Presse : chronique d'une mort annoncée<!-- --> | Atlantico.fr
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De plus en plus de kiosques à journaux ferment chaque année.
De plus en plus de kiosques à journaux ferment chaque année.
©Reuters

Bercoff contre les tartuff

Le Syndicat du livre SGLCE-CGT a bloqué la parution des journaux quotidiens plus d'une trentaine de fois depuis l'annonce d'un plan de restructuration de Presstalis au mois de septembre dernier.

André Bercoff

André Bercoff est journaliste et écrivain. Il est notamment connu pour ses ouvrages publiés sous les pseudonymes Philippe de Commines et Caton.

Il est l'auteur de La chasse au Sarko (Rocher, 2011), Qui choisir (First editions, 2012), de Moi, Président (First editions, 2013) et dernièrement Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et moi : Chronique d'une implosion (First editions, 2014).

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Albert Londres est mort, Joseph Kessel est mort, Lucien Bodard est mort, et la presse française, c’est le moins que l’on puisse écrire, ne se sent pas très bien. La crise de langueur que traversent la presse écrite en général et les quotidiens nationaux en particulier ne date pas d’hier et nombre de médecins spécialisés se penchent sur son lit de douleur depuis des années. On a tout dit, et le contraire de tout : désaffection des lecteurs, concurrence de la radio, de la télévision et, depuis peu, de ce foutu Web et de ses non moins maudits réseaux sociaux qui draine une partie de plus en plus importante des consommateurs, surtout les plus jeunes.

La saga des grands reporters et du journalisme d’investigation – la noblesse du métier – bute de plus en plus sur les gestionnaires rongeurs du cost-cutting et de la rentabilité à tout prix. Mais les vagues ne doivent pas cacher l’iceberg : le coût exorbitant de la presse face à la gratuité du numérique. Hier encore, une grève du Syndicat Général du Livre CGT paralysait, pour la trentième fois depuis octobre, la distribution des journaux. Les célèbres ouvriers du Livre ont encore frappé : Presstalis, plus connue jadis sous le nom de NMPP, est responsable en effet de 85% de toutes les ventes au numéro des journaux et des magazines et de 100% des quotidiens nationaux.

Ici, pour une fois, le langage des chiffres est le plus éloquent. Les ventes s’effilochent en peau de chagrin, l’augmentation du prix de vente des quotidiens ne peut être un facteur d’encouragement à l’achat, mais elle se comprend quand on sait que 80% du coût d’impression d’un quotidien est dû aux salaires intouchables. Les magazines s’en sortent avec des imprimeries de labeur, alors qu’un rotativiste de la PQN touche 4 500 euros bruts par mois pour 32 heures et demie de travail hebdomadaire. Sans parler des salariés de Presse Paris Service qui touchent 2 500 euros par mois sur quatorze mois et neuf semaines de congés. De plus, le comité intersyndical du livre parisien a l’absolu monopole d’embauche des ouvriers et employés, ce qui le conduit naturellement à puiser les nouveaux arrivants parmi les proches et la famille…

Comprimé désormais chauffé à blanc de l’exception française, avec le corporatisme des uns et la passivité des autres, avec des patrons de presse qui ne cessent de solliciter l’aide de l’Etat et donc du contribuable (1,2 milliard d’euros par an rien que pour la presse écrite) avec de plus en plus de kiosques qui ferment chaque année ou qui se bardent de sacs de voyage et de tours Eiffel miniatures pour compenser le désert du lectorat, on voit bien que le bout du tunnel se métamorphose progressivement en chronique d’une mort annoncée. Et ce n’est pas en sciant la mince branche sur laquelle ils sont assis que ceux qui vivent encore de la presse pourront continuer à siffler vaillamment l’air des Trente Glorieuses. Alors qu’en réalité, ils ne font qu’accélérer le passage au numérique et aux tablettes d’une population lasse de payer cher un produit qu’elle pense pouvoir trouver gratuitement ailleurs.

Car le plus triste, c’est qu’elle ne trouvera pas forcément ailleurs cette spécificité fournie par les journaux quand ils sont bien faits et ça arrive : la mise en perspective, le tri des informations, l’enquête de fond, l’écriture originale, le plaisir du texte. On peut certes se passer de presse écrite. Mais sans entonner la vieille rengaine de la démocratie en danger, rappelons que la liberté d’expression est une chose trop fragile pour être laissée aux aveuglements, à l’avidité et à l’omerta des soi-disants professionnels de la profession.

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