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Le Japon face à l’impact environnemental inquiétant de son refus du nucléaire
©Koji Sasahara / POOL / AFP

Atlantico Green

Après l’accident de Fukushima survenu le 11 mars 2011, le Japon a arrêté ses 42 réacteurs nucléaires et a répondu à ses besoins énergétiques avec un recours massif aux énergies fossiles.

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Cécile Crampon

Cécile Crampon

Cécile Crampon est directrice de la communication & des relations institutionnelles à la Société française d'énergie nucléaire (SFEN).

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Atlantico : Alors que le Japon était dans une visée écologique et d’indépendance énergétique, l’accident de Fukushima a mis à mal le pays. Aujourd’hui, il fait partie des principaux producteurs de CO2 de la planète. Comment expliquer ce paradoxe ?

Cécile Crampon : Après l’accident de Fukushima survenu le 11 mars 2011, le Japon a arrêté ses 42 réacteurs. Neuf d’entre eux ont redémarré à ce jour. Depuis le paysage énergétique nippon a connu des évolutions importantes en matière de mix-énergétique. Comme le Japon ne dispose d’aucune source énergétique sur son sol, les besoins énergétiques immédiats ont dû être comblés par des importations accrues d’énergies fossiles, essentiellement de gaz naturel liquéfié (GNL). Cela a conduit le pays à une dépendance extrême aux fournisseurs étrangers sur ces produits. Ce recours massif aux fossiles a par ailleurs eu pour effet d’accroître les émissions de gaz à effet de serre du secteur énergétique. Malgré l’enclenchement d’une baisse depuis 2013, ces émissions restaient supérieures en 2016 à leur niveau de 2010.  Aujourd’hui, les énergies fossiles prédominent avec le charbon qui est passé de 25 % en 2010 à 30 % en 2018, le gaz de 29 à 37 % pour la même période, les énergies renouvelables de 1 à 8 %. Seuls le pétrole et l’hydraulique sont restés stables avec respectivement 9 et 8 % en 2018. Le nucléaire est passé de 29 % en 2010 à zéro en 2014. Il remonte progressivement pour atteindre 7 % en 2018.

Il est constaté qu’au Japon, comme c’est le cas dans plusieurs Etats américains, la mise à l’arrêt prématurée de centrales nucléaires se solde par un accroissement de production de centrales à gaz, et une augmentation des émissions de CO2. En Allemagne, la sortie du nucléaire va retarder la sortie du charbon jusqu’en 2038, parallèlement au recours de centrales à gaz et à maintien de niveau de CO2 très élevé. Les énergies renouvelables sont par définition intermittentes et tout pays, à de rares exceptions, est dans l’obligation de s’appuyer sur un socle pilotable, c’est-à-dire, pouvant fournir de l’énergie 24h/24, 7j/7. Ce socle pilotable est au nombre de quatre : les énergies fossiles (gaz, charbon, pétrole) variant de 300 à 1200g CO2/kWh et l’énergie nucléaire, de l’ordre 12g CO2/kWh situé au même niveau que l’éolien.

Jean-Pierre Favennec : Après la catastrophe de Fukushima (tsunami du 11 mars 2011 qui a submergé la région de Fukushima, provoqué l’arrêt puis l’explosion de plusieurs réacteurs nucléaires) le Japon a fermé l’ensemble de ses centrales nucléaires qui assuraient une proportion importante de la fourniture d’électricité. Le Japon a eu alors recours à plusieurs mesures pour faire face à cette situation : réduction de la consommation d’électricité, utilisation massive du gaz naturel. Il est intéressant de noter que l’accident se produit au début de l’exploitation du GNL du Qatar qui coïncide avec la forte croissance de la production de gaz de schistes des Etats Unis. Une partie du GNL du Qatar, initialement destinée aux Etats Unis sera redirigée vers le Japon.

Le gouvernement japonais tente de faire redémarrer les centrales arrêtées en 2011, la plupart des arrêts ayant été décidés sans menace directe des centrales concernées mais pour faire face à l’inquiétude de la population.

Ce redémarrage est lent ce qui conduit le gouvernement japonais à recourir à toutes les solutions alternatives pour faire face à la demande d’électricité, y compris l’utilisation de charbon.

Quelle stratégie va adopter le Japon pour son mix énergétique à moyen terme sachant qu’il a ratifié l’Accord de Paris ?

Cécile Crampon : Le gouvernement revoit régulièrement sa stratégie de politique énergétique. En juillet 2018, le 5ème plan fondamental de l’énergie par le Cabinet Office a été adopté. Il indique la nécessité de dresser une stratégie tenant compte, non seulement du paysage énergétique actuel du pays, mais aussi des contraintes liées aux accords et objectifs internationaux sur le climat.  La politique énergétique nippone est axée désormais sur les « 3E+S » (Energy security, Economic Efficiency, Environment + Safety) d’ici 2030.

