le sol européen indirectement avec le conflit en Ukraine qui nous rappelle à quel point nous avions oublié que la guerre était un danger permanent. Nous avions oublié que la guerre pouvait exister en Europe. Nous nous sommes énormément assoupis, en particulier en France. Le niveau de l’armée française est assez inquiétant dans le cadre de la perspective d’un conflit de haute intensité. La France dispose d’à peine 222 chars Leclerc, 190 chasseurs dont 90 Rafales et 115.000 hommes en activité. Napoléon pouvait aligner cinq fois plus de troupes lors de la conquête de la Russie.

Il faut donc absolument célébrer ce devoir de mémoire et particulièrement pour notre jeunesse.  

À Lire Aussi

25 ans après "la fin de l’histoire" Francis Fukuyama maintient… c’est bien la fin

Si les commémorations historiques sont toujours essentielles en termes de mémoire, de quelles leçons contemporaines l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale est-elle encore porteuse ?

André Kaspi : Aujourd’hui, celles et ceux qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale sont de plus en plus rares. Pour les adultes et pour les jeunes, il s’agit d’une histoire lointaine. Mais l’histoire de ce conflit nous permet de tirer un certain nombre de leçons. Il faut être très méfiant à l’égard des dictatures de tous genres comme ce fut le cas à l’époque pour l’hitlérisme et le stalinisme.

Mais nous ne pouvons pas rester indifférents aujourd'hui aux menaces idéologiques qui pèsent sur notre monde. La Deuxième Guerre mondiale et les invasions auxquelles se sont livrées les armées hitlériennes soulignent le danger auquel nous pouvons et nous devons faire face dans notre monde contemporain

Dimitri Casali : Il s’agit de la lutte contre le totalitarisme. Il faut être absolument vigilant. Le totalitarisme renaît sans cesse. Nous le voyons avec le danger représenté par la Russie et l’invasion en Ukraine. Sous une forme différente, la Chine constitue aussi une menace.

Il faut absolument que la France se réconcilie avec son histoire et notamment son histoire militaire qui n’est plus enseignée dans nos écoles. La France possède pourtant une histoire militaire glorieuse. Winston Churchill disait que l’armée française était celle qui avait remporté le plus de victoires dans toute l’histoire. Aujourd’hui, les critiques sur l’armée française, en particulier à l’extrême gauche avec les écologistes qui souhaitent supprimer le défilé du 14 juillet, sont sidérantes. 

À Lire Aussi

Bataille de France : l’étrange commémoration

La désignation du nazisme comme ennemi absolu était évidente. Dans un monde devenu complexe, où les adversaires sont aussi des partenaires ponctuels, peut-on se contenter d’une célébration manichéenne ?

André Kaspi : La célébration est faite pour rappeler les sacrifices de celles et de ceux qui nous ont précédés. La commémoration est là pour démontrer que le combat contre le nazisme était un juste combat et que cette idéologie a fait des millions de victimes.

Si nous l’avons emporté sur le nazisme, cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’autres menaces aujourd’hui sur notre monde.

Il s’agit d’un exemple tragique de ce qu’a été le monde des années 1930 – 1945 : la montée du nazisme, le fascisme triomphant en Italie et la Seconde Guerre mondiale avec toutes les tragédies qu’elle a entraînées. Il y a donc une réflexion sur le passé à travers les commémorations.    

Le passé nous permet de mieux comprendre le monde qui nous entoure. Si nous n’y prenons pas garde, nous pourrions être menacés par des dangers qui seraient comparables à ceux qui ont été affrontés par nos prédécesseurs entre 1939 et 1945.

Dimitri Casali : Non. Il faut lutter contre l’ignorance que l’on sent monter autour de nous. Moi qui suis très concerné par la transmission de notre histoire auprès des jeunes générations, je suis effondré que la date du 8 Mai, selon un sondage récent, n’évoque pratiquement rien pour les 15-20 ans. Ce désintérêt pour la transmission de notre histoire constitue un vrai danger pour notre pays et pour l’Europe occidentale en particulier.

