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Dérèglement climatique : ce que la technologie pourrait apporter pour contenir les incendies géants
©Josh Edelson / AFP

Atlantico Green

Les feux de forêts font rage en Californie. En 2018, les autorités ont expliqué que 2 millions d'hectares avaient brûlé. Face à cela, des entreprises comme ALERTwildfire utilisent des caméras pour prévenir les populations des dangers. Elles permettraient également un gain de temps pour les pompiers.

Frédéric  Durand

Frédéric Durand

Frédéric Durand est géographe, enseignant chercheur à Toulouse-II, spécialiste des phénomènes de déforestation. Il est l'auteur de nombreux ouvrages comme "Le Réchauffement climatique en débats, acquis, incertitudes et enjeux", Paris, Éditions Ellipses, 2007, 188 p. "La Jungle, la nation et le marché, chronique indonésienne", Nantes, Éditions de l’Atalante, 2001, 284 p. "Les Forêts en Asie du Sud-Est, recul et exploitation : le cas de l'Indonésie", Paris, Éditions de L'Harmattan, 1994, 411 p. Mais également "Réchauffement climatique : le Nord n’est pas moins concerné que le Sud", Territoires en mouvement en 2012. 
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Atlantico : Pourquoi est-il important d'utiliser la technologie lors de feux de forêt ? Quelles en sont les limites ?

Frédéric Durand : Les technologies du type caméras ou des drones sont importantes, surtout si elles peuvent permettre d’accroître les chances de sauver des vies humaines, mais les problèmes liés aux feux sont beaucoup plus vastes et complexes.

D’abord, les médias évoquent généralement quelques feux dans des endroits spectaculaires, mais ne montrent pas assez qu’ils ont pris une ampleur mondiale. En 2018-2019, les incendies de forêts ont concerné aussi bien l’Amérique du Nord et du Sud, l’Europe occidentale, la Russie, l’Afrique, l’Asie et l’Australie.

Par ailleurs, le phénomène remonte déjà à de nombreuses décennies. Par exemple en 1982/83 en Indonésie, des incendies avaient détruit plus de trois millions d’hectares dans l’île de Bornéo, soit l’équivalent de la superficie de la Belgique. En cause : la conjonction d’une longue période de sécheresse, liée à un épisode intense d’El Niño, combinée à une exploitation prédatrice du bois. Toujours en raison d’une sécheresse, en 2010 en Russie, plus d’un million d’hectares ont brûlé causant de graves problèmes sanitaires, réduisant les récoltes de céréales et menaçant des installations nucléaires.

Partout dans le monde, les forêts sont soumises à de multiples pressions. Les manifestations du réchauffement climatique perturbent les écosystèmes, provoquent des stress hydriques et favorisent la prolifération des champignons et des insectes ravageurs, particulièrement en zone tempérée à cause d’hivers tendanciellement plus doux. Les modes de gestion et d’exploitation forestière fragilisent également les forêts naturelles et accroissent les risques de propagation des incendies, notamment en raison du bois mort ou des monocultures d’espèces à croissance rapide. En régions tropicales, par exemple, des études ont montré que les forêts naturelles non-exploitées étaient relativement épargnées, y compris lors de grands incendies, parce que l’humidité empêchait leur propagation. En revanche, les zones exploitées sont souvent détruites à plus de 80 %. Et il y a bien sûr la déforestation au sens strict, notamment pour l’essor de l’agro-industrie et de l’élevage.

En combinant tous ces facteurs, les modèles de prévisions climatiques laissent craindre qu’à l’horizon 2070, à l’échelle mondiale, la capacité de la végétation forestière à capter du CO2 pourrait se réduire au point que les forêts deviendraient émettrices de carbone. C’est extrêmement inquiétant quand on sait que de très nombreux programmes visant à appliquer l’accord de Paris de 2015 (ne pas dépasser les +2°C par rapport à l’ère préindustrielle) s’appuient sur des plantations d’arbres pour réduire les gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

Des pompiers sont contre la technologie dans leur travail de tous les jours, car ils ne la trouvent pas assez fiable. Avec les moyens techniques d'aujourd'hui, cette peur est-elle légitime ?

Les pompiers ne sont jamais contre les technologies utiles, mais ils peuvent légitiment s’inquiéter face à des moyens insuffisants ou inadaptés. Le plus marquant dans les grands incendies meurtriers des dernières années, c’est que même dans les pays de l’OCDE comme les États-Unis, la Grèce, le Portugal ou l’Australie, les autorités ont souvent été obligées de reconnaître leur quasi impuissance face à l’ampleur des incendies auxquels ils sont confrontés.

Les moyens techniques sont de moins en moins capables de contenir les problèmes et ne permettent plus forcément d’éviter des morts et la destruction de vastes régions forestières. Des caméras peuvent certes permettre de détecter plus rapidement des départs de feu, mais ils ne constituent pas une panacée si la capacité d’action ne suit pas. En outre, le réchauffement climatique est en train de s’aggraver. Les situations deviendront encore plus difficilement gérables si la température de la planète continue d’augmenter et dépasse le seuil fixé en 2015 lors de la COP21.

Les pompiers français (et européens) travaillent-ils avec la technologie ? Pensez-vous que le réchauffement climatique pourrait être mieux contrôlé avec la technologie ?

Tous les pays européens intègrent des technologies, mais ces dernières servent aussi fréquemment de cache-misère pour dissimuler les manques de moyens humains et financiers. C’est ce qui explique notamment le mouvement de grève lancé par les pompiers en France à l’été 2019.

Il serait naïf de croire que le réchauffement climatique pourra être contrôlé par des technologies. Le réchauffement est déjà amorcé et il se caractérise par une forte inertie assortie de conséquences parfois non-linéaires, comme des vagues de froid ponctuelles. Des décennies seront nécessaires avant qu’il ne régresse, sachant que les climatologues s’accordent à dire qu’en dehors de la capture du carbone atmosphérique (souhaitable mais que l’on ne sait pas forcément comment stocker en grandes quantités), la plupart des techniques de géo-ingénierie risquent d’avoir des effets incontrôlables qui pourraient aggraver la situation.

À l’échelle planétaire, l’urgence est désormais de limiter au maximum les émissions de gaz à effet de serre, tout en favorisant la résilience des sociétés. Les technologies pourront y contribuer, mais cela ne sera pas suffisant, ce qui signifie qu’il va valoir aller vers de profonds changements de comportements, auxquelles les populations ont été très peu préparées, particulièrement dans les pays des Nords.

En matière forestière, il faudrait également réviser complètement nos manières de concevoir les forêts. Elles ne devraient plus être considérées comme des sources de bois ou des hectares à défricher, mais comme des écosystèmes riches et utiles, qui ont d’importantes fonctions locales, tout en participant aux grands mécanismes de régulation de la biosphère.

À ce titre, même si cela pourra paraître radical à certains, une mesure urgente serait un moratoire total, au moins temporaire, sur la coupe et l’exploitation des forêts naturelles denses. Une telle mesure ne concernerait d’ailleurs pas uniquement les pays tropicaux, mais aussi ceux d’Amérique du Nord et de l’Union Européenne, qui continuent de dégrader certaines forêts, au risque qu’elles ne puissent pas se régénérer ou qu’elles ne deviennent la proie des flammes, et cela en dépit de leur immense valeur environnementale et patrimoniale.

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