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BCE.
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©DANIEL ROLAND / AFP

Mme Irma

Les prix de la production industrielle agro-alimentaire continuent d'augmenter et donnent des indices sur les scénarios économiques à venir.

Eric Dor

Eric Dor

Eric Dor est docteur en sciences économiques. Il est directeur des études économiques à l'IESEG School of Management qui a des campus à Paris et Lille. Ses travaux portent sur la macroéconomie monétaire et financière, ainsi que sur l'analyse conjoncturelle et l'économie internationale

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Atlantico : Vous avez analysé les prix de la production industrielle agro-alimentaire. Que nous disent-ils ?

Eric Dor : Il y a deux composantes à cette question. D’une part les prix sorties d’usine et d’autre part ce qui se passe dans la distribution. Ce graphique montre comment décomposer les prix de vente à la production de l’industrie agroalimentaire. Il permet d’éclairer la question des marges bénéficiaires.

Ce qu’on voit, c’est que quand l’inflation a commencé en 2021, elle a entraîné une forte hausse du coût des intrants. Et les prix de l’industrie augmentent, au départ, moins vite. C’est assez logique car les industriels ne révisent que très épisodiquement leurs prix. Donc la hausse des prix n’a pas répercuté la hausse des coûts et les marges se sont rétrécies. Et à partir du premier trimestre 2022, les marges se redressent car les industriels ont pu revoir leurs prix à la hausse.

Cela donne raison à ceux qui disent que les marges nourrissent l’inflation, mais seulement sur cette deuxième période. De même, cela donne raison à ceux qui disent que 2022 est un rattrapage des marges qui s’étaient rétrécies avant. Et sur la fin de la période, les marges sont effectivement plus élevées qu’elles ne l’étaient en 2019.

Pour autant, même si leur hausse est très forte, les prix moyens de l'alimentation ont moins augmenté en France que chez la plupart des autres pays de l'Union Européenne depuis le début de la crise de l'inflation. Comment l’expliquer ?

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Il y a plusieurs explications. D’abord la France est un grand pays agricole, donc probablement qu’il  y a eu moins de tensions entre l’offre et la demande de prix agricoles.

Cela peut jouer par rapport à d’autres pays. Il y a aussi eu une moins grande envolée des prix de l’énergie, malgré la défaillance du nucléaire au moment où le gaz russe nous a fait défaut. Le bouclier tarifaire a néanmoins permis de limiter, pour les entreprises. On peut aussi penser que le caractère ultra concurrentiel de la distribution française a contribué au phénomène. 

Qu’est-ce qui explique certains produits alimentaires aient explosé plus que d’autre ? 

Il y a effectivement des différences spectaculaires, les fruits de mer surgelés à +10,85 % quand le sucre a pris + 56%.

Les différences sont liées à des distinctions micro-sectorielles, propres à chaque produit et chaque filière.  Par exemple, il y a eu, à certains endroits, de la sécheresse qui a réduit certaines productions. Il y a eu une flambée de grippe aviaire qui a réduit drastiquement les cheptels, et donc augmenté le prix des œufs. 

Comment comprendre cette hausse des prix de l’alimentaire alors que les tensions sur les chaînes de production ou sur le fret maritime, se relâchent ?

Il y a deux explications fondamentales. La première est un délai dans l’ajustement des prix, puisque liés par des contrats de long terme. Au moment où les coûts redescendent on voit en fait la hausse des coûts passés. Ensuite, il y a le fait que, quand les coûts augmentent, chaque entreprise hésite à augmenter des prix, par peur de perdre des parts de marché. Mais quand l’augmentation des coûts se pérennise, tout le monde augmente ses prix.

Qu’est ce que cela présage pour la suite ?

Il y a souvent des interprétations hâtives de ces faits, qui se focalisent soit sur l’augmentation des marges et dénoncent les entreprises qui auraient des profits excessifs, soit, à l’instar du patron du MEDEF, sur le rattrapage de la période précédente. Ce dernier compte sur la normalisation des marges par le jeu de l’offre et de la demande. Pour le moment nous sommes dans l’expectative. Si effectivement, les imperfections de concurrence sont telles que les acteurs se retrouvent avec un gros pouvoir de marché et continuent de pouvoir augmenter leurs marges, nous aurons un scénario inflationniste. L’alternative, celle du MEDEF, et qu’espère la BCE. Les données ont montré qu’il n’y avait pas, à ce jour, de boucle salaire-prix. Donc la BCE reconnaît l’effet des marges et espèrent que les entreprises ne seront bientôt plus en capacité d’augmenter leurs marges. Mais pour l’instant, on ne peut que faire des hypothèses.

Quand les banquiers centraux (français et belges) parlent de hausses des taux supplémentaires. Quelles conséquence cela pourrait-il avoir ? 

Chez certains membres du conseil des gouverneurs de la BCE, il continue d’y avoir une fixation forte sur le risque de la boucle prix-salaire, qui ne se voit en aucun cas dans les données actuelles. C’est sans doute une inquiétude exagérée. Mais ce qui est vrai, c’est qu’on constate un reflux de l’inflation qui est notamment causé par le reflux des prix de l’énergie. On a plutôt eu de la chance dans la conjoncture, et on a évité le pire. L’inflation sous-jacente, elle, reste encore très élevée et suffisamment pour être préoccupante du côté de la BCE comme de la Fed, qui justifie, selon eux, qu’il n’y a pas de raison d’arrêter. 

Les compagnies aériennes font le plein de réservations pour l’été. C’est la preuve d’une confiance dans l’avenir ?

Cela montre qu’une part non négligeable de la population a été protégée et a vu son pouvoir d’achat maintenu suffisamment pour partir en vacances. Et malgré la hausse d’environ 30% du prix des billets, les gens ont envie de partir. Pour beaucoup de gens, la crise est légère. Mais ce n’est pas le cas de tous, il y a des gens très précaires. D’autres données montrent que le prix du panier moyen qu’achètent les Français a baissé car ces derniers se tournent vers le hard discount, ou en altérant la qualité moyenne de leur consommation, achetant des produits moins chers mais moins bons pour la santé. Donc il y a la coexistence d’une classe moyenne supérieure qu’il s’en sort plutôt bien et, à côté de ça, une frange de population très fragilisée. 

Comment cela peut-il se traduire économiquement ?

Aux Etats-Unis, la récession n’est toujours pas exclue car il y a, notamment, des problèmes dans l’immobilier. Or, quand les Etats-Unis ont des problèmes, l’Europe suit. La fin 2022 était meilleure que prévue, mais on vit toujours au jour le jour. Et nous sommes dépendant de la guerre en Ukraine et surtout de la situation de Taiwan.

Pourquoi Taïwan ?

Une guerre entre Taiwan et la Chine serait catastrophique pour l'industrie européenne. L'UE dépend de Taiwan de manière croissante pour son approvisionnement en semi-conducteurs. Taiwan a un presque monopole pour les circuits intégrés de très haute technologie.

Toutes les industries européennes en dépendent. Donc le résultat d’une coupure de l’accès à Taiwan serait catastrophique et encore pire si cela impacte notre commerce avec la Chine. Nous avons compris la situation et essayons de trouver des alternatives, mais cela prend du temps. Mais d’ici je pense que nous ne pourrions pas nous permettre de sanctionner la Chine au regard de notre dépendance. Et la Chine le sait et pourrait chercher à en profiter.

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