C’est pour cela qu’il est important de célébrer la mémoire de nos résistants Jean Moulin et Marc Bloch (un historien), comme va le faire Emmanuel Macron ce 8 Mai. Il faut célébrer cette mémoire, qui est de plus en plus oubliée, et ce courage des résistants qui ont osé relever une France tombée en lambeaux.

Le devoir de transmission envers les jeunes Français aujourd’hui est vital. Il ne faut jamais oublier ces leçons de l’histoire. Si nous voulons marcher vers le futur, nous devons toujours retourner à nos racines. La Seconde Guerre mondiale a été un traumatisme terrible pour la France. La défaite a été humiliante en 1940. Contrairement à l’Angleterre, dont on parle beaucoup aujourd’hui à l’occasion du couronnement de Charles III, la France ne s’est jamais relevée de cette humiliation de juin 1940.

Il faut donc être vigilant à l’heure où l’armée française n’est pas très bien dotée et équipée même si des efforts vont être faits grâce à la nouvelle loi de programmation militaire.

Célébrer la victoire contre le totalitarisme est-ce, pour partie, oublier les vrais défis d’aujourd’hui ?

André Kaspi : Non. Le totalitarisme reste une menace dans le monde. Pas dans notre Europe occidentale mais dans d’autres régions de la planète, au Moyen-Orient ou en Afrique. Il y a des rejetons du totalitarisme.

Il faut donc mettre en garde nos contemporains contre ce qu’a été la guerre contre le totalitarisme dans les années 1940-1945.

Le totalitarisme ne concerne pas uniquement le nazisme et le fascisme, c’est aussi le communisme. A l’époque, le communisme était un allié qui nous a permis d’abattre le nazisme. Mais en abattant le nazisme, le stalinisme n’a fait que de se renforcer.

C’est contre toutes les formes de totalitarisme que la guerre de 39-45 nous met en garde

Dimitri Casali : Effectivement. Le totalitarisme peut se retrouver aujourd’hui dans certains dangers liés au fondamentalisme islamique et au terrorisme.

La montée de l’ignorance et la méconnaissance de nos valeurs républicaines parmi les jeunes générations est aussi un fléau majeur pour notre démocratie en Occident. Les taux d’absentéisme chez les jeunes étaient très élevés par exemple aux dernières élections européennes. Il faut donc être vigilant.

Face à un Occident qui doute de lui-même, un modèle occidental contesté et une démocratie parfois vacillante, quel sens redonner à la célébration du 8 Mai ?

André Kaspi : Le 8 Mai a une signification actuelle comme toutes les commémorations. Mais si vous prenez la liste de l’ensemble des commémorations, de la mi-avril jusqu’à la fin du mois d’août, il y a toute une série d’événements qui ont marqué les années 1944 et 1945 en réalité. Les armistices, les déportations, les rafles sont commémorées.

Les commémorations concernent des événements qui ont marqué des générations entières et plus particulièrement celles et ceux qui étaient les victimes de ces fascismes et de ces dangers qui se sont manifestés au cours de la Seconde Guerre mondiale.   

Dimitri Casali : Il est important de rappeler que l’Europe a été libérée d’un totalitarisme barbare qui a engendré entre 52 et 60 millions de morts, en comptant la guerre dans le Pacifique.

La réconciliation de l’Europe a été l’une des grandes leçons. La réconciliation rapide avec l’Allemagne a été un moment charnière.

Face à un Occident qui doute, un réarmement moral de nos jeunes générations par la transmission de notre histoire est vraiment prioritaire. Il faut lutter contre une lecture uniquement culpabilisante de notre belle et grande histoire. La transmission de l’histoire nationale et de l’histoire de notre armée. Il faut à nouveau transmettre cette histoire pour que les jeunes générations soient fières de leur pays. En France, où la repentance et l’autoflagellation domine nous avons beaucoup de travail dans ce domaine car ce n’est pas le cas actuellement. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !