Comment le phœnix Blaise Cendrars renaquit des cendres de la dépression <!-- --> | Atlantico.fr
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Amputé du bras droit lors de la Première Guerre mondiale, Blaise Cendrars apprit à écrire de la main gauche, au porte-plume, au stylo et à la machine à écrire.
Amputé du bras droit lors de la Première Guerre mondiale, Blaise Cendrars apprit à écrire de la main gauche, au porte-plume, au stylo et à la machine à écrire.
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Atlantico Lettres

Toutes les semaines, le journal Service Littéraire vous éclaire sur l'actualité romanesque. Aujourd'hui, retour sur la veine autobiographique du poète bourlingueur Cendrars réunie dans La Pléiade.

Bernard Morlino

Bernard Morlino

Écrivain et journaliste. Dernier ouvrage paru : “Éloge du dégoût” au Rocher. Il écrit pour Servicelitteraire.fr.

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Très tôt, Frédéric Sauser (1887-1961) ne se satisfait pas de n’avoir qu’une vie à sa disposition. Dès sa jeunesse, le Suisse a la bougeotte et à 18 ans, on le retrouve déjà à Moscou où il est apprenti horloger. Job qui lui fait peur car le tic-tac des mécanismes lui semble être un grignotage du temps qui le transforme en automate.

Au lieu de rester rivé à un atelier, il rêve d’espace. Mais après une série de morts dont celle de sa mère, il traverse une longue période dépressive d’où il ressortit plus décidé que jamais à vivre au centuple. À 25 ans, il décide de prendre un pseudonyme pour se délivrer du passé trop encombrant qui fait office d’ancre impossible à décoller du sol. Désormais il se prénomme Blaise – presque braise – et s’appelle Cendrars qui évoque les cendres. Ce nouveau patronyme en lettres de feu lui procure la sensation d’être un éternel Phénix que rien ni personne ne pourra abattre : « Je me suis fabriqué une vie d’où est sorti mon nom (…) Écrire c’est brûler vif, mais c’est aussi renaître… »

Quelques-uns, jaloux de sa liberté de ton et d’action, l’accusèrent de mentir quand ça l’arrange. Face aux sceptiques – dont Pierre Lazareff – qui mettaient en doute ses voyages en Transsibérien, il eut ce mot historique : « Qu’est-ce que ça peut vous faire puisque je vous l’ai fait prendre à vous ! » Outre son œuvre extrêmement vivante et variée, Blaise Cendrars avait le don de l’amitié. Il attirait les jeunes qui étaient séduits par ses qualités d’ubiquité.

Cependant, il ne faut pas être dupe : le fait de toujours vouloir voyager est plus un besoin de fuir que de découvrir des nouveaux horizons. L’auteur de “Bourlinguer”, “Le lotissement du ciel”, “L’homme foudroyé” et “La main coupée”, représenta un modèle pour beaucoup d’écrivains débutants, au même titre qu’Apollinaire, Jacob et Reverdy. Parmi la nouvelle génération, Philippe Soupault comprit l’importance que pouvait lui apporter Cendrars dont il aimait la simplicité. Issue de la grande bourgeoisie, Soupault détestait les prétentieux qui déclenchaient sa colère. Auprès de Cendrars, il avait la certitude de partager des moments sincères avec un homme intelligent et sensible qui était aussi simple qu’un cantonnier des rues de Paris. Le mégot toujours aux lèvres, Cendrars incarnait l’anti-Morand. Quand l’un portait la panoplie des mondains pomponnés, l’autre arborait des chandails sans forme. Cendrars respirait l’authenticité. Grâce à lui, Soupault apprit à se délester des convenances inutiles. Son aîné de dix ans lui démontra qu’il fallait vivre la poésie avant de l’écrire. Les deux amis s’adoraient mutuellement. En 1917, Cendrars vit tout de suite que Soupault n’était pas un arriviste qui recherchait la notoriété comme d’autres une bouée de sauvetage.

Pourquoi Cendrars écrivait-il ? « Parce que », fut sa seule réponse. Là où ses confrères s’enlisèrent dans des réponses sans fin, tarabiscotées au maximum, lui alla à l’essentiel, comme toujours. Même si le métier de journaliste et d’écrivain a des contraintes, Cendrars éprouvait physiquement le besoin d’écrire. Il pouvait gratter du papier n’importe où, n’importe quand, même à plat ventre. Il n’y a pas d’heure et pas d’endroit spécial pour qui a quelque chose à dire.

Amputé du bras droit lors de la Première Guerre mondiale, il apprit à écrire de la main gauche, au porte-plume, au stylo et à la machine à écrire. En bas de ses lettres, il signait « ma main amie », reprenant la formule de politesse trouvée par Apollinaire et ensuite reprise par Picasso et bien sûr, Soupault. En Russie comme aux États-Unis, dans un journal ou sur un plateau de cinéma, avec les femmes de sa vie ou les anonymes rencontrés au fil du temps, en prose ou dans les poèmes, romancier ou traducteur, éditeur ou dessinateur, au volant de son Alfa-Roméo ou à pied dans les rues de Villefranche-sur-Mer, partout et tout le temps, Blaise Cendrars avait le regard périphérique des vrais poètes. Il accordait plus d’importance à un battement d’ailes de moineau qu’à une réception au quai Conti. Le vrai immortel c’est Cendrars.   

A lire : Œuvres autobiographiques complètes, de Blaise Cendrars, sous la direction de Claude Leroy, avec la collaboration de Michèle Touret (Tome 1, 974 p.) et Jean-Carlo Flückiger et Christine Le Quellec Cottier (Tome 2 , 1125 p. ). Chaque volume 52, 50 €. À partir du 31 août : 60 €. Pour tout achat de trois Pléiade est offert le bel Album Cendrars.

Source : Service Littéraire, le journal des écrivains fait par des écrivains. Le mensuel fondé par François Cérésa décortique sans langue de bois l'actualité romanesque avec de prestigieux collaborateurs comme Jean Tulard, Christian Millau, Philippe Bilger, Éric Neuhoff, Frédéric Vitoux, Serge Lentz, François Bott, Bernard Morlino, Annick Geille, Emmanuelle de Boysson, Alain Malraux, Philippe Lacoche, Arnaud Le Guern, Stéphanie des Horts, etc . Pour vous y abonner, cliquez sur ce lien.

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