Les mix visés pour 2030 pourrait être encore prédominés par les énergies fossiles (27 % gaz, 26 % charbon et 3 % pétrole), une augmentation des renouvelables 22-24 % et de nucléaire (20-22 %), parallèlement à un maintien des efforts en matière d’efficacité énergétique. L’objectif est aussi d’augmenter le taux d’indépendance énergétique du Japon et réduire de 25 % ses émissions de CO2 par rapport à 2005… Cela semble compliqué au regard de ces ambitions. 

Jean-Pierre Favennec : La réduction des émissions des gaz à effet de serre et en particulier du CO2, principal responsable selon le GIEC (Groupement International des experts du climat) est sans doute nécessaire. L’essentiel des émissions de CO2 provient de la combustion des énergies fossiles. La consommation de charbon est dans doute à réduire en priorité mais les consommations de pétrole voire de gaz sont également concernées.

Le problème est que ces énergies fossiles ne sont pas faciles à remplacer. Le nucléaire est une possibilité mais cette source d’énergie est de plus en plus contestée par des fractions croissantes de la population. Les énergies renouvelables, en particulier éolien et solaire, sont moins polluantes au niveau de la consommation mais la construction massive d’éoliennes et de panneaux solaires pose des problèmes importants de disponibilité des ressources nécessaires à leur construction (métaux rares, terres rares, cobalt …). Le démantèlement de ces installations reste un challenge important.

La solution à la réduction des émissions de CO2 passe certainement par plusieurs solutions : sobriété énergétique, amélioration de l’isolation des bâtiments, recours croissant mais intelligent aux énergies renouvelables.

Une alternative énergétique non carbonée au nucléaire est-elle envisageable aujourd'hui ?

Cécile Crampon : La volonté d’augmenter les énergies renouvelables dans le mix énergétique est bien sûr primordiale. Aujourd’hui le pays s’appuie sur son hydroélectricité, la biomasse et mise beaucoup sur le solaire et l’éolien. Toutefois, il se heurte à des difficultés récurrentes, l’intermittence de ces deux dernières énergies, des interconnexions inexistantes avec les pays voisins et très limitées entre les régions, un réseau électrique peu optimisé, des technologies de stockage balbutiantes (hydrogène, batteries), un manque d’espace pour le solaire, des obstacles au développement de la géothermie dans les parcs nationaux, une filière bois-énergie non structurée, sans oublier une opposition de divers lobbies… qui existent aussi quand il s’agit d’implanter des renouvelables dans une région !

Mais le Japon est aussi un pays pragmatique où l’énergie nucléaire a encore toute sa place. Si le nouveau plan spécifie que la dépendance au nucléaire doit être réduite, cette énergie est présentée comme indispensable, pour assurer une sécurité d’approvisionnement, réduire les coûts énergétiques et les émissions de CO2. Ainsi les questions de sûreté nucléaire sont présentées comme la priorité absolue dans un contexte où la relance du nucléaire fait toujours face à une certaine opposition du public. Début 2020, neuf réacteurs sont en fonctionnement dans le pays (Sendai 1 et 2, Genkai 3 et 4, Ikata 3, Takahama 3 et 4, Ohi 3 et 4). Six autres réacteurs ont un accord de principe de l'autorité de sûreté nippone de redémarrer, sous réserve de travaux à terminer et d'accords des autorités locales et régionales. 21 autres ont réussi les tests de résistance (stress tests) et ont introduit les demandes d’autorisation de redémarrage. Par ailleurs deux nouveaux réacteurs devraient voir le jour dans cette décennie : Shimane 3 et Oma.

Le Japon qui a été très marqué par l’accident de Fukushima a pris à bras le corps la décontamination de la zone pour qu’elle redevienne à nouveau habitable. Par exemple, à l’exception de restrictions, l’agriculture dans la région est revenue à la « normale », comme le riz qui est à nouveau autorisé à l’exportation. Un autre symbole de cette volonté de se tourner résolument vers l’avenir, Fukushima accueillera les équipes de handball aux prochains Jeux olympiques en 2020.

Jean-Pierre Favennec : Il n’existe pas de solution permettant un remplacement total du nucléaire à court ou moyen terme. Une réduction de la part du nucléaire passe par une meilleure isolation des bâtiments, un recours plus important au gaz naturel (bien qu’il soit carboné, ses émissions de CO2 sont limitées) et par le développement des énergies renouvelables.

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