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"Médecin dans le 93" : la qualité d’une famille ne dépend pas de la sexualité des parents
©Reuters

Bonnes feuilles

La population du département "93" est souvent décriée, parfois crainte. Alexis Sarola l'a côtoyée, en tant que médecin généraliste, pendant près d'un demi-siècle. Il livre trente-trois portraits, loin des cliché que provoquent l'ignorance et le refus de l'autre. Extraits de "Médecin dans le 93" aux éditions du Cherche Midi 2/2

Alexis Sarola

Alexis Sarola

Alexis Sarola a été médecin généraliste en Seine-Saint-Denis de 1971 à 2013.

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Thérèse était l’aînée de deux filles. Je l’ai suivie comme médecin traitant pendant de longues années. Elle n’était ni laide ni belle. Elle faisait partie de ces gens qui ne laissent aucun souvenir après leur passage. Le physique était ingrat, la fesse plate, les cuisses grêles, les seins réduits à de vagues boursouflures, le cheveu court et raide, d’un blond terne sans charme. Elle n’existait pas, méprisée par une mère acariâtre, ignorée de son père. Elle détestait sa soeur cadette, dont elle fut longtemps l’esclave volontaire pour tenter de plaire à sa mère. Elle éprouvait une jalousie morbide envers cette soeur coquette et capricieuse.

De temps en temps, elle partait en RER visiter la capitale. On pouvait s’en apercevoir d’un seul coup d’oeil, au vu de la manière parfaitement ridicule dont elle s’accoutrait pour ces expéditions. Elle s’endimanchait, avec chapeau et talons aiguilles, d’une façon telle qu’elle n’aurait pas déparé une sortie de messe en des temps reculés. Pour compléter le tableau, elle fut frappée parune anosmie soudaine et irréversible : elle ne sentait plus aucune odeur, à commencer par la sienne, qui devint rapidement nauséabonde. Le temps s’écoula et la transforma en vieille fille.

Mais vint un jour où elle s’enticha de la varappe. Elle passa alors ses week-ends à escalader les rochers de Fontainebleau. Et sur ces rochers, elle rencontra une femme, Carole, ingénieure à la SNCF. Les deux femmes se plurent et commencèrent à vivre ensemble. Je craignais leur présence fréquente à la consultation du lundi matin : elles rapportaient de Fontainebleau « le pied d’athlète », une mycose tenace et malodorante. Quand elles se déchaussaient, une tempête olfactive se déclenchait dans mon cabinet.

La découverte de son homosexualité longtemps réprimée eut toutefois un effet bénéfique sur Thérèse. La mycose de ses pieds disparut. Elle affirma sa féminité. Elle devint presque jolie et laissait derrière elle une senteur forte, parfumée et agréable cette fois. Sa compagne, Carole, était une grande femme à la musculature saillante, aux épaules larges du fait d’une pratique assidue de l’aviron. Sa chevelure était d’un noir éclatant, couleur panthère. Elle n’avait pas la finesse de ces femmes lianes qui se lancent à mains nues à l’assaut des parois rocheuses, mais elle était belle.

Autant Thérèse était effacée, autant elle était éclatante. Il suffisait de l’apercevoir un court instant pour en garder le souvenir à jamais. Elles étaient dissemblables, mais leur amour était sincère. Elles se pacsèrent et décidèrent de créer une famille. Thérèse avait 41 ans et Carole 45 ans. Fort logiquement, compte tenu des contingences physiologiques dues à l’âge, Thérèse fut choisie pour porter leur enfant. Elles se rendirent en Belgique où la procréation médicale assistée ne posait pas les mêmes problèmes qu’en France. Et Thérèse en revint enceinte.

Ce fut une grossesse sans problème. À chaque consultation, elles étaient présentes toutes les deux. Je sentais une grande inquiétude chez Carole pour sa compagne et leur futur enfant. En revanche, il se dégageait de Thérèse une grande sérénité. Elle était la reine et se sentait hyperprotégée. De cette union naquit une fille. Une belle famille s’était créée. Trois ans plus tard fut adoptée la loi dite du « mariage pour tous ». 

Ce fut l’occasion de grandes manifestations, souvent violentes ; les opposants déniaient aux homosexuels le droit de se marier. C’était, pour ces gens, la mort de la famille et de ses valeurs traditionnelles. Je garde le souvenir de la profonde tristesse où me plongea la vision affreuse d’une petite fille brandissant une peau de banane, avec à son côté ses parents vociférant des slogans anti-mariage pour tous, et cela pour insulter une femme ministre de la République parce qu’elle était noire.

Je ne comprenais pas quelles valeurs ces parents défendaient. Que voulaient-ils inculquer à leur gamine : la haine de tout ce qui est différent, par la couleur de peau, la religion, la sexualité ? Nous étions revenus à l’époque paléolithique. En ce temps-là, la famille, prétendument immuable, était recroquevillée dans un clan restreint d’où émanaient la peur et l’aversion de tout individu étranger à la tribu, souvent réduite au cannibalisme dans les périodes fréquentes de famine.

La qualité d’une famille ne dépend pas de la sexualité des parents. Il y a d’excellents parents homosexuels et de très mauvais parents hétérosexuels. Le contraire est également vrai. Il est fort probable que les divorces seront aussi nombreux dans les couples homosexuels que dans les couples hétérosexuels. Thérèse et Carole, avec leur fille à leur côté, se sont mariées le 19 octobre 2013.

Extraits de "Médecin dans le 93" aux éditions Cherche Midi, 2015

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