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Forêt pas vierge : l’homme pratiquait déjà des cultures vivrières en Amazonie il y a 10.000 ans
©MAURO PIMENTEL / AFP

Atlantico Green

D'après une étude conduite par Umberto Lombardo, écologue à l'Université de Berne, l'agriculture en Amazonie n'est pas aussi récente qu'on pourrait le penser. En effet, elle n'aurait pas commencée en 1970 comme on le pensait jusqu'alors mais plutôt il y a dix mille ans.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Atlantico : Une étude conduite par Umberto Lombardo, écologue à l'Université de Berne étude révèle l'existence cultures de manioc, maïs et de courge dans la forêt Amazonienne il y a dix mille ans. Quel est l'impact de cette découverte ?

Bruno Parmentier : On croyait que la forêt vierge amazonienne était réellement vierge, et on découvre que des agriculteurs y cultivaient déjà il y a 12 000 ans, ça fait effectivement un choc ! En fait, cette période, qui correspond à la fin de la dernière période glaciaire, a vu le début de la transformation de chasseurs cueilleurs en agriculteurs, au moins dans 4 régions du monde : en Chine on a commencé à cultiver les précurseurs du riz, au Moyen-Orient ceux du blé et d’autres céréales, au Mexique du maïs, et dans les Andes de la pomme de terre et du quinoa ! Inutile de préciser que ce furent les prémisses de grandes civilisations ! Et voilà qu’on découvre une cinquième région agricole très ancienne au sud-ouest de l’Amazonie !

De plus la topographie y est très spéciale : il s’agit actuellement de zones de savanes inondables dans laquelle se dressent 4 700 monticules un peu plus élevés, donc hors d’eau, et couverts d’arbres. En fait c’étaient les poubelles de ces temps reculés ! Ces déchets ont proliféré, engraissés la terre, qui est y devenue plus fertile, et du coup les habitants ont eu tendance à y revenir habiter et à continuer à y jeter leurs déchets, dont on retrouve des traces aujourd’hui ! Nous n’avons certainement pas fini d’en tirer des leçons…

D'après les chercheurs, contraire à l'agriculture qui y est pratiquée actuellement, ces cultures ont favorisé la biodiversité. Comment l'expliquer ? 

Parce que les anciens ne pratiquaient pas la monoculture sur des grandes surfaces, comme nous le faisons, et que les déchets étaient divers. Les arbres qui y ont ensuite poussé ont favorisé le développement de cette biodiversité. D’où ces îles si curieuses au milieu des immenses savanes.

Plus que la culture au sein de la forêt, n'est-ce pas l'intensité de l'agriculture qui est donc ici pointé du doigt ? Différentes types de cultures, autres que le soja par exemple et à moins grande échelle, pourraient-elle avoir un impact moins négatif et entraîner une déforestation moins massive ? 

L’agriculture la plus ancienne, dans toutes les régions du monde, se caractérisait par le système d’agriculture itinérante dit de « l’abattis-brûlis » : les champs sont sommairement défrichés par le feu, puis les paysans profitent pendant 2 à 3 ans de la fertilité accumulée par la forêt, avant d’avancer un peu plus loin et de délaisser les champs devenus moins fertiles, qui se reboisent à nouveau et accumulent de nouveau de la fertilité ! Ce système n’est valable qu’avec une petite population sur des grandes surfaces, car il faut compter quelques dizaines d’années avant de revenir au même endroit ! Pa exemple, si la rotation est de 50 ans, il faut environ 150 hectares de friche et forêt pour 3 hectares cultivés, ce qui permet de nourrir 10 à 20 personnes par kilomètre carré. Mais l’augmentation de la population rend vite impossible la poursuite de cette activité, sauf à accélérer les rotations, et à transformer la foret en savane, puis en désert, car dans les zones tropicales humides, les surfaces gagnées sur la forêt vierge courent un fort risque de lessivage et d’érosion par les pluies tropicales. Les sols finissent dans la mer et au sens strict, comme l’avait déjà noté Chateaubriand, « les forêts précèdent les hommes, les déserts les suivent » !

Le problème actuel est bien différent : on défriche d’énormes quantités de forêts tropicales sur tous les continents, du Brésil à l’Indonésie et passant par le Congo et bien d’autres pays. En 2018 on a ainsi vu disparaître 12 millions d’hectares de forêt tropicale ! Chacun se souvient que le président brésilien Bolsonaro a décidé de lever les restrictions qui existaient encore en Amazonie, et la superficie brulée a doublé dans cette région du monde en 2019, provoquant un scandale international.

Mais cela n’est plus du tout destiné à l’agriculture de subsistance des populations locales ! On y exerce une monoculture industrialisée et mondialisée, principalement de soja pour nourrir les cochons, poulets et autres animaux d’élevage en Europe et en Chine ! Rappelons que l’Europe importe ainsi 33 millions de tonnes de soja par an, dont un dixième pour la France. Pour se rendre compte de l’énormité de ces transferts, réalisons que ce soja que nous achetons couvre environ 20 millions d’hectares outre Atlantique, soit l’équivalent de la surface agricole française. En quelque sorte, nous avons décolonisé au XXe siècle… sauf pour nos bestiaux, pour lesquels nous avons conservé l’usage des champs couvrant l’équivalent d’un grand pays ! Mais cela peut être aussi pour produire de l’huile de palme, ou du bœuf, toujours pour l’exportation. Et pendant ce temps là, le carbone de l’atmosphère n’est plus capté et le climat se réchauffe.

Ce n’est pas la découverte qu’on cultivait de petits bouts d’Amazonie il y a 12 000 ans qui va permettre de justifier cet agression caractérisée et complètement irresponsable de la planète dont nous nous rendons coupables. Rappelons le Sahara était encore humide et vert vers 6500 av. J.-C…

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